vendredi 30 novembre 2007

Mort à Venise

Qui a contemplé de ses yeux la beauté est déjà voué à la mort.
- Thomas Mann -


Le scénario de «Mort à Venise», film récompensé à Cannes en 1971, est tiré du court roman de Thomas Mann, «La Mort à Venise», paru en 1913. Visconti repoussa à plusieurs reprises son adaptation, estimant que le projet exigeait de la maturité. Il concentre le roman autour de la relation entre Aschenbach, libre adaptation du personnage réel de Gustav Mahler, et Tadzio, un jeune adolescent polonais. Il s'inspire également d'un autre ouvrage de Thomas Mann, «Le Docteur Faustus» pour les conversations sur la beauté, ou la séquence du bordel, ainsi que de Proust pour le personnage du directeur de l'Hôtel des Bains qui évoque celui du Grand Hôtel de Balbec.

L'histoire

Juste avant la première guerre mondiale, un musicien allemand, Gustav von Aschenbach, se rend à Venise. En villégiature à l'Hôtel des Bains, il y croise un adolescent dont la beauté le fascine immédiatement. La rencontre entraîne une remise en question de ses certitudes morales et esthétiques. Son existence toute entière est chamboulée par le désir qui surgit. La relation demeure distante, réglée par le jeu des regards échangés. Le musicien tente de fuir ce désir en quittant Venise, mais un événement fortuit lui sert de prétexte pour revenir à son hôtel vénitien malgré l'épidémie de choléra qui sévit dans la ville. Il s'abandonne à la contemplation du jeune homme, tente de nier sa vieillesse et d'oublier la fièvre. Il meurt sur la plage presque désertée de l'hôtel, le regard tourné vers Tadzio.

La relation est barrée par des obstacles extérieurs (l’entourage de Tadzio) et des interdits moraux. L'homosexualité du désir renforce d’ailleurs la dimension de ces interdits. Ashenbach se satisfera des seuls regards et sourires échangés: le désir contrarié prend la voie de la sublimation. L’irruption de la beauté incarnée oblige Aschenbach à remettre en cause ses conceptions du beau qui sont pour lui fruits de la rigueur et de la discipline. Il comprend mieux l’avis opposé de son ami Alfried pour qui la beauté est un surgissement sensitif. Il ne peut cependant s’empêcher d’y apporter une part d’élaboration à travers le regard qu'il porte sur Tadzio et que favorise l'adolescent, qui «prend la pose». Visconti rapporte le point de vue de la beauté sublimée. Le zoom d’Aschenbach isole Tadzio et le transforme en icône d’Église auréolée de cierges construisant ainsi son image de la pureté et de la beauté angélique.

Ce film de Visconti est sans conteste un chef d’œuvre de plus à ajouter au sans-faute que constitue sa filmographie. L’image portée à sa quintessence favorise le projet. L’arrivée du vaporetto dans la lagune sur la musique de Mahler et les scènes dans la salle de réception de l’hôtel croulant sous les camaïeux d’hortensias au milieu desquels évolue l’aristocratie cosmopolite finissante de la Belle Époque en grandes toilettes sont à mettre au rang des pièces de maître du Septième Art.

samedi 17 novembre 2007

Jeune héros sur son cheval fou NEIL YOUNG & CRAZY HORSE


Les soirs d’orage, quand les bourrasques des grands vents d’Ouest fouettent la lande et que la silhouette inquiétante du cavalier de l’Apocalypse porteur le Septième Sceau se découpe sur un ciel anthracite zébré d’éclairs meurtriers, j’éteins mon téléviseur à grands coups de masse d’arme et laisse les amateurs béats aux soubresauts chorégraphiques simiesques de leurs idoles de pacotille. Qu'elles se lacèrent le fond de teint et s’écaillent les ongles dans les oubliettes de leur château maudits. Mare de ces défilés de majorettes sur arrière-fonds de public où les caméras ciblent quelques nymphettes aux déhanchements putassiers. Je déclenche ensuite une fausse alerte à la bombe dans mon quartier pour qu’une sécurisation des lieux m’offre un périmètre désert de quelques kilomètres. Je sors enfin de ma cache secrète pour m’installer confortablement devant ma chaîne Hifi en position géométrique adéquate pour réaliser avec les baffles droit et gauche le troisième sommet du triangle équilatéral propice à la bonne écoute stéréophonique. Un branchement pirate sur un pylône EDF 40.000 Volts me procure l’intensité juste suffisante pour écouter correctement un des morceaux de choix du mythique album Weld de Neil Young avec le groupe Crazy Horse : «Like a Hurricane».

