vendredi 26 mars 2010

Copains d'avant-hier

Note: prudent face à la bêtise humaine, je tiens à signaler que les commentaires des photos de ce billet sont à prendre au second degré. Actuellement, pareil préambule peut avoir son utilité...

CE2 - École Jules Ferry - JARNY - 1959-60
Photo 1 : la Communale

Le port quasi général de la blouse grise des élèves de cette classe ne rend pas aisé sa datation: entre 1900 et 1950? On note cependant l’arrivée de la blouse bleue ras du cou assez proche de la camisole de force, mais portée un peu plus courte et libérant les bras.

-L’élève sortant du lot : le Champion de l’Univers et au-delà du jeu de chiques dans la catégorie ""la bille au trou ". Capable, les yeux bandés et le dos tourné au terrain de jeu, de faire rentrer dix billes adverses en un seul lancé.
-Localiser le Webpupil : port de l’élément vestimentaire «tendance» cité plus-haut, associé au pantalon adapté à la cueillette des fraises. Poussée de croissance probable.


CM1 - École Jules Ferry - JARNY - 1960-61
Photo 2 : les fayots

Les élèves, dans une pose naturelle, font montre de leur belle assiduité et d’une voracité peu commune pour les beaux ouvrages. La répartition des places - grand paradoxe censé stimuler les cancres et qu’il faudrait m’expliquer - se fait du premier de la classe en face du bureau de la maîtresse jusqu’au dernier tout au fond et pas systématiquement à côte du radiateur.

-L’élève sortant du lot : variation en Mi bémol sur l’intitulé de la photo, le plus grand péteur de la Meurthe et Moselle à l’Oural. Capable de faire feu sur ordre, même aux cadences élevées, et de transformer, à lui seul, une salle de classe en chambre à gaz. Il martelait au décours de ses variations intestinales - souvent en Do Majeur - le court poème que nous avions découvert un jour au milieu de graffitis ornant la façade d’une maison en ruine: « Un pet est un gaz asphyxiant qui sort du cul et qui fait pan ! ».
-Localiser le Webpupil : pas difficile, blouse de belle facture portant son prénom.

CM2 - École Jean Macé - VANDOEUVRE - 1961-62

Photo 3 : les Grands

Déménagement des parents pour la capitale de la Lorraine. La concurrence scolaire s’intensifie et il faut en passer par l’initiation dévolue immanquablement au nouveau de la classe. Parmi les élèves, quelques propriétaires d’écuries de «Dinky Toys» de niveau international.

-L’élève sortant du lot : le chef du commissariat local fut promu dans la semaine suivant la descente qu’il avait organisée dans la cave de la famille d’un des élèves de la photo. Record de prise de pièces détachées de mobs et autres véhicules hybrides. Il faut entendre ici des engins reconstitués à partir d’éléments du stock obtenu en désossant d’autres montures de provenance rendue obscure grâce à la méthode.
Localiser le Webpupil : pas difficile, toujours la blouse portant les armoiries de la famille...


6ème A1 - Lycée d'État de VANDOEUVRE - 1962-63
Photo 4 : les bizuts

Pour les jeunes générations pensant avoir découvert les « Converse ».

-L’élève sortant du lot : le roi de l'embrouille, l’hypocrite de compétition. A lui seul, ce gougnafier pouvait revendiquer les superlatifs dans les domaines de la veulerie, de l’obséquiosité, de l’onctuosité, de la fourberie, du pharisaïsme et du mensonge. Mielleux, soumis, patelin, cauteleux, servile, tricheur et faux jeton de première. Citer son nom ne procéderait même pas de la délation, car il est possible qu'il ait depuis usurpé une fausse identité.
-Localiser le Webpupil : celui qui porte un polo que les pratiquants du sport extrême plein de noblesse qu’est la pétanque s’arrachent les derniers modèles sur les places des marchés de France et de Navarre.

