mardi 4 décembre 2012

The Tree Of Life



Terrence Malick est un réalisateur américain atypique. Il tourne très peu. Cinq longs métrages en une quarantaine d'années. Ses films témoignent d'une ambition manifeste pour le style ample, d’un goût prononcé pour les images métaphysiques, épiques, contemplatives ou picturales, proches de la nature. Ses films sont souvent considérés comme des œuvres majeures du cinéma américain.

Mon avis:

Si vous souhaitez regarder un film d’action "adrénaliné", bourré de rebondissements, où le méchant finit par douiller dans un épilogue riche en cascades spectaculaires et effets spéciaux vous fusillant la rétine. Si vous aimez qu'un film vous explique tout de A à Z et vous laisse sans la moindre question au défilé du générique pour aller engloutir tranquillement votre Big Mac sauce ketchup: " Évitez à tout prix « The Tree of Life »."

Si vous souhaitez vous installer confortablement dans un fauteuil, sinon avec à vos cotés un bon bagage cinématographique gonflant votre attaché-case, tout du moins avec le goût de découvrir un film de cinéma d’auteur qui s’affranchit des codes et vous invite au voyage spatio-temporel, à l’onirisme, au questionnement sur le sens de la vie et de la mort, à l'irruption d'instants magiques : « Allez-y. ».

Même sans cette ambition, si vous aimez la nature, les images somptueuses et croyez vaguement aux instants de grâce: "Profitez sans état d’âme du spectacle, des émotions et des impressions troublantes qui risquent de vous envahir à bien des détours d’un voyage sans linéarité."
Ce film n’a pas la volonté de vous fourrer dans le crâne un message transcendantal insidieux ou prosélyte. Les questions que posent les personnages sont celles de l'époque et du milieu auxquels ils appartiennent. Quant à savoir si elles sont proches de celles du réalisateur, c'est une tout autre affaire.

Alors, je répète - je tiens à être parfaitement clair - si vous voulez mater de la fesse, vous vautrer dans du glamour scintillant, régler vos comptes avec les prestations calamiteuses de votre équipe de foot favorite en vous projetant dans un personnage héroïque et triomphant, de grâce: "Faites l’impasse, et allez voir le dernier James Bond, qui n’est d’ailleurs pas si mauvais que cela, m'a-t-on dit, pour combler quelques envies évoquées ici et plus avant."

Enfin, que ceux qui s’acharneraient à vouloir faire un parallèle rigoureux entre ce film et « 2001, l’odyssée de l’espace » de Kubrick, s’abstiennent. Les similitudes sont ténues. A la clef, de probables débats d’exégètes pointilleux, et des interprétations métaphysiques conflictuelles possibles entre défenseurs et persifleurs. Seul ce point saurait les rapprocher. Concernant le film de Kubrick, souvenirs de fin de repas arrosés opposant des jouteurs aux partis pris pugilistiques amenant des éclats verbaux.  Question piège immanquable des anti au décours du pugilat: "Explique-moi tout, alors, si tu as compris !".

J’aime encore mieux que l'on me demande d’expliquer comment se calculent les impôts locaux, même si on jouxte ici aussi, par endroits, le domaine de la métaphysique…



vendredi 2 novembre 2012

No country for old men


Sailing to Byzantium

That is no country for old men. The young
In one another’s arms, birds in the trees
– Those dying generations – at their song,
The salmon‐falls, the mackerel‐crowded seas,
Fish, flesh, or fowl, commend all summer long
Whatever is begotten, born, and dies.
Caught in that sensual music all neglect
Monuments of unageing intellect.

An aged man is but a paltry thing,
A tattered coat upon a stick, unless
Soul clap its hands and sing, and louder sing
For every tatter in its mortal dress,
Nor is there singing school but studying
Monuments of its own magnificence;
And therefore I have sailed the seas and come
To the holy city of Byzantium.

O sages standing in God’s holy fire
As in the gold mosaic of a wall,
Come from the holy fire, perne in a gyre,
And be the singing‐masters of my soul.
Consume my heart away; sick with desire
And fastened to a dying animal
It knows not what it is; and gather me
Into the artifice of eternity.

Once out of nature I shall never take
My bodily form from any natural thing,
But such a form as Grecian goldsmiths make
Of hammered gold and gold enamelling
To keep a drowsy Emperor awake;
Or set upon a golden bough to sing
To lords and ladies of Byzantium
Of what is past, or passing, or to come.

William Butler Yeats



En bateau pour Byzance

Ce pays-là n’est pas pour les vieillards. Les garçons
Et les filles enlacés, les oiseaux dans les arbres
- Ces générations qui meurent – tout à leur chant,
Les saumons des chutes, les mers peuplées de maquereaux,
Poisson, viande, volaille, font l’éloge l’été durant
De tout ce qui a été engendré, naît et meurt.
Ravis par cette musique sensuelle, tous négligent
Les monuments de l’intellect sans âge.

Un homme âgé n’est qu’une misérable chose,
Un manteau loqueteux sur un bâton, à moins
Que l’âme ne batte des mains et ne chante, et ne chante plus fort
A chaque nouvelle déchirure qui troue son habit mortel,
Mais il n’est qu’une seule école de chant, celle de l’étude
Des monuments de sa propre magnificence ;
Et c’est pourquoi j’ai traversé les mers pour m’en venir
Jusqu’à la cité sainte de Byzance.

Ô vous, sages dressés dans les saintes flammes de Dieu
Comme dans l’or d’une mosaïque murale,
Sortez des flammes saintes, venez dans la gyre qui tournoie
Et soyez les maîtres de chant de mon âme.
Réduisez en cendres mon cœur ; malade de désir,
Ligoté à un animal qui se meurt,
Il ignore ce qu’il est ; et recueillez-moi
Dans l’artifice de l’éternité.

Une fois hors de la nature, je n’emprunterai plus
Ma forme corporelle à nulle chose naturelle, mais
A ces formes que les orfèvres de Grèce
Façonnent d’or battu ou couvrent de feuilles d’or
Pour tenir en éveil un Empereur somnolent ;
Ou qu’ils posent sur un rameau d’or pour qu’elles chantent
Aux seigneurs et aux dames de Byzance
Ce qui fut, ce qui est, ce qui est à venir.


Note: les frères Coen ont donc lu Yeats. Leur adaptation cinématographique du poème s'éloigne cependant légèrement du sujet... La traduction prête à caution mais est plus fidèle que l'adaptation en question. Vive la cigale qui se cultive durant la Grande Traversée...

jeudi 11 octobre 2012

SALIX ALBA ou Saule blanc




Synonymes français : Osier blanc, Aubier

Famille : Salicacéees

Description : Arbre de 10 à 15 m, atteignant au maximum 25 m. Rameaux très souples, élancés, légèrement pubescents. Cime arrondie. Feuilles brièvement pétiolées, alternes, lancéolées (10 cm de long), finement dentelées, blanc argenté dessous. Espèce dioïque à inflorescences mâles jaunes et femelles vertes. Fleurs mâles à deux étamines. Rameaux grisâtres, devenant brun jaunâtre, souples. Branches devenant cassantes.

Biologie et acclimatation : Espèce rustique du bord des eaux et des endroits humides. Longévité de 70 à 120 ans. Multiplication par boutures.

Intérêt : Essence employée en vannerie. Bois légèrement rougeâtre employé en sculpture. L’écorce à des propriétés toniques et vermifuges, mais aussi fébrifuges et antalgiques.


De Salix à l’acide acétylsalicylique (aspirine), via l'acide salicylique

L'écorce de saule est connue au moins depuis l'Antiquité pour ses vertus curatives. On a retrouvé la mention de décoctions de feuilles de saule sur des tablettes sumériennes de 5000 av. J.-C. et dans un papyrus égyptien des 1550 av. J.-C (papyrus Ebers). Le médecin grec Hippocrate (460–377 av. J.-C.) conseillait déjà une préparation à partir de l'écorce du saule blanc pour soulager les douleurs et les fièvres. Les Romains connaissaient aussi ses propriétés.

En 1763, le pasteur Edward Stone présente un mémoire devant la Royal Medicine Society sur l'utilisation thérapeutique de décoctions de l'écorce du saule blanc contre la fièvre. En 1829, Pierre-Joseph Leroux, un pharmacien français, tente, après avoir fait bouillir de la poudre d'écorce de saule blanc dans de l'eau, de concentrer sa préparation ; il en résulte des cristaux solubles qu'il dénomme salicyline (de salix). Puis, des scientifiques allemands purifient cette substance active, appelée d'abord salicyline, puis acide salicylique.

En 1877, Germain Sée propose le salicylate de soude comme antipyrétique. Marceli Nencki prépare à partir de 1880 un dérivé de l'acide salicylique et du phénol appelé Salol, qui, sans présenter de propriétés pharmacologiques supérieures aux médicaments alors existants, a toutefois un goût plus agréable. Ce produit fait l'objet d'un grand engouement populaire.

En 1835, Karl Löwig montre que l'acide spirique, extrait de la reine-des-prés, est chimiquement identique à l'acide salicylique. À partir des extraits naturels, on isole le salicylate de sodium, qui devient alors le médicament couramment employé contre la douleur et l'inflammation. Cette préparation permet de faire tomber la fièvre et de soulager les douleurs et les rhumatismes articulaires, mais provoque de graves brûlures d'estomac. On parvient à la fin du XIXe siècle à la produire industriellement en Allemagne.

En 1853, le chimiste strasbourgeois Charles Frédéric Gerhardt effectue la synthèse de l'acide acétylsalicylique, qu'il nomme acide acétosalicylique et dépose un brevet. Cependant son composé est impur et thermolabile. Le savant meurt trois ans plus tard et ses travaux tombent dans l'oubli.

En 1859, Kolbe réussit la synthèse chimique de l'acide salicylique, utilisé alors pour ses propriétés antiseptiques, mais c'est Felix Hoffmann, chimiste allemand entré au service des laboratoires Bayer en 1894, qui, en octobre 1897, reprenant les travaux antérieurs de Gerhardt, trouve le moyen d'obtenir de l'acide acétylsalicylique pur. Il transmet ses résultats à son patron Heinrich Dreser. Ce dernier teste le produit sur le cœur de grenouille, son animal de laboratoire favori, et n'obtient aucun résultat probant. Hoffmann, persuadé de l'intérêt de la molécule (il s'en sert d'ailleurs pour soigner son père, qui souffrait de rhumatisme chronique et prenait jusque-là du salicylate de sodium), donne le médicament à des amis médecins et dentistes, qui le testent avec succès sur leurs patients pendant deux ans (effet antalgique et moins toxique pour l'estomac que le salicylate de sodium). Commence alors la production industrielle du médicament. Finalement, le brevet et la marque de l'aspirine sont déposés par la société Bayer en 1899 sous la dénomination d'Aspirin. La préparation arrive en France en 1908 et est commercialisée par la Société chimique des usines du Rhône. Cependant, après la Première Guerre mondiale, le Traité de Versailles stipule que la marque et le procédé de fabrication tombent dans le domaine public dans un certain nombre de pays (France, États-Unis, etc.) mais pas dans d'autres (comme le Canada).