Ce maudit canadien, originaire de Toronto, a forgé à grands coups de marteau-pilon les fondements du hard-rock-grunge. La première parution du morceau remonte à 1975, mais c’est à l’interprétation publique de 1991 qui vont mes faveurs. Cette production éphémère lamine le bien fondé de la musique clone et ratatine les vautours de la production high-tech mondialiste. Un cristal de roche façonné par les doigts du Hasard au décours du refroidissement d’une échappée de magma. Merci à ces mineurs de fond et à la robustesse de leur matériel qui ont permis la mise sous cloche à l’intention des générations futures de cette pépite encore incandescente. Je m’enflamme, je m’enflamme, mais ce billet et son encart You Tube désirent simplement vous permettre, après avoir rempli toutes les conditions énumérées plus-haut, d’en apprécier une pâle mouture. Faute de grive on mange des merles… On y voit notre jeune héros (Neil dérive du prénom gaélique Néall qui signifie héros et Young , c’est jeune en english si je ne m’abuse) chevauchant le cheval fou au milieu de la tornade et de sons dignes du Blitz londonien. Insensé...

Le lien You Tube étant brisé, on fera appel à Daily Motion !
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Neil Young & Crazy Horse, 1996 - Like A Hurricane
envoyé par fagopy

jeudi 15 novembre 2007

Le football une nouvelle religion?


L'équipe de football d'un lycée catholique en 1891: le sport religion...


... [le peuple romain] qui distribuait autrefois pleins pouvoirs, faisceaux, légions, tout, maintenant se replie sur lui-même et ne s’inquiète plus que pour les deux choses qu’il souhaite : DU PAIN ET DES JEUX.
(Juvénal, Satires, 10, 78-81)
Léger malaise lorsque je dois justifier mon attachement au sport le plus pratiqué et regardé en France : le football. Ce n’est pas une raison pour éluder le sujet. L’origine de la balle au pied remonte à la nuit des temps, mais ce sont les Anglais qui ont mis en place les règles du jeu moderne. A quoi doit-on son succès populaire planétaire incontesté ? Probablement à la simplicité de la plupart de ses règles. Bon, je mets la balle en touche, pour ce qui concerne les lois du hors-jeu. L'équipement minimaliste que requière sa pratique est un argument supplémentaire : un objet variable non identifié dans lequel on puisse shooter sans se blesser et un espace de jeu au revêtement quasi quelconque. Même pas besoin d’avoir des chaussures, un short ou un maillot. Difficile de trouver un autre sport d'équipe pouvant rivaliser dans les domaines évoqués. Cela n’explique cependant pas tout de l’engouement dont ce sport fait l’objet. Omniprésence médiatique, standard de conversation mâle en société, activité dominicale régulière du grand nombre, foules massées dans les stades, hordes de supporteurs, vie sociale parfois tributaire des heures des grandes retransmissions, voire même, « dopage » économique en cas de victoires en finales des équipes nationales dans les grandes compétitions.

"Peut-être l'Occident est-il en avance d'une religion et ne le sait-il pas. ", Marc Augé concluait ainsi son article écrit à l'époque d'une nouvelle phase de développement des grands rituels modernes engendrés par le football.

La question vaut en effet la peine d’être posée. Liturgie, rituels, adoration quasi mystique des champions, scènes d’hystérie collective ou individuelles, habits sacerdotaux, bannières et oriflammes, sublimation des héros, tentative de représentation individuelle au travers d’officiants adulés vont dans ce sens. On retrouve même la sinistre association politico-religieuse avec les misérables tentatives de récupération de grands élus lors d’événements utiles à la pèche aux voix par ceux qui s’affichent au milieu de cohortes d’aficionados, de tifosi, ou de "footomaniaques".  Les psychologues apportent de l’eau à ce moulin. La victoire ou la défaite de l’équipe qu’on soutient moduleraient les humeurs des supporteurs. Le footballeur professionnel serait devenu le substitut du gladiateur romain. Les nouveaux empereurs - ou ces fous qui nous gouvernent, pour reprendre le titre du livre de Pascal de Sutter - n’offrent pas au peuple pizzas et bières, mais cautionnent les jeux de l'arène, sachant qu'ils peuvent éloigner un temps les électeurs des révoltes engendrées par leurs difficultés quotidiennes. Les fanatiques du ballon rond font de ce jeu un psychodrame (mais le jeu est en lui-même un petit psychodrame) réactivant leurs tensions individuelles et leurs rapports éthologiques au sein de la meute.

Misère! Malgré ce billet au ton pamphlétaire, je ne renonce pas à cette addiction souvent citée comme un sommet de beaufitude. Je vitupère encore contre les erreurs d’arbitrage, bondis parfois de mon fauteuil au moment d'un but, consulte les pages sportives des gazettes, et m’extasie à l'occasion devant une phase de jeu lumineuse au cours de laquelle un passage chorégraphique de haut-vol vient d’être interprété par un danseur étoile au QI parfois proche de sa température rectale : « Nobody's perfect, Sir... »