5ème A1 - Lycée d'État de VANDOEUVRE - 1963-64

Photo 5 : là, ça rigole plus

Discipline de fer imposée par Fräulein Professor von Mathématiqueux. Le premier qui rigole se prend une schlague. Le chouchou de la prof est au premier rang avec une veste rayée. Normal qu’il soit le chouchou, c’est le seul de la classe à avoir un nom de rue de Nancy à son nom. En fait, je rigole, la prof était sympa et bien loin d’être une tortionnaire.

-L’élève sortant du lot : on va dire que c’est déjà fait.
-Localiser le Webpupil : maillot de supporteur d’un célèbre club girondin.


4ème B2 - Lycée Jacques Callot de VANDOEUVRE - 1964-65

Photo 6 : le spectre

Bien des années avant la mise au point d’outils performants de localisation des ectoplasmes par l’équipe de « SOS fantômes », le photographe scolaire a réussi à fixer sur la pellicule un avatar de créature plasmatique prenant possession d’un élève. En bonus, un élève voulant faire espion quand il serait plus grand mais qui a dû se reconvertir en direction de la Magistrature, faute de mieux pour sauver le Monde.

-L’élève sortant du lot : un glandeur de première ayant obtenu une moyenne annuelle de 19 /20 dans toutes les matières. Le genre de machin qu’on devrait bannir d'une classe pour ne pas démobiliser tous les autres.
-Localiser le Webpupil : seconde poussée de croissance l’affublant d’une autre variété de pantalon citée plus-haut. Il existe un concurrent sérieux au premier rang. Les chaussures de montagne en peau de grizzli portées hors-saison le désignent.

2ème C1 - Lycée Jacques Callot de VANDOEUVRE - 1966-67

Photo 7 : phosphore plus très récent

Concentration de cerveaux peu commune. Votre serviteur, par soucis de vérité, plus que d’humilité, doit s’extraire du lot. Kyrielle de futurs élèves ayant intégré de grandes écoles.

-L’élève sortant du lot : là je sèche un peu. Allez, celui qui mâchonne un cure-dent pour se donner un genre.
-Localiser le Webpupil : le même pull que l’année précédente. Ma mère avait prévu large en ne lésinant pas sur les pelotes de laines nécessaires à sa confection.


Terminale D1 - Lycée Jacques Callot de VANDOEUVRE - 1969-70

Cliquez sur les photos pour les agrandir


Photo 8 : la débâcle


Cliché de la classe provenant du club photo du lycée. Grosse chute de la qualité des tirages. Relâchement dans les poses et postures requises habituellement pour ce cérémonial. Les mœurs, elles aussi, semblent s’être dissipées. Grand Dieu! à y regarder de près, il semble bien que certains élèves miment l’affichage d’affinités électives contre nature. Pire encore, serait-il possible qu’il y ait parmi ces garçons plein de vigueur et de détermination quelques invertis, et faudrait-il rejoindre des études scientifiques sérieuses, indiquant une recrudescence du phénomène dans ces années de décadence? L’explication tiendrait au fait qu’avant on les pendait haut et court pour éviter qu’ils se reproduisent entre eux! Non... c’est impossible… cette année la classe de terminale D1 a réussi le grand chelem dans la Coupe du Proviseur: handball, football, volley, rugby (et j’ajoute haut et fort, aucune épreuve de cyclisme). Autant imaginer que certains de nos rugbymen puissent être gays, ou pire encore, qu’un ou deux «Bee Gees» soient carrément homosexuels. Faut pas pousser mémère dans les orties tout de même... À noter, ce qui n’a rien à voir avec ce qui précède, qu’on trouve au sein de cette classe, 7 futurs médecins ou chirurgiens dentistes et pas un seul futur proctologue.

-L’élève sortant du lot : un pianiste remarquable, grand prix du conservatoire de piano de Nancy, adulateur de Chopin, qui, un jour, à brûle pourpoint, adressa à votre serviteur cette phrase qu’il n’a jamais su s’il devait la prendre pour un compliment : « Machin et moi, nous nous disions que ton charme latin te permettrait sans problème de finir ta vie au bras d’une riche héritière texane… après une grande carrière de gigolo. ». Encore un inverti, c'est probable!
-Localiser le Webpupil : le plus beau de tous...