En 1949, le supérieur hiérarchique direct d'Hoffmann, Arthur Eichengrün publie un article revendiquant la paternité de la découverte. Cette revendication est ignorée par les historiens des sciences jusqu'en 1999, date à laquelle les recherches de Walter Sneader de l'université de Strathclyde, à Glasgow, concluent que c'est bien Eichengrün qui a eu l'idée de synthétiser l'acide acétylsalicylique. Bayer, dans un communiqué de presse, réfute cette théorie, mais la controverse reste ouverte.

L'acide salicylique n'est désormais plus utilisé que pour son action apaisante (analgésique) et on le retrouve dans de nombreux produits en dermatologie en complément d'un autre principe actif. Il est par exemple utilisé dans le traitement de l'acné, des verrues ou de l'hyperhidrose (sueur excessive).

Source de l'annexe : Wikipédia


vendredi 31 août 2012

Les passions sont les vents qui enflent les voiles du navire

Ivan AIVAZOVSKI (1817-1900) - Ships in a Storm - 1860

"Les passions sont les vents qui enflent les voiles du navire ; elles le submergent quelquefois, mais sans elles il ne pourrait voguer."
Voltaire (François Marie Arouet, dit), Zadig ou la destinée.



La philosophie que je cultive n'est pas si barbare ni si farouche qu'elle rejette l'usage des passions; au contraire, c'est en lui seul que je mets toute la douceur et la félicité de cette vie.
Descartes (René), Correspondance, à l'abbé Picot, 28 février 1648.

Nous voyons [... que les passions] sont toutes bonnes de leur nature, et que nous n'avons rien à éviter que leurs mauvais usages ou leurs excès.
Descartes (René), Les Passions de l'âme.

Les hommes que les passions peuvent le plus émouvoir sont capables de goûter le plus de douceur en cette vie.
Descartes (René), Extrait du Traité des passions.

Les passions détruisent plus de préjugés que la philosophie.
Diderot (Denis), Discours sur la poésie dramatique.

Rien n'est plus dangereux que les passions dont la raison conduit l'emportement.
Helvétius (Claude Adrien), Notes, maximes et pensées.

Les passions des jeunes gens sont des vices dans la vieillesse.
Joubert (Joseph), Pensées.

Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours.
La Rochefoucauld (François), Maximes.

L'absence diminue les médiocres passions, et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies, et allume le feu.
La Rochefoucauld (François), Extrait des Sentences et maximes morales.

Si nous résistons à nos passions, c'est plus par leur faiblesse que par notre force.
La Rochefoucauld (François), Maximes.

Il est difficile de vaincre ses passions, et impossible de les satisfaire.
La Sablière, Pensées chrétiennes.

Il n'y a que le malheur qui soit vieux; il n'y a que la passion qui soit raisonnable.
Lespinasse (Julie de), Lettres, à M. de Guibert.

Tout ce qui n'est pas passion est sur un fond d'ennui.
Montherlant (Henry Millon de), Aux fontaines du désir.

Ce sont nos passions qui esquissent nos livres, le repos d'intervalle qui les écrit.
Proust (Marcel), À la recherche du temps perdu, le Temps retrouvé.

Nos passions sont les principaux instruments de notre conservation ; c'est donc une entreprise aussi vaine que ridicule de vouloir les détruire.
Rousseau (Jean-Jacques), Emile ou de l’éducation.

Les plus belles passions ne sont que la rencontre de deux égoïsmes.
Soucy (Jean-Yves),  Parc La Fontaine.

Qui veut détruire les passions, au lieu de les régler, veut faire l'ange.
Voltaire (François Marie Arouet, dit), Lettres philosophiques, XXV.

 Ce n'est pas l'amour qu'il fallait peindre aveugle, c'est l'amour-propre.
 Voltaire, Extrait d’une Lettre - 11 Mai 1764


Note: parmi ces citations autour du thème de la passion que j'ai recueillies à la volée, Marcel Proust montre , une fois de plus, sa finesse d'observation.

Les thèmes d'inspiration d'Ivan Avazovski et sa manière de les traiter l'inscrivent au cœur du courant romantique du XIXe siècle. Ce romantisme s'affirmera tout au long de sa carrière en atteignant son apogée dans ses œuvres des années 1850, avec, notamment: La neuvième vague (1850), Clair de lune (1849) et Tempête (1854). L'originalité de l'œuvre d'Avazovski s'explique en partie par son attachement à  la culture arménienne pour laquelle l'idée de la lumière créatrice, lumière de la connaissance, est ancrée dans la tradition ; la représentation qu'il fit des hommes luttant contre la mer en furie traduirait également la volonté de survie associée à cette culture.


Aivazovski - Bateau dans la tempête 1887

lundi 13 août 2012

jeudi 19 juillet 2012

Le format GIF


Le Graphics Interchange Format, qu’on peut traduire par « format d'échange d'images », plus connu sous l'acronyme GIF, est un format d'image numérique couramment utilisé sur Internet. GIF a été mis au point par CompuServe en 1987 pour permettre le téléchargement d'images en couleur. Ce format utilise l'algorithme de compression sans perte LZW, nettement plus efficace que l'algorithme RLE utilisé par la plupart des formats alors disponibles (PCX, ILBM puis BMP). Ce qui est intéressant à propos de ce format, c'est la possibilité de créer ou d'éditer des animations, comme par exemple les cinemagraphs. Il existe une multitude de logiciels, dont plusieurs sont gratuits, permettant de sauvegarder en format GIF. Les logiciels d'animations permettent surtout de modifier la vitesse de défilement des images. Quelques uns permettent de les éditer ou de les créer de toute pièce.

GIF permet de spécifier qu'une entrée de la palette est transparente. C'est notamment utile lorsqu'une image non rectangulaire est intégrée à un document comme une page web : on voit le document à travers les pixels transparents. GIF propose un mode entrelacé permettant de commencer par transmettre quelques lignes d'une image, puis les lignes placées entre elles. Ce mode permet de donner plus rapidement un aperçu de l'image lorsque la transmission est lente. Le principe de compression est en fait de simplifier le code des parties de rangées de pixels de même couleur. C'est pour cela que ce format est utilisé sur les images comportant un nombre plutôt limité de couleur et sans dégradés, avec de préférences des grandes zones de couleur unies.

En 1989, le format GIF a été étendu (format GIF89a au lieu de GIF87a) pour permettre le stockage de plusieurs images dans un fichier. Ceci permet de créer des diaporamas, voire des animations si les images sont affichées à un rythme suffisamment soutenu indiqué par le concepteur. La palette de couleurs proposée est plus restreinte que celle du format PNG assez comparable dans sa capacité de proposer un fond transparent.

Source: Wikipédia


Quelques exemples de cinemagraphs de belle facture, mais de tailles respectables, piochés sur ce site.

A vous de reconnaître les films qui sont à la base de ces GIF animés:






IMMORTEL, AD VITAM - Enki Bilal - 2004 - Ajout d' effets optiques

mardi 26 juin 2012

Les émotifs anonymes



Être timide incite soit à la discrétion soit, au contraire, à l'excès pour mettre à distance ses propres peurs. Dans les deux cas, le point d'équilibre est difficile à saisir. Un équilibre que le réalisateur Jean-Pierre Améris (Mauvaises fréquentations, C'est la vie...) parvient justement à trouver avec cette love story entre deux hyperémotifs. Mieux, il joue habilement de ce rapport de forces. Si les deux protagonistes ont choisi l'effacement au plus profond de leur être, leur alliance possible passe inévitablement par un surplus d'émotions, donc de situations burlesques (en cela, la séquence du dîner est un chef-d’œuvre de rythme, d'écriture et de jeu). Isabelle Carré et Benoît Poelvoorde - déjà couple dans "Entre ses mains", d'Anne Fontaine, en 2005 - composent leurs personnages avec une connivence d'autant plus savoureuse que le scénario les oblige à avancer sur un même terrain psychologique. L'un étant en quelque sorte le miroir de l'autre. Enfin, le choix assumé de la théâtralité, avec notamment ce décor de chocolaterie tout droit sorti d'une comédie musicale désuète, donne à ce joli spectacle des sentiments une force et une modestie singulières qui tranche avec la plupart de nos comédies nationales, trop sûres d'elles.  

Thomas Baurez – L’Express

Mon avis :

En 2010, Jean-Pierre Améris, nous gratifie d’un film drôle et original. Il est émaillé de nombreuses références au cinéma de ses prédécesseurs : traitement des couleurs « à la Tim Burton », références aux anciens films musicaux américains - clin d’œil en particulier à « La mélodie du bonheur » - scènes burlesques rythmées profitant de la qualité du jeu d’acteurs bien choisis. Le final fait penser à celui du film de Chaplin, « Les temps modernes »



Le thème : l’hyperémotivité. Le seul méchant du film est l’accès d’angoisse. Le réalisateur le constate après coup lors d’interviews.

A se demander alors si la timidité est un réel handicap. Elle semblerait plutôt l’atout du créatif et source de la bienveillance de l’observateur attentif, discret au point qu’il confirmerait à lui seul un dialogue célèbre de Michel Audiard : « Les cons ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît. »



dimanche 27 mai 2012

FESTEN



Festen est un film danois réalisé par Thomas Vinterberg sorti en 1998. Il reçoit le Prix du Jury au Festival de Cannes en 1998. C’est le premier film labellisé Dogme95, écrit à Copenhague par Lars von Trier et Thomas Vinterberg, proclamé officiellement et publiquement le 20 mars 1995 au théâtre de l'Odéon à Paris, dans le cadre d'une rencontre sur le centenaire du cinéma. Son énoncé provocateur:

Je jure de me soumettre aux règles qui suivent telles qu'édictées et approuvées par Dogme 95:

1. Le tournage doit être fait sur place. Les accessoires et décors ne doivent pas être amenés (si on a besoin d'un accessoire particulier pour l'histoire, choisir un endroit où cet accessoire est présent).
2.  Le son ne doit jamais être réalisé à part des images, et inversement (aucune musique ne doit être utilisée à moins qu'elle ne soit jouée pendant que la scène est filmée).
3. La caméra doit être portée à la main. Tout mouvement, ou non-mouvement possible avec la main est autorisé. (Le film ne doit pas se dérouler là où la caméra se trouve; le tournage doit se faire là où le film se déroule).
4. Le film doit être en couleurs. Un éclairage spécial n'est pas acceptable. (S'il n'y a pas assez de lumière, la scène doit être coupée, ou une simple lampe attachée à la caméra).
5. Tout traitement optique ou filtre est interdit.
6. Le film ne doit pas contenir d'action de façon superficielle. (Les meurtres, les armes, etc. ne doivent pas apparaître).
7. Les détournements temporels et géographiques sont interdits. (C'est-à-dire que le film se déroule ici et maintenant).
8. Les films de genre ne sont pas acceptables.
9. Le format de la pellicule doit être le format académique 35mm.
10. Le réalisateur ne doit pas être crédité.
De plus je jure en tant que réalisateur de m'abstenir de tout goût personnel. Je ne suis plus un artiste. Je jure de m'abstenir de créer une « œuvre », car je vois l'instant comme plus important que la totalité. Mon but suprême est faire sortir la vérité de mes personnages et de mes scènes. Je jure de faire cela par tous les moyens disponibles et au prix de mon bon goût et de toute considération esthétique.

