jeudi 28 février 2008

The Big Lebowski


Dans l’entreprise teintée de nombrilisme qu’est la tenue d’un blog, quelques billets foireux dont un regrette amèrement la mise en ligne trop hâtive remettent rapidement en place le narcissisme de départ. Cependant, le plaisir simple du partage avec les visiteurs de quelques coups de cœur, vous donne à la va-vite l’absolution. J’aborde ce billet avec la fringance d’un yearling canalisant mal encore la jubilation que m’a procuré il y a quelques années la vision d’un film des frères Coen (Ethan et Joël, on finit par l’oublier). Sous la mitraille des productions cinématographiques à la chaîne, blasé, cela devient rarissime de se voir pleurer de rire comme un simplet devant son téléviseur. «The Big Lebowski» a eu chez moi cette vertu dont ont bénéficié mon système cardiovasculaire et mes alvéoles pulmonaires. The Dude, post-soixante-huitard américain amateur de bowling et sa brochette d’éberlués de haut-vol, m’ont embarqué sans crier gare dans leurs délires «no limit». Attention, pour ceux qui sont passés à coté, ça part dans tous les sens! Les morceaux de bravoure comiques tombent à la cadence des projectiles lancés par plusieurs batteries d’orgues de Staline. Du coup, c’est bien difficile d’extraire du pilonnage une scène phare. Mieux vaut alors parler des nommées : John Turtorro, Jesus Quintana, en combinaison moulante d’un mauve exquis sur fond musical d’ «Hotel California», mouture Gipsy Kings, se trouve sans contestation sur le podium en compagnie de Julianne Moore, Maude Lebowski, pour son happening pictural acrobatique déjanté. Son séide teuton, esthète cinéphile aux gloussements maniérés a droit également aux honneurs. Je n’ai pas encore vu « No country for old men » qui vient de recevoir l’oscar du meilleur film. Plus violent, paraît-il? Alors en attendant, on se refait une ligne du strike du gracile éphèbe.


mardi 26 février 2008

"Le testament français" ou quand un Russe nous donne une leçon d'écriture.


"Et puis, ce soir, je compris que ce n'était pas les anecdotes qu'il fallait rechercher dans mes lectures. Ni des mots joliment disposés sur une page. C'était quelque chose de bien plus profond et, en même temps, de bien plus spontané : une pénétrante harmonie du visible qui une fois révélée par le poète, devenait éternelle. Sans savoir la nommer, c'est elle que je poursuivrais désormais d'un livre à l'autre. Plus tard, j'apprendrai son nom : le Style. Et je ne pourrais jamais accepter sous ce nom des exercices vains de jongleurs de mots."
Andreï Makine - "Le testament français"
A juste titre de nombreux prix littéraires ont récompensé "Le Testament français", roman qui traite de la double identité. Dans un style magnifique qui vous incite à lire l'ouvrage d'une seule traite, Andreï Makine offre au lecteur en 1995 un texte envoutant, poétique et plein d'authenticité. Voilà un livre qui me conforte dans l'idée qu'on publie de nos jours un peu n'importe quoi. Qu'un écrivain de nationalité russe donne la leçon à nombre de nos écrivassiers ne manque pas de sel. Je vous conseille fortement la lecture de ce roman qu'on aurait du promouvoir avec la mention: "Satisfait ou remboursé".

lundi 18 février 2008

Les odeurs dans les chemins de fer... La beauté d'Ava Gardner






La coquetterie devrait m’inciter à taire le fait que j’ai connu enfant le crépuscule des machines à vapeurs. Ce symbole phallique de taille respectable pourrait avoir participé à la résolution de mon Œdipe. Enfant, je faisais le cauchemar récurrent de me trouver dans une gare de triage où des locomotives à vapeur arrivaient de toutes parts, tentant de m’écraser malgré ma fuite éperdue en tous sens. Alfred Hitchcock aurait pu emprunter ce scénario onirique pour un de ses films! J’ai mis fin un matin à cette affaire en me rendormant calmement, l’idée en tête, qu’après tout, ce n’était jamais qu’un rêve, et qu'il fallait au moins une fois dans sa vie tenter l'expérience de passer sous une locomotive... Bon, à mon avis, en vrai, ça doit faire mal. Mais le truc a fonctionné: fin du cauchemar récurrent et de l’anecdote.
Pour revenir à plus de pragmatisme et indiquer que certaines interprétations psychanalytiques sortent souvent des rails, je dois préciser que mon père travaillait dans les chemins de fer comme inspecteur à la direction du personnel. Pour me faire plaisir, il m’avait conduit un jour au dépôt et fait entrer dans la rotonde, essaim bourdonnant de monstres d’acier éructant vapeur et jets de fumée. Un mécanicien en manœuvre m’avait même autorisé à monter dans sa machine. Face à la "devanture de la loco" truffée de manomètres, leviers, volants, régulateurs et engins mécaniques époustouflants, il m’avait montré comment actionner le sifflet à vapeur: le petit bonhomme que j’étais bichait comme un pou, on peut l’imaginer. Ce sont plutôt les recommandations insistantes et protectrices de mon père quant au danger "absolu" de traverser les voies de chemin de fer sans l’autorisation du chef de gare qui m’avaient plongé dans l’interdit cristallisant mes angoisses. Cela me rappelle l'anecdote du psychiatre qui s'emballe sur l'utilisation à outrance de la couleur noire dans un dessin d'enfant et qui part sur une théorie inquiétante de pathologie psychiatrique sous-jacente. Le père sera vite rassuré sur le chemin du retour par son gamin lui indiquant que tous les autres crayons avaient la mine cassée.