BONUS : ces deux photos retrouvées sur un site portant un nom assez proche du titre du billet...

 PREMIÈRE D1 - Lycée Jacques Callot de VANDOEUVRE - 1968 - 69 
2 C3 - Lycée Jacques Callot de VANDOEUVRE - 1967-68

jeudi 25 mars 2010

Deux blagues au passage





Ces deux histoires proviennent d'un des fournisseurs habituels du blog.

Le professeur demande à l'élève le temps auquel sont conjugués les verbes de la phrase qui suit: « Ils ne voulurent pas avoir d'enfant, mais ils en eurent six.»

L'élève répond : « C'est au préservatif imparfait. »

*
Deux amis se retrouvent après bien des années et décident d'un repas chez l'un d'entre eux pour évoquer le passé.

- Pour venir à la maison, c'est très facile. J'habite au 17 de la rue Talman. Avec ton coude, tu tapes "B2174", c'est la code d'ouverture de l'entrée, puis tu donnes un coup de pied en bas de la porte pour l'ouvrir. Avec ton coude tu appelles l'ascenseur et tu bloques la porte avec ton pied car la fermeture est rapide. Tu fais la même chose pour appuyer sur le bouton du 5ème étage.
- OK !
- Ma porte est juste en face de l'ascenseur. Tu n'auras qu'à appuyer sur la sonnette avec ton coude, et on viendra t'ouvrir.
- Mais... Je ne comprends pas très bien. Pourquoi je dois donner des coups de pied dans les portes et utiliser mon coude?
- Simon ! Tu ne vas pas arriver les mains vides quand même...

mardi 9 mars 2010

Triste Lisa


Monsieur Schmidt constatait avec plaisir que le soleil gagnait enfin en vaillance au cœur de ce printemps timide. Un je-ne-sais-quoi qui s'éloignait de la tiédeur molle de ses débuts flottait dans l’air comme une promesse de beaux jours à venir. Le vaste bois du parc du château offrait en ce milieu d’après-midi quelques clairières accueillantes aux lumières mousseuses. Celle qu’avait choisie Monsieur Schmidt pour faire une halte avait le mérite de disposer de plusieurs bancs bien exposés. Ceux-ci étaient pris d’assaut par les promeneurs encouragés par cette heureuse évolution météorologique. La silhouette d’une jeune fille blonde charpentée et bien en chair se dessinait dans le transept architecturé par la hêtraie. Les fûts bordant l'allée rectiligne menant à la clairière constituaient des piliers dont les hautes branches se rejoignaient en arches. Elle avançait à vive allure. Téléphoner dans une cathédrale! La jeune fille avait l’oreille rivée à cet appareil qu’on nomme sans fil mais qui vous ligote sur 98% du territoire national. Une voie d'eau propice à l’irruption des tracas du quotidien, narrés par des correspondants zélés, ou plus souvent encore, désœuvrés. Preuve à l’appui : arrivée pratiquement à sa hauteur, son appareil à nuisances à peine raccroché, Monsieur Schmidt la vît aussitôt fondre en larmes. Elle s'affala à l’autre bout de son banc comme prise d’un soudain vertige. Reniflements d'otarie au milieu de furieux sanglots. Plus jeune, voulant faire montre d’une éducation raffinée ou plus exactement d’une lâche discrétion, il se fut levé comme si de rien n’était, laissant la fille à son chagrin. Désormais, il pensait qu’il avait tout au plus à craindre de passer à ses yeux pour un barbon pervers qui abordait les jouvencelles désemparées, profitant d'un moment de détresse. Il souhaitait juste lui adresser la parole pour tenter de la réconforter:

- Et soudain le monde s’écroule, Mademoiselle ? Elle ne lui enjoignit point de s’occuper derechef de ses oignons. Qu’il s’occupe des siens eut été superfétatoire, elle avait fini de les éplucher.
- Les hommes sont de beaux salauds !
- Vous vous adressez à un Martien, jeune Vénusienne, et le Martien pourrait vous renvoyer le compliment s’il n’était parfaitement averti de tous les quiproquos qui tiennent au fait d’être nés sur deux planètes si différentes. Chagrin de cœur, semble-t-il ?
- Une amie vient de me dire que mon mec sortait avec une de mes bonnes copines.
- Un grand classique, en somme. Et vous n’avez pas remercié cette amie charitable de vous avoir appris qu’on vous avait débarrassée d’un idiot? Au travers des larmes, Monsieur Schmidt vit la prunelle de la jeune fille se teinter d’une vague lueur d’intérêt. Votre sincérité rafraichissante m’encourage à vous rappeler la parole du philosophe : « Si vieillesse pouvait, si jeunesse savait. »
- C’que j’sais maintenant, vous parlez du méga plus dans la connaissance du monde !
- Et ne l’apprendre qu’après avoir échafaudé bien des plans sur la comète concernant votre idylle eut été moins douloureux?
- J’sais pas. Faut p’t’être mieux rien savoir en pareil cas?
- Alors, faites-moi confiance, c’est peu probable. La vie est un chemin radieux traçant son sillon en plein cœur du bonheur. Il offre quelques belles perspectives sur des contrées aux terres tout aussi riantes que celle que vous venez d'entrevoir. Je continue avec les citations pour éviter un claquage musculaire dû à un arrêt brusque dans mon élan philosophique: « Gardez-moi de mes amis, mes ennemis, je m’en charge ». Et si vous préférez : « Qui tombe n'a pas d'amis, trébuchez seulement pour voir. »
- C’est vrai, j’ai senti la balance à l’autre bout du fil me vanner en douce en me déballant son scoop , enchérit-elle dans son jargon, comme s’il venait de viser juste.
- Si c’était vraiment le cas, et pas une pointe de paranoïa de votre part, vous voilà dans l’opportunité de vous débarrasser en sus de quelqu’un d’autre qui ne méritait nullement ce qualificatif. Les vrais amis sont rares, bien que je ne doute pas du fait que vous en possédiez plus d’un.
- C’est l’expérience d’un vieux qui s’est ramassé beaucoup de gamelles qui vous fait dire ça, hein? Monsieur Schmidt sentait qu’on l’engageait en direction de dialogues de reality shows piliers de l'éducation sentimentale des adolescents du moment en synergie avec la tchatche sur MSN. Elle s’exprimait dans une langue qu’il arrivait cependant à traduire à peu près.
- Vous pouvez le dire. C’est pour cela, pour ne vous citer qu’un exemple, que je garde éteint la plupart du temps le téléphone portable que m’ont offert mes enfants, surtout quand le Printemps s'installe.
- Et comment vous savez, vous, que vous avez affaire à quelqu’un qui va pas vous trahir ? répondit-elle en essuyant quelques larmes résiduelles.
- Trahir, tout de suite les grands mots! Une possibilité, serait de passer maître dans l’art de simuler la gamelle, comme vous dites, tout en guettant du coin de l’œil ceux qui s’empressent de venir vous relever. Mais je vous déconseille la technique. Vous risquez de rester des heures à attendre à même le sol. La position est inconfortable et peu gracieuse.
- Alors, faut pas me reprocher de préférer de faire l’autruche !
- Pas plus élégant comme posture! En fait, j’ai appris vraiment un seul truc au décours de mes cascades: c’est parce que l’on se connaît mal qu’on choisit mal ses relations, en général, et ses amours, en particulier. Ainsi, on dit souvent aimer quelqu’un comme il est alors qu’on a en tête le secret espoir de changer chez lui tout de même quelques détails qui irritent. Difficile de vivre en compagnie d’êtres dont on n’aime pas un peu les défauts. Pour bien savoir ce que l'on désire, il faut apprendre à connaître ceux qui pour vous seront rédhibitoires.
- Et pour vous, c’est quoi le pire ?
- Difficile, ma liste s’allonge d’année en année. Après avoir marqué un long temps de réflexion, Monsieur Schmidt finit par dire: c’est qu’une femme picore dans mon assiette quand je mange en sa compagnie.
- Vous me charriez !
- Oui, bien sûr, mais c’est pour vous faire comprendre que même une ânerie du genre cache parfois des motifs plus profonds de discorde.
- Mon copain faisait ça souvent. J’aurais du me méfier !
- C’est vrai, c’est dégoûtant, hein? il n’avait qu’à choisir la même chose, c’est un envieux ou un être indécis !
- Ou quelqu’un qui veut tout partager avec vous? Mais, s’il faut attendre d’avoir votre âge pour avoir fait le tour du listing des méfiances ça je ne pourrais pas supporter à la longue, ma vie va pas être torride pendant un bail !