Et ainsi je fais mon Vœu de Chasteté

Copenhague, Lundi 13 mars 1995, au nom du Dogme 95. Lars Von Trier, Thomas Vinterberg.

Synopsis :

Tout le monde a été invité pour les soixante ans du chef de famille. La famille, les amis se retrouvent dans le manoir d'Helge Klingenfelt. Christian, le fils aîné de Helge, est chargé par son père de dire quelques mots au cours du dîner, sur sa sœur jumelle, Linda, morte un an plus tôt. Tandis qu'au sous-sol tout se prépare avec pour chef d'orchestre Kim, le chef cuisinier, ami d'enfance de Christian, le maître de cérémonie convie les invités à passer à table. Personne ne se doute de rien, quand Christian se lève pour faire son discours et révéler de terribles secrets.

Quelques critiques :

C'est une réussite artistique exemplaire autant qu'originale - et, à ce titre, film clé du cinéma contemporain - Festen pointe toutefois les limites d'une certaine façon, celle du Dogme, de concevoir le Septième Art comme une sorte de théâtre (bien) filmé, aux intrigues ramassées dans l'espace et le temps et condamnées aux paroxysmes tragiques. D'ailleurs, Vinterberg n'envisage plus de s'y référer: « La fraîcheur aurait disparu et ne subsisterait que la redite. »

Avec ce mode de tournage et ce matériel, Festen, comme Les Idiots de Lars von Trier réalisé la même année, a toutes les apparences d'un reportage et se déroule sous les yeux du spectateur comme une tranche de vie surprise par une caméra indiscrète tenue par un cinéaste ignorant des développements de l'action, des motivations et des déplacements des protagonistes. Bien sûr, ce n'est là qu'apparence : l'écriture du film - cent pages de scénario - a pris deux mois et demi;  Vinterberg a ensuite passé deux mois avec ses acteurs pour élaborer leurs personnages; et le tournage, enfin, a duré aussi longtemps que celui d'un film hors Dogme. Mais le résultat, à l'écran, semble totalement improvisé.

Le film carbure à la méchanceté allègre. Alerte, sec, sans excès de sympathie pour «l'humanité» trouble de ses personnages.

Mon point de vue :

J'ai vu ce film pour la première fois, un ou deux ans après sa sortie en salle. Je suis passé alors par une séquence d'états d’esprit variés. Aussitôt, la crainte de m'être fourvoyé dans un film expérimental dont les mouvements de caméra approximatifs finiraient par me donner le tournis. Tourné au caméscope par un invité mystère à la technique de prise de vues rudimentaire? Caméra embarquée sur le casque d'un parachutiste cherchant à immortaliser une séance de saut en chute libre en équipe? Cependant, au fil des rushes 4/3, la psychologie de départ un peu monolithique des personnages se complexifiait. La liste des invités, plus baroques, déjantés ou mystérieux les uns que les autres ajoutaient au spectacle. Se mettaient peu à peu en place les pions du psychodrame à venir d’une tribu peu commune au bord de la crise de nerf. Je sentais venir la révélation maousse, catalyseur d'une réaction chimique explosive. Le tube à essai dans lequel baignaient tant de réactifs colorés ne pouvait pas rester muet. Le mélange tonnant retentit assez rapidement dans le film. Faut-il craindre alors que le scénario s’épuise rapidement ou de devienne poussif à vouloir trop s’étirer? Que nenni! En psychologie lourde, la révélation brute d’une vérité cachée n’annonce que le début d’un conflit, en aucun cas, sa résolution éclair. Ne rien dire, ne rien voir, ne rien entendre, les trois adages de la sagesse, deviennent dans ce cas trois modes de défense pervers. Le bras de fer familial, âpre, dur, lourd, parfois violent, génère rapidement une atmosphère de malaise peu soutenable. Au milieu de ces déchirements familiaux, je me suis alors accroché à mon siège pour ne pas rater une miette du combat œdipien et des dégâts collatéraux. Le parricide symbolique classique du patriarche ne pouvait-il pas devenir même crime réel ?

"Familles, je vous hais", en somme. Un film au formalisme novateur, brut de décoffrage, parfois objet violent non identifié, interprété magistralement par l'ensemble des acteurs.

Festival de Cannes 2012 : contre-pied au sujet de "Festen", le nouveau film de Thomas Vinterberg « Jagten » (La Chasse) raconte la descente aux enfers d’un brave homme accusé d’abus sexuel. C’est l’enfant qui ment et l’homme qui trinque. Le réalisateur danois fait vaciller notre foi dans la société. Mads Mikkelsen interprète avec une clarté extraordinaire et un étonnement considérable le rôle principal (récompensé par le prix d'interprétation masculine à ce festival). Vinterberg démontre que « la pensée est un virus » qu’aucune preuve ne peut arrêter. Pour cela, il omet tout ce qu’on attend normalement d’un accusé dans cette situation : prendre un avocat, exiger la justice, clamer son innocence, demander des explications à ses amis. Vinterberg, au contraire, expose Lucas au verdict populaire. Ce sont ces meilleurs amis et son entourage proche qui propagent l’accusation qui se transforme en une chasse à l’homme où la réputation est détruite par des soupçons et des demi-vérités. Chaque pas, chaque geste vont trahir la vérité et barrer la route à l’acquittement de l’accusé. Le réalisateur entretient volontairement le trouble : assimiler les propos d’un enfant, sans ménagement, à un mensonge est un sacrilège dans une société hantée par la pédophilie. Vinterberg fait monter la tension à un tel point que le public applaudit quand Lucas donne un coup de tête à un de ses diffamateurs.

mercredi 23 mai 2012

Synthétiseur Moog Google Doodle



 Moog Google Doodle

Avant d'aller faire mon gros dodo au décours de périgrinations Internet plus qu'improbables, je n'ai pas pu m'empêcher de pianoter sur le clavier de la petite application Doodle proposée par Google dans son moteur de recherche. Je propose, grâce au lien ci-dessous, un remixd'un vieux truc gazeux de Jean-Michel Jarre, évoqué par la kyrielle de doubles "O" du titre du billet. Cet enregistrement va probablement faire date, au point de devenir culte. Pour ceux qui auraient du mal à retrouver le morceau original, je dois bien admettre que j'ai légèrement perdu ma technique instrumentale des années soixante, probablement suite à un abus de cocktails chimiques proches du Lysergsäurediethylamid consommés régulièrement à l'époque au petit-déjeuner pour compenser les effets de la chicorée mélangée au schnaps mirabelle... Lamentable !

LIEN VERS L’INTERPRÉTATION VIRTUOSE

Note : puisque de notes il est bien question, j'ai eu à préciser à quelques internautes que l'on peut recueillir l'URL de stockage du petit morceau joué en ligne grâce au bouton placé sous celui lançant l'enregistrement. Le copier-coller semblant inefficace, ressortez vos crayons... On devrait pouvoir faire du 4 pistes en cliquant sur les trois autres vu-mètres. Je vous épargne l'essai...
... Réflexion faite, j'ai osé tester le 4 pistes au risque d'exploser vos tympans et ma carte son :
LIEN 4 PISTES !

lundi 21 mai 2012

Au creux du vallon


Claude Monet - La femme à l'ombrelle tournée à gauche - 1886


Au creux du vallon, le ruisseau gonflé des eaux d’avril faisait fredonner les pierres sous son flot. Une brume légère caressait encore les herbes perlées de rosée. Depuis quelques heures, les arbres bruissaient de chants d’oiseaux. Un cerisier croulant de blancs bouquets mousseux scintillait au gré des rayons clairs du matin. Le clocher d’un village égrenait sept heures dans le lointain. Un maigre troupeau laineux de nuages irisés des derniers mauves de l’aube paissait placidement au-dessus de ce coin de campagne calme et hospitalier.

Un peu à l’écart, un stratus se livrait à des anamorphoses cotonneuses d’une infinie lenteur. Allongé au pied d’un chêne noueux à branches torses, un homme attendait paisiblement. Il avait aperçu rapidement une robe blanche se détacher sur l’azur laiteux au sommet d’une colline nappée du vert d’avril. Une femme la descendait à pas vifs. Elle tenait à la main un bouquet de fleurs des champs. Déterminé, elle semblait tout à la mission qui l’avait faite se lever tôt pour venir en ce lieu. Les feux de l’été, les brouillards denses et tenaces de l’automne, les gels mordants du ventre de l’hiver, rien ne savait la dissuader quand elle brûlait de revoir celui qui l’attendait avec la patience infinie d’un contemplatif. Le verre dépoli qui avait si longtemps voilé le spectacle de sa vie comme une cataracte précoce, s’était enfin brisé. Illusions amoureuses, utopies de réalisations définitives, projets désordonnés, sa vie avait tout consumé.

Une brise tiède et légère gonflait la blanche robe, voile de la femme caravelle. Elle sillonnait les herbes du coteau, bouquet en proue. Elle approchait du port. Il entendit enfin grincer la porte de fer de l’enclos où il l’attendait. C’était devenu désormais le seul lieu du rendez-vous. Les graviers de l’allée crissaient maintenant sous ses pas. Quelques secondes, et il la contempla en surplomb, immense et belle, la tête au ciel. Elle s’agenouilla près de lui pour déposer son bouquet à ses pieds.

Une stèle de pierre portait cette inscription gravée : « Hugo repose ici en paix. Ce n’est que l’ultime palpitation du souvenir de leurs amours anciennes qui sonnerait l’oubli définitif. » 


Pierre TOSI - novembre 2003

Liste des nouvelles du recueil


Note : texte court, revu et corrigé, concluant le recueil de nouvelles dont j'ai proposé quelques extraits dans ce blog. Un hommage poussif à deux poèmes illustres ! Le premier joue sur le temps et l'espace. Dégagé des perceptions extérieures, le personnage masculin est mu par un désir pressant, une énergie interne opiniâtre qui le pousse à croire à l'immortalité d'un souvenir intense qu'il appuie par la symbolique finale des fleurs déposées, témoignant ainsi son évidence. Le second, à la rythmique volontairement brisée, nous envoie sur une fausse piste de vie intense et de bonheur radieux faisant intervenir tous les sens corporels avivés par la nature. Le poète éparpille ça et là des indices avant la brusque révélation d'une réalité tragique que la nature tentait d'atténuer à toute force. Hugo refuse les vertus cicatrisantes de la nature alors que Rimbaud les appelle au secours du funeste. Mon texte prend le parti du second poème. Appliqué à la relation amoureuse, il la voit comme un catalyseur des forces vitales, plutôt qu'un vecteur de désespoir quand elle prend fin sans en altérer le souvenir. Cependant, le personnage féminin emprunte la même énergie à la vigueur du souvenir toujours présent le maintenant en vie. Hugo vole, Rimbaud caracole. Un génie lyrique en marche, une comète surdouée en vol.



Demain, dès l'aube...