Les locomotives, pour m'échapper en douceur du sujet, sont pour moi avant tout symboles de voyages. Les plaques apposées sous les fenêtres avec leurs inscriptions cabalistiques «Do not lean out of the window», «E pricoloso sporgersi (le père y colle au zoo ce porc de Gersi)», «Nicht hinauslehnen», participaient déjà à l'aventure. Bruit des tablettes qu’on tire au moment du casse-croute, claquement sec du couvercle des cendriers en aluminium, filets à bagages bombant sous l'attirail des vacanciers, cadres en verre vissés au dessus des sièges proposant des photos en noir et blanc de sites géographiques français remarquables. Bruit infernal aux passages acrobatiques des soufflets, dignes d'une attraction foraine, le vacarme assourdissant dans les tunnels et par dessus tout, l’intense vertige de pisser dans les toilettes dans un grondement sourd en observant le défilement rapide des traverses de voies en contrebas par l'orifice de la cuvette! Et par la fenêtre du compartiment: le spectacle hypnotique du déroulement infini de la portée musicale des poteaux télégraphiques avec par endroits des croches oiseaux, l’arrivée sournoise, fenêtre ouverte, de panaches de fumées grouillant d’escarbilles mordantes, le passage éclair des sémaphores et par temps de pluie, l'étrange parcours des gouttes d'eau sur l'extérieur des vitres. Les gares aux quais luisants de mica, le spectacle passionnant du dételage et de l’attelage d’une nouvelle machine, le son rassurant des coups de marteaux des contrôleurs sur les roues des bogies des voitures (mon père précisait que le commun des mortels disait "wagon" alors que le terme n'était réservé qu'aux trains de marchandises). La porte du compartiment qui s’ouvre suivie du salut jovial mais professionnel du contrôleur. Quelques explications techniques complémentaires du paternel sur la notation à trois chiffres servant à la classification des locomotives selon la succession des roues porteuses et des roues motrices et la 132, panache en tête, entrait en gare de Menton. C’était alors un nouveau choc : une Côte d’Azur de carte postale d’avant le grand bétonnage. Celle du film de Hitchcock, on y revient: «Le chat / To catch a thief ». Bien sûr, ma mère, sitôt arrivés dans la location, s'empressait de me laver les mains et de me débarbouiller le visage: "Tu as la bouille d'un chauffeur." me disait-elle.


Révolue l’époque des garde-barrières, des châteaux d’eau avec leur manchon pour ravitailler les machines. Plus de tenders, de chauffeurs couverts de suie, cigarette au bec. Images floues du passé, le ballet des bielles actionnant des roues monstrueuses, les gerbes de vapeur en bordure de quais qui faisaient bondir les femmes surprises avant de les envelopper dans un nuage aux grands rires des mécaniciens. L’écologie y a gagné ce que la poésie a perdu. C’est désormais bien moins triste un train qui siffle dans la nuit…
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samedi 16 février 2008

La grande illusion de la "der des der"



Mon fils aîné me demandait récemment quel était mon film français préféré? Quelques secondes d’hésitation... En pareil cas vous avez deux solutions: pour faire intello, sortir un titre exotique, introuvable à moins de connaître le dernier possesseur de ses bobines en voie de corrosion; passer pour un conservateur tristounet et bondir sur «un classique» unanimement encensé. Délai atteint. Choix de l’option deux: «La grande illusion» de Jean Renoir -1937.