La paire de seins pléthoriques qu’elle exhibait sous son nez par le biais d’un décolleté vertigineux et les fessiers callipyges qui mettaient à rude épreuve la robustesse du tissu de son jean ras du pubis aux moindres mouvements de son bassin pouvait laisser envisager à Monsieur Schmidt que cette hypothèse tragique la contrariait un tantinet. A la limite du lynchage public par une horde de militantes de mouvements, cette fois, de libération de la femme, ce genre de pensées secrètes. Délire d’oppresseur de la femme qui imagine que certaines de leurs tenues pussent être portées dans des buts incitatifs, voire limite du commercial, alors qu’elles ne se voulaient qu’exposition d’une féminité rayonnante assumée, bien dans sa peau, même au point de risquer de furieux coups de soleil sur certains territoires habituellement protégés. Monsieur Schmidt explora du regard rapidement les alentours. Aucune hyène déchiqueteuse de machos ne semblait embusquée dans les environs munie d’un détecteur de pensées.

- Irrévérencieuse jouvencelle, vous faites fi de l’avertissement du poète : Que vos beautés bien qu’elles soient fleuries / En peu de temps cherrons toutes flétries / Et comme fleurs périront tout soudain. On n’en n’a jamais fini d’apprendre sur soi-même, bien que je pense tout de même que c’est au début qu’on fait les choix amoureux les plus ahurissants !
- Si jeunesse écoutait les vieux alors ?
- Mais les vieux cons ne viennent plus que de la lune, planète étrange peuplée d’habitants aux mœurs tout aussi abscons pour les ressortissantes de Vénus. Comment imaginer un seul instant qu’ils aient pu vivre des aventures comparables aux vôtres? Un abîme abyssal ne peut que vous séparer de nos générations à l’esprit ravagé par un obscurantisme abrutissant ne nous ayant laissé en souvenir qu’un piètre univers onirique peuplé de mièvreries platoniques. Je tenais simplement à vous dissuader de vous évertuer à vous croire amoureuse ou aimée quand en fait il est surtout question de désir, charnel ou de réassurance.

Monsieur Schmidt percevait que son argumentaire ampoulé passait fort mal et qu'il s'était totalement trompé sur le genre de jouvencelle en détresse qu'il souhaitait charitablement aider à surmonter son chagrin. Il tentait en vain de mettre du baume au cœur d’une nymphette qui préférait probablement se complaire dans cet état qui pouvait l’enfler d’importance aux yeux de ses amies ou lui laisser augurer de joyeux règlements de comptes alambiqués, échafaudés en compagnie de comparses tout aussi avides qu’elle à jouer de belles scènes outrancières de déréliction morose ou de furieuse hystérie vengeresse comme le font les bimbos des séries américaines qui gavent la grille des programmes de nos chaînes. Monsieur Schmidt comprenait qu'il avait fait de son mieux mais qu'il n'existait aucun tour de passe-passe capable de guérir à la hussarde le chagrin d’amour de ce type de midinette dont il ignorait jusqu'à l'existence terrestre. Celle-ci repartait invariablement, comme soumise à une envie irrépressible, en direction du monde exquis des rancœurs tenaces, en quête d’explications plausibles quant à la cruelle trahison dont elle était l’innocente victime.