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor HUGO


Le dormeur du val

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur RIMBAUD

mardi 24 avril 2012

Résolution géométrique d’un type d’équation de degré 2 à l’aide d’un gnomon


Statue d’ Al-Kwharizmi à Khiva


A la base :

Le gnomon, du grec ancien « γνώμων » qui signifie « indicateur » ou « ce qui révèle », est un des premiers instruments utilisé en astronomie. C'est une simple tige verticale (style) plantée sur un plan horizontal. Il est connu depuis la plus haute antiquité (égyptiens, chaldéens, grecs). La longueur de l'ombre portée permet de mesurer la hauteur d’un astre, l'angle alpha de celui-ci, et la direction de l'ombre donne l'azimut de l'astre. Le gnomon est l'ancêtre du cadran solaire. Ératosthène, savant grec (géomètre de l'école d'Alexandrie) vers l'an 250 Av JC, mesura avec cet instrument rudimentaire le méridien terrestre avec une précision étonnante.

En géométrie :

Un gnomon est une figure plane formée en enlevant un parallélogramme, d'un coin d'un plus grand parallélogramme. Lorsque le parallélogramme est un rectangle, le gnomon est alors une sorte d'équerre. La notion se généralise à toute figure géométrique qui doit être ajoutée à une figure donnée, pour que la nouvelle figure soit semblable à la première.


Al-Khwarizmi :

Al-Khwarizmi Muhammad ibn Moussa est né à Khwarizem (Ouzbékistan), d'où son nom. Il fut astronome sous le règne du Calife Abd Allah al Mahmoun (786-833) qui encouragea la philosophie et les sciences en ordonnant la traduction (827) des textes de la Grèce antique. C'est ainsi, par exemple, que fut connue l'œuvre de Ptolémée, dite Al majisti (la très grande) : l'Almageste.

La notoriété d'Al-Khwarizmi nous est parvenue à travers les siècles moins par ses talents d'astronome que par son intervention dans l'art du calcul algébrique : il est l'auteur du célèbre ouvrage Kitab Al jabr w'al mouqabala, translittération latine du titre arabe, soit : Livre sur la science de la transposition et de la réduction.


Le problème :

Aidé par les travaux nettement antérieurs de ses précurseurs grecs - Pythagore, Euclide, Ératosthène et Ptolémée, en particulier - Al Kwharizmi s’est attelé, à l’aide d’un gnomon géométrique, à résoudre ce qu’en algèbre on nommera par la suite une équation de degré 2.

- Le problème posé en langage géométrique de la résolution d’une équation de degré 2 serait :

Le nombre obtenu en ajoutant celui de la surface d’un carré à la longueur de son côté multiplié par un nombre donné (b) est égale à un autre nombre donné (c). Quel est la longueur (x) du côté de ce carré ?

- En utilisant le formalisme algébrique l’énoncé de ce problème devient :

Des nombres b et c sont donnés. Trouver x tel que : 
  (1)  x2 + bx   = c

On se trouve bien face à la formulation algébrique d’une équation dite de degré 2, plus généralement écrite : ax2 + bx + c = 0.

Vu l’énoncé du problème initial, dans ce cas particulier, b et c ne peuvent être que des nombres entiers positifs.


Utilisation d’un gnomon pour trouver la solution :


Capture d’image d’un extrait de fichier PDF proposé par Nicole Bopp sur Internet.

A noter qu'on peut appliquer ce type de méthode géométrique à la résolution d'une équation de degré 3 à l'aide de cubes en remplacement des aires planes des carrés (Méthode de Tartaglia dans les années 1500).

Trois liens:



Le fichier PDF dont est extrait la capture d'écran

Complément historique :

Les équations du second degré sont au centre de l'algèbre babylonienne, dès avant le XVII siècle av. J.‑C.. La tablette d'argile BM 13901 a été qualifiée de « véritable petit manuel d'algèbre, consacré à l'équation du second degré et aux systèmes d'équations, et donnant les procédures résolutoires fondamentales ».
Les équations du second degré ont été étudiées systématiquement par Al-Khwarizmi au IXe siècle, dans un ouvrage intitulé "Abrégé du calcul par la restauration et la comparaison" qui, via le mot « restauration » ou « reconstruction » (en arabe : al-jabr) a donné son nom à l'algèbre. Al-Khawarizmi distingue six cas d'équations du premier ou second degré dans lesquels les paramètres a, b et c sont tous positifs :
les carrés égalent les racines :  ax2 = bx ;
les carrés égalent les nombres : ax2 = c ;
les racines égalent les nombres : bx = c ;
les carrés et les racines égalent les nombres : ax2 + bx = c ;
les carrés et les nombres égalent les racines : ax2 + c = bx ;
les racines et les nombres égalent les carrés : bx + c = ax2 ;

Il démontre les méthodes de résolution en suivant des raisonnements d'algèbre géométrique.


Sources: Wikipédia et liens présents ou mentionnés



mercredi 18 avril 2012

Les Alyscamps de l'homme du train


Les Alyscamps de Paul Gauguin (1888, octobre)



Les Alyscamps (Champs Élysées en provençal, cité des morts vertueux dans la mythologie grecque), sont situés à Arles. De l'époque romaine au Moyen Âge, ils ont été une nécropole païenne puis chrétienne le long de la via Aurelia, en dehors de la cité, comme la plupart des nécropoles romaines. On y trouvait de très nombreux sarcophages. A noter que Paul-Jean Toulet n'utilise pas l'orthographe actuelle du lieu. License poétique ou toponymie variable ?

Il est fait référence plusieurs fois à ce poème dans L'Homme du train, un excellent film français réalisé par Patrice Leconte sorti en 2002. Il a été tourné, en grande majorité, dans une ville d'Ardèche du Nord : Annonay.



vendredi 6 avril 2012

Hémodynamique fœtale et troubles de l’adaptation néonatale




Avant la naissance, les poumons du fœtus ne sont pas fonctionnels et n’interviennent pas dans l’oxygénation du sang. C’est le placenta qui remplit ce rôle. Le sang oxygéné de la mère part au placenta et se mélange au sang « bleu » du fœtus dans sa veine cave inférieure, via le canal d’Arentius, avant d’atteindre l’oreillette droite. Peu de sang part vers les poumons. Grâce au foramen ovale (anciennement appelé trou de Botal) et au canal artériel, deux structures servant de shunts propres au fœtus, le cœur droit (avec son sang oxygéné en provenance du placenta) peut se déverser directement dans la circulation gauche en court-circuitant les poumons.

Ces deux structures provisoires permettent au sang oxygéné de passer rapidement vers l’aorte, puis vers le cerveau et tous les autres organes. Sans aucun bouleversement anatomique, le fœtus assume une fonction circulatoire complètement différente de celle du nouveau-né. Cette situation explique pourquoi la plupart des malformations cardiaques sont fort bien tolérées in utero : la circulation pulmonaire n’est pas existante et l’organisation ventriculaire n’a pas encore son importance puisqu’un seul ventricule (le droit en situation normale) suffit à  assumer la circulation du circuit ‘unique’.

A la naissance, le placenta est exclu brusquement de la circulation et l’enfant doit trouver d’urgence une autre source d’oxygène. La fonction respiratoire s’active et les alvéoles pulmonaires se déplissent pour remplir leur rôle d’oxygénation du sang et d’évacuation aérienne du gaz carbonique. Grâce aux premiers mouvements respiratoires expulsant le liquide amniotique résiduel contenu dans les bronches, les poumons et les vaisseaux pulmonaires acquièrent tout leur potentiel. Le surfactant sécrété en quantité et qualité suffisantes en direction de la surface aérienne des alvéoles peut jouer pleinement son rôle d’agent tensio-actif chez le nouveau-né à terme (ce qui n’est pas le cas chez le grand prématuré) en évitant celles-ci de se collaber. L’ampliation des vaisseaux engendre une baisse des ‘résistances’ pulmonaires, autrement dit, le sang y passe beaucoup plus facilement. Ceci permet une meilleure perfusion des poumons et amplifie l’oxygénation. Le sang oxygéné part désormais en grande quantité des poumons vers l’oreillette gauche, ce qui y augmente la pression et ferme mécaniquement le clapet que constitue la fente du foramen ovale. La circulation pulmonaire est installée et est définitivement séparée de la circulation systémique lorsque le canal artériel se ferme quelques heures plus tard, suite au passage d’un sang plus oxygéné qui induit le phénomène avec l’intervention de prostaglandines spécifiques locales. A noter que la baisse des ‘résistances’ pulmonaires, phénomène très important dans l’adaptation néonatale, se fait en grande partie à la naissance mais se complète encore pendant quelques semaines. 



La persistance du canal artériel

Le canal artériel est un petit vaisseau sanguin, reliant l'artère pulmonaire (celle qui va du cœur aux poumons) à l'aorte descendante (celle qui amène le sang oxygéné vers les organes du corps humain et  au cœur également par les artères coronaires). Normalement, ce canal se referme dans les heures qui suivent la naissance, mais il arrive qu'il reste ouvert.
Comme une partie du sang ne part pas en direction des poumons, selon l'importance de l'ouverture, il est possible que bébé ait des problèmes d'oxygénation insuffisante du sang (vous entendrez parler de saturation), et que le rythme cardiaque soit plus élevé que la normale, le cœur cherchant à compenser le problème.
- Si le problème n'est pas trop important, les médecins chercheront d'abord à provoquer la fermeture du canal, avec l'aide de médicaments. Le bébé aura par ailleurs un apport en oxygène un peu plus important, pour éviter au cœur de trop se fatiguer.
- Si le problème persiste, il est possible que les médecins décident une intervention chirurgicale, pour refermer artificiellement le canal. Ils utilisent pour cela une technique fine qui permet d'avoir une cicatrice de petite taille et une récupération rapide. Selon l'état de santé générale du bébé, et selon la taille de la "fuite", cette opération peut avoir lieu quelques semaines après la naissance, ou quelques mois. Après l'opération, on constate rapidement une amélioration de l'état général.

A noter : certains médicaments (en particulier les Anti Inflammatoires Non Stéroïdiens = AINS) pouvant entraîner une fermeture prématurée du canal artériel du fait de leurs effets antiprostaglandines sont proscrits durant la grossesse. Après la naissance, ces mêmes molécules peuvent favoriser la fermeture d'un canal artériel persistant.

La communication inter-ventriculaire (CIV)

Le foramen ovale, dénommé anciennement trou de Botal, est une communication physiologique présente entre les deux oreillettes durant la vie fœtale, et normalement appelée à se fermer après la naissance. La persistance d'un foramen ovale perméable est cependant observée avec une grande fréquence (9 à 35 % des adultes jeunes) et serait possiblement impliquée dans diverses pathologies, dont la survenue d'accidents vasculaires chez des sujets jeunes. L'appellation « trou de Botal » (actuellement désuète) fait référence au médecin piémontais Leonardo Botal (1519-1588), qui s'intéressa à l'anatomie et au rôle de cet orifice. Néanmoins, le foramen ovale a été décrit pour la première fois au IIe siècle par Galien.