J’ai du regarder ce film un nombre de fois pouvant justifier à lui seul l’invention des puissances de 10. Pas fanatique du tout des films de guerre, c’est pour moi un des rares avec « Apocalypse now » de Coppola qui sonde avec pertinence les abysses du délire humain légitimé, autorisant dans certaines circonstances le meurtre avec la bénédiction d’hommes de pouvoir peuplant ces profondeurs. Le film, d'ailleurs, ne propose aucune image de guerre. De nombreuses études et critiques ont été pondues sur l’œuvre de Jean Renoir, et sur ce film en particulier. Bien entendu, un de ses thèmes tourne autour de la tolérance dans un contexte qui s'y oppose. Oui, il explique la difficulté de s’affranchir des liens de classe, même si les circonstances le souhaitent pour le bien commun. Exact, peu de choses à redire quant au style, aux acteurs et à la qualité du montage. Evidemment, on se doit de louer les messages qu’il délivre… Mais... tout ne s’exprime pas avec de simples mots. Un «je-ne-sais-quoi» à la française, enrobé d'un nuage de tendresse parfumée, d’humour populaire, de sentiments forts et une touche d’aristocratie finissante donne à cette œuvre un charme peu commun. Tous ses personnages sont attachants parce que tous profondèment humains.
De manière très personnelle, je ne ferai mention que de la scène de la discussion entre Erich von Stroheim et Pierre Fresnay dans les appartements du chef de la prison citadelle. Elle a été tournée au Haut-Königsburg et constitue à mes yeux un des points d’orgue du film. Le pot de géranium entretenu avec soins et tendresse par l’aristocrate allemand, officier et directeur de la forteresse, seul symbole végétal apportant une note de poésie à cette immense salle parfaitement austère, réunit les deux hommes autour de lui. Avec une élégance qui "fleure" déjà une époque évanescente, ceux-ci discourent avec courtoisie et unissent peu à peu leurs points de vue. Ils se résignent à l’augure de la proche disparition de leurs idéaux ainsi qu’à celle de la classe à laquelle ils appartiennent. Elle les maintient solidaires malgré la guerre qui tend à les séparer. Un petit bijou. Chapeau bas, Monsieur Renoir.


lundi 11 février 2008

SMOKE




SMOKE - 1995 -

Les choses les plus précieuses sont plus légères que la fumée. «Smoke», film de 1995 réalisé en collaboration par Wayne Wang et l’écrivain juif américain francophile Paul Auster repose sur un scénario tout simple ainsi que la présence à l’écran d’une équipe d’acteurs épatants de laquelle on peut ressortir la prestation magistrale d’Harvey Keitel dans le rôle d’Auggie le patron de la «Brooklyn Cigar Company». C’est autour de son établissement que tous les personnages gravitent et finissent par confier les drames personnels à la base de leurs itinéraires de vie. On retrouve en filagramme des nouvelles de Paul Auster et le personnage de l’écrivain en panne d’inspiration a une part autobiographique probable. C’est lui qui, dans le chapitre introductif du film, nous raconte l’anecdote historique enjolivée du stratagème employé par l’ingénieux Sir Walter Raleigh, navigateur, aventurier et écrivain anglais, très en faveur à la cour de la reine Elizabeth I qui lui avait posé la gageure de trouver le poids de la fumée émise lors de la combustion d’un cigare.

Simple et attachant, ce film exhale des volutes mauves de tendresse voilant un temps la rudesse de ce monde de brutes. A inhaler sans modération avant que le film soit interdit en salle et réservé aux uniques projections en extérieur.

lundi 4 février 2008

Mémoires de Doc Gynécobst


L’accouchement glamour : textes enthousiasmants de Laurence Pernoud, photos esthétiques des périodiques dédiés à la naissance montrant des nouveaux nés immaculés faisant risette à l’objectif, purée, ça me donnerait envie d’être le premier homme à accoucher ou tant pis, le second, si on compte Mastroianni.


L’accouchement ordinaire : j’ai aidé (pas trop contrarié j’espère) un bon millier de femmes à mettre leurs enfants au monde au cours des mes stages internes en Maternité et mes 10 années de remplacement dans la spécialité de gynécologue accoucheur. L’esprit vif, au bout de ce court laps de temps, j’ai compris que les femmes n’en feraient jamais qu’à leur tête, mettant au monde leurs enfants à n’importe quelle heure du jour (passe encore) ou de la nuit (ça passe beaucoup plus mal) ! C'est là que j'ai pris la décision de tester ce que pouvait être une vie de famille du milieu de la courbe de Gauss. Cette mise au point d’ordre personnelle cherche à donner un peu de crédibilité à la mise en garde qui suit : « Croyez-moi, l’accouchement est une épreuve humaine rarement poétique ou esthétique. Peu d'accouchements se rapprochent en fait de la version glamour. L’accouchement zen c’est l’exception. »