- Il est déjà quatre heures. Je dois vous abandonner…
Peu convaincante, la jeune fille, lui demanda alors, plus par pitié, lui semblait-il, que pour le remercier de son geste, si elle pourrait le joindre à l’occasion pour lui donner quelques nouvelles ou lui demander quelques conseils subsidiaires. Étrange façon, quoi qu'il en soit de se débarrasser d'un importun. Monsieur Schmidt assistait en direct à une conduite à risque d’adolescente communiquant sans méfiance ses coordonnées téléphoniques au premier venu.
- Vous m’avez dit que vous aviez un portable. Allumez- le, je vous passe un appel pour échanger nos numéros.
- Ah bon ? On peut faire cela. Je ne connais même pas mon numéro par cœur...
- Donnez-moi votre machin, je vous montre comment on fait !

Alors qu’elle s’adonnait à de savantes manipulations des deux claviers, surgissant d'on ne sait où, un clone brun de cette adolescente se campa en catimini derrière le banc. La seule option qui permettait de différencier ce modèle de l'autre était le port d'un string rose bien visible au niveau des hanches du fait d'un bustier fort court. Le sien devait remonter jusqu'aux aisselles vue l'oblique de son tracé. La sournoise banda traitreusement les yeux de mademoiselle Barbie avec ses mains. Cris d’effrois et piailleries d’usage de deux complices manifestant bruyamment le bonheur ineffable, sauf au moyen de cris, de se croiser à nouveau après tant de minutes d’éloignement.

- Qu’est ce que tu fais ici, gourdasse !
- Faut que j’ t’en apprenne une rude !

Monsieur Schmidt saisit son téléphone à la volée au décours de la frénésie des retrouvailles. La chère tête blonde avait reposé le sien machinalement sur le banc, dans la seconde qui précédait. Muni de sa canne, clopin-clopant, il se dirigea vers l'allée et reprit paisiblement le cours de ses rêveries printanières. Le vieil homme se trouvait désormais à bonne distance.

- Qui c’était le mort vivant avec qui tu parlais, Lisa ?
- J’sais pas un vieux schnock qui devait s’emmerder et qu’a commencé à me faire un plan glauque sur les conneries à éviter dans sa vie amoureuse. Tu vois le délire !
- Un pépère pervers, ou p’tête bein un pédophile qui se rabattait sur toi, faute de mieux ?
- Tu regardes trop les infos. Juste un gaga raseur échappé de l’hospice !
L’histoire sentimentale cruelle que traversait la jeune blonde capiteuse ne semblait pas l’inciter au suicide éclair. Les fous rires en cascade ne sont pas des signes classiques pouvant faire redouter un tel passage à l’acte. Monsieur Schmidt pouvait être tranquille.
- Dis, c’est pas ton portable que j’entends. S’échappait effectivement de l’appareil un son assez proche de la voix d’un correspondant en ligne.

Monsieur Schmidt venait de s’engager dans l’allée du sous-bois. La jeune fille porta le téléphone à son oreille.

- Je tiens à vous signaler Mademoiselle Lisa que vous n’avez pas raccroché votre portable…

Tout en continuant à tourner le dos aux deux nymphettes, Monsieur Schmidt glissa son téléphone cellulaire dans la poche de son veston, puis, sa canne bien plantée en terre, s’arrêta un instant pour lever bien haut sa «dextre bénissante», jeu d’ombres chinoises sous la voute de l’allée en contre jour où un soleil rasant s'invitait peu à peu. Aucun doute n’était permis, c’était bien un doigt d’honneur que leur adressait cette variante masculine tripode de la Statue de la Liberté. Monsieur Schmidt, habituellement si courtois, à cheval sur le bon usage de la langue et attaché aux bonnes manières, esquissait alors un léger sourire de vieux chenapan tout en émettant intérieurement ce regret: « Dommage que je sois incapable de composer correctement un message court téléphonique. J’aurais bien aimé leur envoyer en texto: allez vous faire enculer chez les Grecs avec une bite carrée! »

Pierre TOSI - Mars 2010

Note: une variante du thème de la chanson de Cat Stevens à la sauce Mansarde, désormais corrigée après une seconde lecture horrifiée par les redondances, lourdeurs de style et autres forfaitures de rufian s'étant pourtant promis de ne plus jamais publier sans laisser reposer un texte. De lourds travaux d'élagage seraient encore nécessaires, mais ma tronçonneuse est en panne...