Le foramen ovale en physiologie foetale

Chez le fœtus, ce foramen peut, par excès de taille, aller jusqu'à créer une communication entre les ventricules du cœur, et permettre ainsi à une partie du sang de passer directement du ventricule droit vers le gauche. Normalement, ce trou se referme à la naissance, lorsque bébé passe du mode de vie aquatique au mode de vie aérienne. Si ce n'est pas le cas, et que son diamètre est exagéré au point de mettre aussi en communication les ventricules (ou qu'une autre anomalie anatomique de communication du septum inter-ventriculaire soit présente), du sang va passer du ventricule gauche, qui contient le sang oxygéné devant alimenter l'ensemble du corps, au ventricule droit, qui est chargé d'envoyer le sang chargé de gaz carbonique aux poumons. Ceci a deux inconvénients :

- Le débit sanguin du cœur vers le corps est réduit, puisqu'une partie du sang retourne directement aux poumons.
- Les poumons reçoivent le sang à une pression supérieure à la normale, ce qui peut les endommager: Hypertension Artérielle Pulmonaire = HTAP.

La gravité de la CIV dépend de la taille du trou. 

Une petite CIV peut perdurer toute la vie du sujet, sans lui causer de troubles particuliers. Le cardiologue se contente de surveiller régulièrement ces enfants. Elle peut se refermer progressivement, au fil du temps (ce qui est le cas de la moitié des CIV, au cours des 4 premières années de vie).

Si la CIV est moyenne, elle n'entraine pas de défaillance cardiaque, mais ne guérit pas spontanément, il peut être nécessaire d'opérer vers 4/5 ans, si le débit pulmonaire est trop important (HTAP importante).

Si la CIV est importante, il peut être nécessaire d'opérer rapidement le bébé, ce qui sera généralement fait entre 3 et 6 mois. Si les poumons souffrent, il est nécessaire de pratiquer plus tôt une première opération de cerclage de l'artère pulmonaire, pour empêcher une trop grande quantité de sang de monter aux poumons.

Rappels de l'hémodynamique humaine après la naissance : animation Flash proposée sous licence CeCILL-B

jeudi 15 mars 2012

SIX - AOÛT


Sentier menant du Plan de l'Aiguille à la Mer de Glace


"Si nous résistons à nos passions, c'est plus par leur faiblesse que par notre force." 
 - La Rochefoucauld, Maximes.



La grosse Mercedes s'engageait dans un long défilé rocheux, sorte de sillon gingival creusé au fil des siècles par les eaux du Trient à la base de la Dent du Fenestral. L'atmosphère austère et crépusculaire du secteur contrastait avec celle de la large vallée verdoyante aux lumières crues que le véhicule venait de quitter. Par quelques trouées sud, heureuses lucarnes percées dans cette forteresse de grisaille, dardaient, comme des coups de flash, les neiges étincelantes du massif du Mont Blanc trônant en retrait de sa cour altière d'aiguilles acérées.

Travelling en suivi et zoom avant sur l'habitacle de la limousine. Quatre passagers : une diagonale femme, une diagonale homme. Le conducteur, est lancé dans une diatribe enflammée qui relègue ses passagers au rôle d'intervenants mineurs autorisés à glisser des réparties lapidaires au profit de ses courtes inspirations. Karajan, baguette de feu à la main, s’adonne à une prestation bouillonnante. Il souligne les passages fortissimo de sa partition par des pandiculations spastiques. Le fait qu'il puisse négocier sans encombre le secteur routier tortueux dans lequel il vient d'engager son véhicule est un véritable mystère. Costume croisé bleu marine, chemise blanche, cravate en soie bleue striée de jaune - petite faute de goût, une pochette du même motif - permettent d'avancer des hypothèses sur la profession du tribun. Cadre supérieur, dynamique, c'est une évidence, patron de P.M.E ou gros négociant? Se retournant régulièrement, il désigne la victime de son réquisitoire, l'occupant mâle assis à l'arrière. Mâle, c'est peu contestable, victime, plus discutable. Absorbée dans la contemplation du paysage, l’homme semble imperméable aux traits que le conducteur décoche.

Plan américain sur Christophe, le paon du barreau qui fait la roue pour circonvenir les jurés féminins qu'il a requis la veille au soir. C’est un coup de fil suintant le cafard de son copain Hugo - le contemplatif de la banquette arrière – qui l’a poussé à organiser cette excursion en montagne. Sa tance verbale se veut électrochoc. Son pilotage de rallye-man peut renforcer l’effet thérapeutique souhaité. Les passagers s'accrochent aux vertus protectrices prêtées au Saint Patron des voyageurs, son patronyme. Une déception sentimentale est à l’origine d'un gros coup de cafard de son ami. Son geste altruiste est cependant un peu trop ostentatoire. Petit extrait du décapage haute pression qu'il inflige au patient: ʺ Gentes demoiselles, nous avons à bord une sorte d'aède claquemuré sur ses hauteurs. Pauvre comme Job, l’esprit paré d'idées fumeuses d’ancien soixante-huitard, des possibilités à la pelle laissées en friches, une épouse à la patience infinie et une maîtresse ardente qui ont fini par l'abandonner à ses dérives oiseuses. Elles auraient dû le pendre par la peau des couilles depuis des lustres. Replie tes grandes ailes l’albatros et viens rejoindre les rampants que nous sommes sur le chemin de la raison. ʺ

Le prince des nuées écoutait désormais la fustigation verbale avec un sourire en coin. Christophe se surpassait. Sa tirade avait du souffle. Il savait que l'autodidacte aux commandes était un as du bagout. Christophe dressait une satire un peu réductrice de ses dernières années. Elle avait cependant le mérite d'être haute en couleurs. Bien qu'encore un peu sous le choc de la métaphore douloureuse de la pendaison testiculaire, Hugo pointa calmement du regard le pare-brise tout en laissant tomber: ʺ Si le rampant veut continuer à coller à la chaussée - à moins que son palace roulant ne soit muni d'un pilote automatique - il ferait mieux de continuer à pointer ses yeux de biche en direction de la proue."

Il en fallait plus pour stopper l'homme d’action en mission quand ses bielles donnaient sous pleine pression. Il traversait les gares comme un bolide et ce n'est qu’un tender vide qui parvenait à l'arrêter. Ses auditeurs ébaubis par ses folles chevauchées oratoires finissaient alors par se reprendre, la machine donnant ses derniers hoquets. Cette fois, la bête humaine semblait vouloir pulvériser le tamponnoir en bout de ligne. Le sifflet crachait des jets de vapeur stridents: ʺTa philosophie foireuse de baba cool t'a fait perdre deux femmes qui ne demandaient un minimum de sécurité matérielle pour continuer à te suivre."

Christophe quêtait l'assentiment des passagères. Il ne tarda guère. Hugo était friand de ces scénarios entendus. Pour lui, les deux groupies du tribun étaient de l'espèce à patauger dans le convenu. Deux belles plantes apprêtées, deux natures généreuses irradiant le charnel. Hugo connaissait la blonde pulpeuse au décolleté mirobolant. Elle exhibait invariablement sur son étal "Wonderbra" ses deux pis munis d'un seul trayon. Hugo imaginait mal que ce fut son intellect grésillant qui ait tétanisé Christophe. Hugo, qui la connaissait depuis quelques années, ne prétendait pas que la fille était bête à manger du foin. Il considérait simplement qu’elle avait l’esprit pratique. Depuis sa prime adolescence, elle avait probablement compris que l'exposition avantageuse des secteurs chauds de son anatomie était un argument de poids pour s'adresser aux hommes. Un outil de ramassage exceptionnel que la mise en avant de ses nénés Tuperware.

Laura, la brune typée qui siégeait aux cotés d'Hugo, donnait dans un registre moins tonitruant que Célia. Hugo craignait cependant qu'elle peinât dans les dernières étapes de la mise au point de l'eau tiède. Depuis près d'une heure, elle le collait régulièrement. Les épingles serrées qui truffaient le parcours ne pouvaient être la seule explication du phénomène. Le regard qu’elle lui lançait à chaque contact laminait l'hypothèse. Il soupçonnait Christophe d'avoir mandaté Célia auprès de Laura pour lui demander de jouer "au pied levé" la thérapeute de service. Hugo connaissait le point de vue de Christophe sur la sexualité. Elle était pour lui la panacée des troubles de l'humeur, et en comparaison, les derniers antidépresseurs du marché, du pipi de chat. Hugo s'amusait de cette mise en scène cousue de fil blanc. Il ne savait cependant pas comment indiquer à la panthère frôleuse, sans la mettre dans l'embarras, qu'une thérapie copulative avait peu de chance d'aboutir aujourd'hui. Faire l'amour sans amour, quand la passion tarabuste encore, c'est mission impossible. Hugo se remémorait les phrases de Stendhal sur la passion amoureuse en phase de "cristallisation secondaire" : ʺ Ce bonheur si charmant, je ne le reverrai jamais! Et c'est par ma faute que je le perds! ... Si vous cherchez le bonheur dans des sensations d'un autre genre, votre cœur se refuse à les sentir. Votre imagination vous peint bien la position physique, elle vous met bien sur un cheval rapide, à la chasse dans les bois du Devonshire; mais vous voyez, vous sentez, que vous n'y auriez aucun plaisir. ʺ

Hugo croisait encore sur les eaux tempétueuses du sentimentalisme. Continuant à tirer un bénéfice de la rumination de ses souvenirs passionnels, il retardait sa guérison. Christophe avait mis à nu une veine aurifère. Il l'exploitait avec conscience à grands coups de pioche : ʺNotre ami s'accroche aux idéaux romantiques comme un naufragé à un radeau. ʺ

Sourires niais de connivence des expertes ès romantisme. De quoi décupler la fougue de Christophe. La cheminée de la machine s’orna d’un volumineux panache de fumée noire. Les idées phares des mouvements de libération de la femme avaient glissé sur son plumage comme l'eau sur celui du canard. Cet extrait de son discours abrasif en témoigne : " Un chiffre non nul suivi d’un bon nombre de zéros, voilà la nombre d'or de la relation homme-femme. La puissance du mâle des temps modernes est financière. Finie l'atout musculaire pour les femelles. L’âge des cavernes est révolu. Ce qu’on m'offre montre ce que je vaux. Arguments fallacieux que ceux qui voudraient minimiser l'attrait du pactole. Qui plus est, quand le quotidien a ratatiné la force des premiers émois. Face à l'avanie des ans, le phénomène s'amplifie encore. La célibataire part en chasse pour assurer ses vieux jours, avant de se retrouver hors argus. Haro sur le dernier mâle au portefeuille garni avant le désert. Tableau cynique mais lucide, Hugo. Tu dois respecter les règles du jeu social, les lois de la sélection naturelle.
- Mon Cricri d'amour (il savait que ce sobriquet mettait hors de lui le macho qui s’acharnait à éradiquer tout surgeon de féminité), mon Darwin joli, tu parles en éthologue averti quand tu arrêtes de compter tes biftons.
- Petite baisse des affaires, un enfoiré qui me fait soucis, une journée de repos, et je me laisse aller bêtement !
- Oui, jusqu'à te faire l'apôtre de l'incontournable "struggle for life". De là à soutenir que la plupart des femmes sont des intrigantes vénales? ʺ

Les deux femmes à cinq zéros discutaient entre elles depuis quelques minutes. Cela valait mieux. Elles comparaient leurs toilettes. Elles échangeaient adresses et conseils utiles. Des professionnelles du stimulus visuel, des angiospermes humains élaborant minutieusement la panoplie qui leurre le maximum de butineurs. Le "J'adore... Je déteste..." étaient les uniques options de leur langage binaire. On était loin du joli camaïeu des belles conversations, du subtil mélange des pastels de l'esprit. Pour être juste, Célia répondait mieux à la caricature. Laura semblait entrer dans son jeu par mimétisme courtois. C'est étonnant de constater à quel point certaines femmes imaginent penser en proclamant à tout va leurs penchants esthétiques, ou leurs rejets méprisants. Ces personnalités en tout ou rien sont peu convaincantes, tant sont volatiles leurs données mémoires. Le chargement se fait au gré des modes, des intérêts ou des toquades. Tel acteur fétiche est évincé un jour comme un "has-been", tel amant est victime du "housekeeping", tel lieu de villégiature passe de la case "top" à la case "plouc". Le grand vertige du frivole, du superficiel avide, du mimétisme frénétique.