Loin de moi la volonté de décourager les partantes pour l’aventure mais il est honnête de les préparer à la réalité. La naissance est une parenthèse dans le temps qui se joue étrangement entre vie et mort. Au décours d’un accouchement on observe presque toujours une bascule plus ou moins fugitive entre ces deux grands mystères humains. Deux petites graines et neuf mois plus tard, un truc venu d’ailleurs qui braille entre vos bras, encore plus éberlué que vous de son passage brutal du milieu aquatique au milieu aérien bourré de découvertes plus stressantes les unes que les autres. Bien sûr on avait de belles images échographiques du futur doudou, mais là, le couple devenu brusquement triangle, est confronté à du tangible et perçoit vite que le plus gros du boulot reste à venir et pour un nombre d’années conséquent avec un nouvel être. La vie appelle à pleine bouche, parfait et rassurant en somme, mais avant :"Est-ce que tout allait bien se passer? Est-ce qu’on serait à la hauteur de l’événement? Le bébé serait-il « normal »? et autres interrogations anxiogènes du style ?"


En phase dite élégamment « d’expulsion » (du sans-papiers ?), quand il s’agit d’être efficace et de faire sortir le bébé rapidement pour éviter l’anoxie, combien de femmes épuisées par l’attente anxieuse ou un travail long et difficile ne pensent-elles pas un instant à la mort : celle de l’enfant à naître ou même à la leur? Parfois, l’équipe obstétricale mal aguerrie surajoute sa propre angoisse, masquant difficilement son inquiétude croissante quand l’affaire tourne au vinaigre. Episiotomie, utilisation de forceps, délivrance hémorragique, révision utérine, décision de césarienne en urgence, autant d’éléments qui font qu’on s’éloigne fréquemment de la naissance image d’Epinal à l’eau de rose des magazines. Un temps indéterminé plane dans la salle de travail le spectre de la mort. Certaines femmes le verbalise même clairement entre deux efforts expulsifs en disant « Docteur, je n’en peux plus, je vais mourir ». Interrogeant mais amis obstétriciens pour savoir si je n’avais pas une vision d’illuminé, un brin morbide de la chose, ceux-ci m’ont confirmé avoir ressenti souvent aussi cette balance mystérieuse. Quelques-uns, pompeux, allaient même jusqu’à affirmer que cet événement humain à fort potentiel psychologique offrait une part mystique et de noblesse à leur profession. Bon, en moins littéraire, on perçoit cependant un événement riche en affects contradictoires pour le couple et parfois aussi, pour l’équipe obstétricale.


Pour illustrer le sujet je vais vous narrer un accouchement remontant à de nombreuses années dans une petite maternité vosgienne. La mode était au dictat de la présence paternelle au moment de la naissance. Le géniteur par sa présence rassurante pouvait épauler la mère dans les moments difficiles. Première grossesse ici, donc comme souvent, travail long et progression difficile du bébé dans la filière pelvienne. La sage femme et moi-même haranguions la parturiente pour accroître l’efficacité de ses efforts expulsifs à une heure avancée de la nuit. Coup d’œil sur le visage du géniteur : proche du livide. « Vous êtes sûr de vouloir rester. Oui docteur, ça va ! ». Je demande à la sage femme de préparer la boîte d’épisiotomie. Ce geste obstétrical consiste à inciser sur quelques centimètres le périnée de la femme quand on constate que celui-ci bombe dangereusement au point de se déchirer et d’entraîner des dégâts pelviens aux conséquences fonctionnelles néfastes dans le futur proche ou éloigné de l’accouchée. Le geste est légèrement sanglant et nécessite ensuite une réfection chirurgicale minutieuse. Efficacité du geste, manœuvres rapides d’aide à l’expulsion et sortie du bébé couvert de vernix et de sérosité sanguinolentes dans un flot de liquide amniotique. On s’éloigne bien du bébé immaculé de légende. Grand bruit dans le dos de la sage femme et de l’accoucheur. Le père vient de tomber dans les pommes et de s’ouvrir le crane sur le radiateur de la salle de travail. Pas de jaloux, il aura droit lui aussi à ses points de suture même si c’est sur un autre secteur anatomique. Le choix historique entre la mère et l’enfant se corsait ce soir du fait de la survenue brutale d’une troisième option: le père. Une heure après et deux séances de couture pour le prix d’une, tout le monde était en chambre. Catgut pour tous! On en mettait encore à l’époque sur le cordon du bébé en plus du clamp de Bar hémostatique en métal.


Happy end : Le papa étant boulanger, viennoiseries à volonté pour l’équipe le matin même !


NB : la pratique actuelle quasi systématique de l’anesthésie péridurale a considérablement réduit la pénibilité du travail de l'accouchée et de la sorte une part de la dramaturgie.


Stéthoscopes obstétricaux