La voiture venait de franchir la frontière franco-suisse. Elle filait vers Vallorcine. Hugo maîtrisait la technique du masque. Il pouvait paraître tour à tour attentif, enjoué, solidaire, tout en ne quittant pas un seul instant le fil de ses pensées. Un petit signal de rien du tout, une petite note d'émotion, et il s’éclipsait discrètement. La radio de bord diffusait un titre anglais. Hugo écoutait les paroles. Pourquoi, chaque fois qu'un éclat de réalité douloureuse tailladait sa sensibilité, un réflexe de bête blessée le ramenait-il à son refuge? Hugo semblait ne plus trouver du plaisir qu'à cultiver son jardin. Il pensait que seuls l'humour et la poésie avaient vraiment la capacité de rendre la vie supportable. La féerie des lieux, une musique qu'il aimait, Hugo oublia les zéros de Christophe. Il contemplait avec bonheur le Massif des Aiguilles Rouges. Tout au bout, le Brévent. Ils seraient bientôt à l'étape: Chamonix Mont-Blanc. À sa gauche, les deux langues râpeuses à papilles bleu vif des glaciers d'Argentière et de la Mer de Glace léchaient la rocaille, salivant leurs névés. Certaines personnes sont oppressées par la haute montagne. Ses perspectives brutes, sa beauté sans artifice, rassuraient Hugo. Les trois autres occupants, conquis à leur tour par le spectacle, finirent par se taire. Intuitivement, ils percevaient peut-être que cela valait mieux, plutôt que d'accoucher de saisissantes fadaises. C'est dans un silence recueilli que s'accomplirent les derniers kilomètres. La vue de l'hôtel de luxe où Christophe avait fait ses réservations signa la fin de l’état de grâce. Elles émirent les gloussements enthousiastes propres à flatter le mécène.

En ce début de mois d’août, l'hôtel était bondé. Une clientèle cosmopolite parcourait les couloirs. Les Japonais, friands d'escalade, portaient le flambeau de l'équipe du soleil levant en vieille Europe. La colonie anglaise constituait cependant le gros du bataillon de la légion étrangère. Le bon coté des stations alpines en été, c'est que la frange de population aisée évite les accoutrements de parvenus quasi obligatoires en hiver dans les stations huppées. C'est comme si, en cette saison, la montagne poussait ses hôtes à plus d'humilité.

La quadrette française avait décidé de se retrouver au bord de la piscine après que chacun eut pris possession de ses appartements et passé une tenue de bain. Guidé par ce qu'il supposait être le tact porté à sa quintessence, Christophe avait réservé trois chambres. Il ne doutait pas un seul instant qu'une d'entre elle ne devint rapidement superflue. Comme on peut l'imaginer, le rendez-vous en bordure de piscine réjouissait plus particulièrement les tourterelles, tout excitées à l'idée de s'afficher dans des maillots "dernière collection d'été". Christophe, depuis quelques temps, avait vu son abdomen s'orner d'une brioche d'homme installé et ses flancs de belles poignées d'amour. Il fit contre mauvaise fortune bon cœur, n’envisageant que le coté positif de l'affaire : il pourrait se faire une idée exacte de la plastique de la belle brune que Célia avait si souvent vantée. En plus, si Hugo ne se montrait pas à la hauteur, il pourrait tenter sa chance. Sa générosité pouvait donc s'entacher à l’occasion d'une pointe d'utilitarisme.

Hugo fut le dernier à se joindre au groupe. Sa silhouette restait protégée au virage de la quarantaine. S'allongeant entre Laura et Christophe, il provoqua l'autre "quadra". Lui tapotant la bedaine, il rappela la maxime: "Bon coq n'est jamais gras."
- Plusieurs gourgandines, pourraient te dire qu'il existe des exceptionsʺ.

Christophe ne réalisait pas que sa riposte risquait d'heurter sa compagne. Malgré les précautions accumulées lors d'escapades frauduleuses dont Hugo avait été parfois le confident, il venait lamentablement de baisser sa garde pour un léger direct au foie. Célia fit la sourde oreille. Son prosencéphale terrassait le cerveau reptilien. Alchimie plus complexe qu'on ne le croit que celle des humeurs internes du cerveau humain. Quant à Hugo, un courant mnésique nourri remontait en direction de son cortex. Les yeux fixés sur l'Aiguille du Midi, il ruminait en masochiste la beauté perdue d'une scène du printemps dernier. Ce n'était pas l'éclatant couvert neigeux des cimes qui illuminait ses pensées, mais la blancheur mousseuse d'un verger en fleur.

Il était allongé dans un champ vert de mai maculé des dernières toquées de primevères. Le balancier de la pendule ralentissait. Les oiseaux figeaient peu à peu leur vol palpitant pour se poser sur la toile d'azur comme des idéogrammes gracieux. L'heure propice suspendait son cours. Il revoyait le merveilleux visage. Ses yeux riaient, sa bouche s'offrait. L'opulente chevelure noire donnait l'envie irrépressible d'y enfouir le museau pour humer le capiteux parfum qui s'y nichait. Quelle union labile et contre nature que celle de cette beauté radieuse empreinte de fraîcheur et de grâce avec cette aura de sensualité qui ondulait au gré du souffle chaud de la brise printanière. À l'époque, il avait été foudroyé par l'instant. La dépendance allait suivre. Il eut fallut effectivement que le temps s'arrêtât avant de tout abîmer, avant que la souffrance ne s'attaque rageusement à cet éclair de bonheur. Hugo n'avait pas le tempérament slave et n'appréciait pas la volupté des pleurs et des gémissements. Il avait cependant constaté qu'une douleur d'intensité proportionnelle remplace la perte d’un grand bonheur. Douleur-bonheur, le fameux couple oxydo-réducteur. L’équilibre est à ce prix. C'est sans doute l'explication de la peur qu'on éprouve au décours des rares instants de la vie où l'on est sûr d'aimer. L'objet devient si précieux que la crainte de sa perte, ou de sa simple érosion, voile la belle lumière. De lourds nuages d'orage s’avancent, accompagnés de cliquetis de chaînes. Contrairement à la liberté, la passion n’autorise pas à les choisir. Ce tyran vous jette au cachot au moindre marivaudage. Enivrante régression que la passion amoureuse.

Le spationaute fut ramené sur terre par un procédé drastique: le choc thermique. Hugo venait de recevoir un glaçon sur le ventre. Il fit un bond. Laura avait observé avec bienveillance son escapade onirique. Elle s’en prit immédiatement à Christophe, l'auteur de la bonne farce: "Si tu lui foutais un peu la paix! Un chagrin d'amour, c'est si ridicule que ça. Difficile à comprendre pour un butor!"

Le collégien resta sans voix. Exceptionnel! Hugo désamorça l'affaire, signalant d'un air détaché après voir jeté un œil au bleu souverain du ciel: "Qui aurait pu imaginer que le temps allait tourner à la grêle?".

Hugo était touché par le geste de Laura. Son jugement antérieur était trop plein d’a priori. La légèreté des propos de la jouvencelle n'impliquait pas une incapacité à regarder les êtres avec une certaine profondeur. Du fait de son introversion opiniâtre, Hugo, à l’inverse, ne regardait plus la vie des autres que du bout des yeux, toisant avec méfiance l'espèce humaine, confondant altérité et hostilité. Il prit enfin le temps de détailler sa voisine. Elle portait un maillot de bain frôlant l'infinitésimal qui ne cachait rien de sa plastique de rêve. Son beau visage aux traits méditerranéens était illuminé par de superbes yeux verts. En période de deuil affectif, les messages visuels de ce type sont normalement shuntés. Hugo était-il déjà en voie de la guérison? Il trouvait Laura très désirable, certes, mais souhaitait-il succomber pour autant au désir? Assez douteux.

LAURA
Tranche de vie étonnante. Il se trouvait au beau milieu des Alpes, allongé à coté d'une femme dont il ne connaissait rien six heures plus tôt. La coque qui avait peu à peu enkysté son cerveau social se craquelait comme la gangue d'une graine le printemps venu. Vivre c'est faire corps avec la planète. Hugo sentait monter en lui une sève nouvelle. Il posa à Laura cette question abrupte: ʺEs-tu capable de me suivre sans poser la moindre question? ʺ

Les oreilles de Christophe se dressèrent. Hugo passait à l'action alors qu'il sentait que le scénario qu'il avait élaboré la veille prenait l'eau. Clap de tournage d'un épisode croustillant. L’observation détaillée de Laura en maillot de bain avait stimulé son imaginaire et avivé ses sens. Sa posture en décubitus ventral dissimulait les conséquences anatomiques d’un pareil émoi chez un homme en maillot de bain moulant. Laura prit Hugo par la main pour l’aider à se lever, puis le mena vers l'hôtel. Arrivés dans le couloir qui conduisait aux chambres, Hugo y alla d’une autre proposition qui ne cadrait pas avec ce qu'elle imaginait: "On se retrouve dans cinq minutes en chemisette, short et chaussures de sport. Prenez tout de même avec vous un pull chaud et un pantalon, si vous en avez dans votre valise. On mettra le tout dans le sac à dos qui me sert aussi de sac de voyage." .

Avait-elle affaire à un simplet? Quoi qu’il en soit, elle devait tenir sa promesse et abandonner ses plans de stage de remise en forme par le Kamasoutra. Elle le rejoignit quelques minutes plus tard dans la tenue requise. Arrivés sur un pont de la petite cité alpine qui enjambait l’Arve, Hugo dévoila enfin une partie son projet: "Nach der Grosse Balkon durch la Kaaskadeux du Dard, spaurtiveux Jungfrau aux mollets de Walkyrie. Nous pouvons atteindre le nid d'aigle en quatre heures."

Hugo fixa le visage stuporeux de Laura, le regard narquois. Il lui posa un doigt sur la bouche pour l'aider à tenir sa promesse. Ils quittèrent la station et prirent la direction des Pèlerins. Sous les coups de deux heures, début août, le soleil, haut dans le ciel, frappe le sol de ses rayons courts, porteurs d'une forte composante infrarouge. Plus simplement, si l'on néglige l'explication physique qui ne manque pas d'intérêt mais s'avère un peu trop technique, ça cogne fort et ce n'est pas la meilleure heure pour entreprendre une expédition. Ils étaient désormais au pied d'un sentier de randonnée balisé. Un panonceau dont les inscriptions étaient précédées de figures géométriques colorées indiquait : "Cascade du Dard 1 h. - Plan de l'aiguille 4 h."

Hugo se tourna en direction de Chamonix pour lancer une imprécation: "Adieu société fébrile, adieu populace besogneuse, ou pas. Laura, faites un dernier signe à la civilisation. Le yéti peut vous enlever en cours d'escalade."
Riant, Laura se conforma à la demande. Tout en exécutant un large au revoir, elle y alla d’un commentaire égrillard : " Peut-être un fameux coup, la bête?". Hugo se mit à siffloter la chanson de Brassens "Gare au gorille ... ii…ille...". Tout en s'intronisant premier de cordée, sur le même ton que Laura, il ajouta: "Attention, les mœurs du simien sont méconnues. Imagine ta déception et l'épreuve qui serait mienne, si, à mon corps défendant - je précise - défrichant le terrain à mes dépens, j'apportais aux scientifiques stuporeux une terrible révélation authentifiée par un sphincter anal en loque: le yéti est pédé comme un phoque."

Pouffant de rire, ils attaquèrent l'ascension des lacets à fort pourcentage qui striaient le flanc nord-ouest de la Montagne de Blaitière, première assise du Massif du Mont Blanc. Sur une carte IGN, la représentation de cette portion de sentier a l'allure d'un tire-bouchon. On débutait tonique pour des marcheurs du dimanche! Au bout d'un quart d'heure, inévitablement, les muscles des jambes mal entraînés commencèrent à regimber. Le souffle court n'empêchait pas tout dialogue. Mine de rien, complices dans l'effort, ils échangeaient peu à peu des propos plus intimes. Hugo apprit que Laura vivait seule depuis quelques mois, suite à l'échec d'une relation de plusieurs années avec un homme marié. Des disputes incessantes de fin de parcours avaient précipité l'issue. Son ami n'avait jamais voulu s'investir dans des projets matériels rassurants. Le travers que Christophe avait reproché à Hugo. On commençait à dominer la vallée. Bruits et agitation s'amenuisaient à mesure de l’ascension. Les réalisations humaines commençaient à prendre la taille de maquettes. Nos alpinistes franchissaient un pont de bois sommaire qui enjambe le Dard, un petit torrent affluent de l'Arve. On l'entendait crouler en cascade quelques mètres plus haut. Hugo et Laura s’agenouillèrent pour boire son eau fraîche recueillie au creux de leurs mains. Hugo proposa à Laura d'effectuer une petite pause. Assis sur un rocher, elle avait de belles couleurs et une fine buée couvrait son visage et ses bras. Sa respiration reprenait tout doucement un rythme normal :

ʺSi je comprends bien, dit Hugo, tu recherches un homme qui saurait s'engager dans tous les domaines. Et le grain de folie dans tout ça? Je pourrais t’écouter sans y aller de mon avis. Mais ce serait agir comme si les gens se confiaient sans attendre un point de vue en retour. Je te propose de jouer au "Jeu de la Vérité". Quand ça fonctionne, ça fait souvent gagner un temps fou. On se connaît à peine. Cela évite de se perdre dans les liens affectifs et les souvenirs qui nuisent à la synthèse rapide. N'as-tu pas constaté que lorsque l’on ne sait plus quoi penser de quelqu'un, le temps passant, il existe un petit truc pour s'en sortir? Revenir à l'impression première. L'essence de l'être était là. Marquant un temps d'arrêt, Hugo engagea le jeu sans crier gare avec un service canon. Je pense que ton ami a traîné à s’engager parce qu'il ne te sentait pas assez fiable. L'as-tu trompé? 
- Oui, pour lui montrer ce qui finit par arriver quand on tergiverse trop. Je l'ai fait par dépit ou défi, pas par plaisir. Un revers lifté et Laura réexpédia la balle de l'autre coté du filet. Je crois que ton problème à toi, c’est que les femmes finissent par avoir honte d'être acoquinées à un fauché.
- Probablement, mais les sentiments devraient être plus forts que ça. Imaginer la femme qu'on aime abandonnée dans les bras d'un autre (je pense, qu'en la circonstance, on ne t’a pas violée ?), cela ne serait-il pas un poison à action lente, ou même, le dynamitage radical d’une relation sentimentale ? Plus de confiance, plus d'amour. On rêve tous égoïstement, ou naïvement, d'un amour exclusif, d'une trajectoire sans tache.
- Vivre sans le sou tue les projets. De plus, j'ai cru comprendre que tu avais balancé un bon bout de temps entre ta femme et ta maîtresse. Foutue tache dans une romance! Hugo ne pût s'empêcher de poser un baiser furtif sur le front de Laura qui s'animait plus que de raison au fil de la conversation.
- Moi aussi la pierre ponce m'attaque la peau. C'est seulement à ce prix que nous pourrons retrouver nos fesses de bébé Cadum. ʺ

Reprendre l'ascension ne fut pas une mince affaire. On attaquait à nouveau un secteur à fort pourcentage. Tout en peinant sur le gril de la pente, chacun se remémorait les propos de l'autre et préparait des contre attaques ou des boucliers argumentaires. La végétation se clairsemait. Les arbustes remplaçaient les conifères majestueux du pied de la vallée. La flore devenait plus insolite. Les digitales pourpres faisaient place à de grosses renoncules jaunes. L'air était plus léger et les rayons plus vifs. Les pierres incisives, les passages ardus, mettaient à rude épreuve les chevilles. On parlait peu désormais pour ne pas montrer à l'autre qu'on souffrait. Laura venait de prendre la tête. Hugo pouvait contempler à son aise la belle marcheuse. Malgré une tenue bien quelconque, elle conservait une grâce et une élégance rares. La beauté de certaines femmes, de façon mystérieuse, a la capacité de résister aux accoutrements qui nuisent aux autres. Elle faisait partie de cette espèce exceptionnelle. Aucune explication logique au phénomène, pas plus qu'à l'essence du charme d'ailleurs. Si un jour les apprentis sorciers du génie génétique nous programment l'être-dit-parfait, Hugo se sentait rassuré. La beauté resterait toujours aux mains du hasard. Pour lui, elle ne procédait pas de la recherche de canons. Ceux-ci n’apportaient qu’une froideur esthétique, comme celle que dégagent les statues techniquement rigoureuses. Seuls certains artistes, médiums du subtil, peuvent capter dans leurs transes des éléments du mystère et sous l'emprise de l'inspiration, inclure dans leurs œuvres quelques pépites prises aux mailles.

Laura cherchait son second souffle. Deux heures s'étaient écoulées et l'on n'était qu'à mi-chemin. Une deuxième halte fut décidée d'un commun accord. Hugo sortit de son sac un sachet de fruits secs qu’il avait acheté dans un magasin de la station alpine au moment du départ. Ils se restaurèrent en silence. Fallait-il poursuivre la joute engagée? Après quelques minutes de récupération, le cerveau à nouveau bien oxygéné, Hugo décida de parfaire le décapage en cours :
ʺPour toi, est ce que le bonheur est une caverne d'Ali Baba dont le sésame est "portefeuille ouvre-toi"?
- Pour toi, est ce que c'est irresponsabilité et dépendance? J'ai vu un film, de je ne sais plus de qui, où un enfant décidait d'arrêter de grandir parce qu'il trouvait la vie adulte trop cruelle: " Le tambour", je crois. Tu refuses de grandir. Tu as peur des responsabilités, de l'échec, tout bêtement ! ʺ

Laura venait de viser juste. Elle avait touché la zone gâchette qui déclenche la douleur exquise. En pareil cas, Hugo savait enclencher les faux fuyants, ou, comme on l'a vu, s'exiler dans son imaginaire. Cette analyse de la midinette attachée au programme de recherche de l'eau tiède tintait comme un signal. Il décida cependant de décocher un dernier smash pour ne pas laisser croire qu’il abandonnait trop facilement la partie :
 "Toi, tu ne penses qu'à gagner. La vie t'a gâtée en te dotant d’un physique avantageux. Tu oublies le fameux "Noblesse oblige". Tu campes sur le paraître éphémère. L'ironie tue facilement une beauté sans profondeur, dit-on. Cherche aussi à rayonner du dedans. Le manque de curiosité intellectuelle amène souvent une forme de complexe chez ceux qui perçoivent que ce n’est pas le cas de leurs interlocuteurs. Méfiance et d'agressivité en découlent parfois. 
- Mais quel con suffisant! Un con solitaire en plus, qui a fait le vide autour de lui, comme tout frimeur pseudo intello méprisant et vaniteux.
- Seule la vérité blesse. Les propos hautains de l’être immature que je suis ne sauraient affadir l'éclat d’une comète au firmament. La bave du crapaud, etc. ʺ.

Ils se regardaient l'un et l'autre d'un œil mauvais. Comprenant tous deux à l’instant que le jeu avait fonctionné à merveille, ils se tapèrent dans la main en riant comme deux joueurs de la même équipe qui ont réussi à marquer un beau point. La connivence s'était installée. Ils pouvaient abandonner le pesant rapport de forces et les propos de cour. A en croire les articles pseudo scientifiques de journaleux en mal de lignes qui tirent des conclusions foireuses de certaines études zoologiques abusivement extrapolées à l'homme, on se devrait de prôner l'incontournable loi de la jungle. L'espèce en pointe d'évolution, pour survivre en société ou dans le milieu du travail, devrait faire preuve d’un froid individualisme. Le fantasme du grand prédateur solitaire ferait oublier nos maigres quenottes et nos ongles manucurés. Les fourmis ne se débrouillent pas trop mal dans un registre plus social. Débat de spécialistes. Un élan de tendresse, une aile se soulève pour protéger, et Hugo emmène une poulette en montagne pour une balade de plus de quatre heures. Qui eut pu prévoir cette séquence éthologique? 

L'esprit enfin apaisé, les duellistes remisèrent leurs épées au fourreau pour reprendre l'ascension. Cette fois, ce fut Laura qui se fit généreuse et modératrice:
- Je suis bien avec toi. C'est une bonne idée ta randonnée.
- Une déclaration en pleine ascension ? On veut déstabiliser l'adversaire ! Moi aussi, je suis bien en ta compagnie, et je suis sûr que ce n'est pas du au mal des montagnes. Je te vois ici, fraîche et sans artifice. Cela me plait énormément. ʺ

Le regard que lui adressa Laura valait tous les remerciements en réponse à son compliment. La citadine ne parlait plus. Elle se trouvait en surchauffe sous un soleil qui pourtant avait déjà décliné. Les corps s'arc-boutaient, les pas devenaient pesants et les foulées courtes. La progression était désormais rythmée par de profondes expirations. Malgré un bronzage déjà bien installé en ce début de mois d'août, la peau des deux randonneurs était à vif. Hugo décida de couper court sous le Plan de l'Aiguille pour rejoindre plus rapidement le sentier du Grand Balcon. Il restait encore une bonne heure de marche, mais le sentier allait bientôt suivre scrupuleusement la courbe de niveau des 2200 m. Ils serraient les dents. Laura resta fidèle à son engagement. Elle ne demanda pas une seule fois: "Quand c'est qu'on arrive? Y'en a encore pour longtemps?".

Un vent léger, souffle divin, poussait depuis quelques minutes les marcheurs. Laura s'accrocha au sac à dos d'Hugo, mimant le remorquage.
- Encore un petit effort avant d’entrer dans le royaume enchanté. Tu m'as épaté. Demain on fait l'ascension du Mont-blanc.
- Pouf, pouf, j'en connais un qui crâne alors qu'il est carbonisé. ʺ

La pente était raide pour rejoindre le sentier. Hugo prit la main de Laura pour la tirer sur quelques hectomètres. Ils seraient bientôt rendus. Hugo profita du passage d'un ruisselet pour s'arroser copieusement le visage. Dieu que Laura était désirable. Hugo la prit par la taille et posa sa tête au creux de son épaule. Elle se serra contre lui très fort. Le désir était présent mais ils percevaient que la jouissance n'apporterait rien de plus. Leurs corps se séparèrent. Une demi-heure plus tard, on était pratiquement à destination. Il était six heures et demie  et le soleil avait déjà abandonné en grande partie la vallée. Il allait plonger derrière le Brévent. Une vapeur souple et douce montait de la montagne. L'émotion est un animal aux mœurs crépusculaires.

Deus ex machina, déboulant le flanc de la montagne, un drôle de personnage, style baba cool époque Maha Vishnu, vêtu d'une sorte de sari serré à la ceinture par une corde, fonçait sur eux emporté dans la pente. Il avait des sandales aux pieds et un sac de toile sur l'épaule. Une courte barbe noire cerclait le bas de son visage. Sa longue chevelure sombre était nouée en arrière. Le zombie atterrit sur le chemin pratiquement sur les pieds d'Hugo qui le saisit par le bras pour stopper sa course folle. Deux yeux de braise dans un visage d'allure sémite le fixèrent avec intensité. Ils s'illuminèrent rapidement d'un éclair d'ironie : "Il faudra tout de même que je me débarrasse de ces fichues sandales quand je suis en montagne. Mais enfin, vous comprenez, le look ça compte. Mon Père répète qu'à force de changer sans cesse d'apparence, je vais finir pas ne plus être reconnu par personne."

Ah bon ! ce gaillard qui n'avait que la peau sur les os était une célébrité. Mais ce qui intriguait Laura et Hugo, c'était le magnétisme qui se dégageait du personnage. Il vous regardait et cela vous donnait l'impression qu'il perçait votre âme et vous comprenait mieux que quiconque. Hugo lui proposa de faire un bout de chemin en leur compagnie: ʺNous allons nous installer dans les parages. Partageons le repas du soir.
- Volontiers, répondit l'homme qui prit la tête du convoi. 
Hugo et Laura se regardèrent avec un sourire amusé. La grande confrérie des montagnards, la franche camaraderie des routards du crépuscule, la belle équipe de la crapahute alpine. Au bout de dix minutes, le personnage étrange se retourna pour dire : "Je pense qu'ici, l'endroit est bien choisi". Il montra du doigt un terre- plain herbeux. "

Ce fut un surprenant pique nique de début de soirée. La bouffée euphorisante qu'on perçoit au décours d'un dur effort physique faisait son effet sur Hugo et Laura depuis quelques minutes. On allait assister à un superbe coucher de soleil. Le vent faisait onduler les grandes herbes dans un bruissement de pastorale. Derrière eux, les cimes enneigées prenaient des teintes orangées. Un moment d'équilibre pendant lequel on se sentait faire corps avec Mère Nature. La paix montait de la terre accompagnée d’effluves de bonheurs d'enfance. Rêve et réalité se confondaient. La découverte est le sel de la vie. Hugo se souvenait de la phrase d’un cinéaste français: "Libre à vous de ne désirer vivre qu'une seule vie. Chaque roman qui m'a plus, chaque film que j'ai aimé, chaque tableau qui m'a ému, chaque musique qui m'a fait vibrer, m'a enrichi d'une autre vie. Je serais fort triste aujourd'hui d'abandonner le souvenir d'une seule d'entre elles.".

Leur compagnon de route sortit de sa besace un quignon de pain et une outre en peau qui contenait du vin frais. Il procéda au partage. Le repas terminé, il prit congé en ces termes: "Il faut que je continu. Il n'y aura donc pas même une pierre sur laquelle je puisses reposer ma tête!". Presque à l'unisson, Hugo et Laura lancèrent: "Mais reste avec nous, rien ne presse."

Il leur fit un clin d’œil en guise d'adieu et s'évanouit dans le crépuscule. Laura posa sa tête sur l'épaule d'Hugo. Tous deux contemplaient un somptueux ciel de couchant. S'y étalaient des orangés intenses, des vermillons palpitants, des pourpres capiteux, des ors pailletés, des flammèches de carmin et quelques coulées d'outremer profond. Persistait çà et là des enluminures blanc pâle. Le spectacle avait une mouvance kaléidoscopique. La lumière décroissante amenait imperceptiblement ces couleurs à se fondre en toile de nuit. Ils découvrirent soudain en contrebas un vieillard à la longue barbe blanche de patriarche et à la crinière d'argent en partie dissimulée sous un galurin cabossé maculé de taches de peinture. Il était installé devant un chevalet de campagne, le visage face au couchant. Apparition cinématographique à la Méliès accouchée par un nuage de fumée? Le vieux peintre, cigarette au bec, grommelait : " Foutu ciel ! Ça ne sert à rien de te débattre. Cette garce de cathédrale gigotait aussi dans la lumière, mais j'ai fini par la chopper jour après jours, heures après heure."

Il s'aperçut que deux spectateurs l'observaient en silence. Il changea de ton et pointant sa toile commenta interrogatif: "Ça change un peu des nymphéas non? Moins émollient, plus tonique, vous ne trouvez pas? Contemplant Laura un instant, il enchaîna sans attendre la réponse. Jolie femme, monsieur. Peut être un peu plate pour certains de mes confrères rapins friands de rondeurs? Mais pour ce qui me concerne, un modèle idéal. Si vous acceptez un soir de poser pour moi, madame, j'en serais très flatté. ʺ

Le pépé restait gaillard. Hugo et Laura étaient fascinés par son tableau. On se demandait ce qu'il voulait encore peaufiner? Quelle impression cherchait-il à mieux retranscrire? On avait affaire à un maître de la lumière, pas de doute.

ʺC'est l'heure, dit-il soudain, il faut que je rentre. ʺ. Il plia laborieusement son chevalet avec ses doigts gourds et rangea couleurs et pinceaux dans une grande boîte en bois rectangulaire qu'il passa en bandoulière. Clopin-clopant le bonhomme se mit à descendre vers la vallée. Ils remontèrent alors tous deux la pente en direction du terre-plein. Décidément, la montagne au crépuscule était un lieu de grand transit. Une sorte de vagabond approchait. C'était un grand gaillard vêtu d'une tenue fin dix-neuvième, fort élimée aux plis. Quand il fut à leur niveau, Laura constata qu'il avait un superbe visage. Ce qui frappait immédiatement, c'était ses yeux d'un vert étrange qui restaient pénétrants dans l'obscurité qui se faisait peu à peu: ʺPuis-je faire quelques pas en votre compagnie jusqu'à votre auberge, bons bourgeois, dit-il, le sourire aux lèvres. J'y ferai halte quelques instants, mes croquenots me font terriblement souffrir. ʺ

La nuit tombait. L'homme s'assit sur le pas de porte de l'auberge "À La Grande Ourse", puis délaça ses souliers râpés. Passant un doigt au travers d'un large trou dans la semelle de ses chaussures mal colmaté par une feuille de vieille gazette, il ponctua son geste d’un commentaire amusé: " L'homme aux semelles de vent!... Puis-je vous enlever la jouvencelle, Monsieur, et faire quelques pas en sa compagnie. Sa présence inspirerait le rimailleur le plus stérile.
- Ce n'est pas à moi de répondre. Je pense simplement que l'homme de bonne compagnie que vous êtes, à l'évidence, ne peut d'aucune manière mélanger sublime poésie et vile gaudriole.
- Pour une fois que Paul n'est pas à mes basques, laissez-moi m'épancher sans souci d'éclats en direction du beau sexe.
– Bon, je resterai un assis qui pleure son cœur volé.
- Marchons, Monsieur, enchaîna Laura, et laissons là ce pleurnicheur. ʺ 

Tout en marchant, il lui dédia ces vers sublimes:

"Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue ;
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:
Mais l'amour infini me montera dans l'âme ;
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme."


Une nouvelle surprise attendait Laura à son retour. Hugo n'était pas seul. Un petit homme perruqué était assis à ses cotés, portant une tenue époque Louis XVI. Un anachronisme de plus! Donnait-on dans les environs un bal costumé? Les deux hommes devisaient joyeusement. Laura entendait les éclats de rire hauts perchés en fusée de la nouvelle apparition. Hugo fit les présentations : "Ravi de faire votre connaissance, Mademoiselle. Vos charmes sont infinis. Votre maintien me rappelle celui de Constance, une femme que j'ai beaucoup aimée il y a fort longtemps. Il faut que vous sachiez que je suis venu ici pour vous offrir un petit morceau de ma composition."

L'homme avait un affreux accent germanique. Il se tourna en direction de la vallée où palpitaient encore quelques lumières rappelant la présence des hommes. Levant les bras au ciel, sa main droite tenant une baguette imaginaire, il prit la direction d'un orchestre invisible. Un adagio s'éleva dans les airs. Il avait la splendeur de ce soleil couchant, la fragrance des vers donnés, la ferveur du regard de l'homme au pain et au vin, la beauté de cette soirée étrange en montagne. Laura se blottit contre Hugo. Ils rayonnaient tous deux.

De cette histoire, Hugo et Laura ne reparleront à quiconque. L’un et l’autre se poseront cependant éternellement la question de savoir à quel moment la réalité avait basculé dans l’imaginaire, si cela avait été vraiment le cas? Le désir, c’est certain, prend parfois des chemins buissonniers pour parvenir à ses fins. Est-il vraiment utile en la circonstance de chercher à démêler le faux du vrai ? Hugo avait commencé à tourner la page d’une passion amoureuse qui marquerait le livre de  sa vie et influerait sur la suite de sa vie amoureuse.

Ces événements se déroulèrent dans la nuit du six août, fête de la Transfiguration pour les catholiques. Si l'on s'en réfère aux textes bibliques, il y aurait près de deux mille ans, par une belle soirée, trois hommes seraient montés avec un grand Galiléen sur le Mont Thabor. Leur compagnon, transfiguré soudainement, se serait mis à irradier une lumière aveuglante. Il paraît, selon Sartre, que l'émotion est une chute brusque du monde dans le magique, l'intuition de l'absolu d'un objet dissimulé par un voile que peut-être demain nous verrons dans la lumière.



Pierre TOSI -  Juin 1993 – 
Liste des nouvelles du recueil


Dent du Fenestral - Pierre TOSI - juin 1992