lundi 28 octobre 2013

OLEA EUROPEA - Olivier d’Europe



Famille : Oléacées

Description : hauteur maximale 3 à 8 mètres. Houppier dense, gris-vert, sombre, rappelant le Chêne vert. Grosses branches tortueuses. Tronc vite ramifié, irrégulier. Feuilles persistantes, simples, lancéolées, entières, opposées. Limbe brièvement pétiolé à marge enroulée, vert foncé et luisant dessus, gris blanchâtre dessous. Petites fleurs blanches au printemps, réunies en grappes ne dépassant pas les feuilles. Le fruit, l’olive, est ellipsoïdal arrondi, vert puis noir à maturité.

Jeunes rameaux et écorce blanc-grisâtre, cette dernière devenant jaunâtre et crevassée avec l’âge.

Biologie et acclimatation : espèce cultivée dans tout le bassin méditerranéen et répandue dans toutes les régions du monde où le climat est favorable : exige de la chaleur, craint les fortes gelées. S’accommode de sols calcaires superficiels, des milieux acides.

Longévité : plus de 1000 ans.

Pathologie : aucun parasite dangereux signalé.

Intérêts : arbres signalétique et symbiotiques. Fruits comestible et produisant de l’huile. Bois de chauffage et fabrication d’objets façonnés. Espèce ornementale des avenues, parcs et terrasses.



Vertus médicinales de l’écorce et du feuillage :

Pendant toute l'Antiquité la culture de l’Olivier se répand. D’abord en Grèce, puis en Italie où elle est introduite dès le 7e siècle avant J.C. A la chute de l'empire Romain, elle est pratiquée dans tout le bassin méditerranéen. C'est surtout à son fruit, fournissant la fameuse huile, que l'olivier doit sa renommée Antique qui a su allègrement franchir les années.

A cette époque, les vertus thérapeutiques de l'écorce et des feuilles ne sont pas encore connues. Ce n'est que beaucoup plus tard qu'on les a proposées comme succédané du quinquina dans le traitement des fièvres intermittentes et typhoïdes.

Les propriétés hypotensives des feuilles ne sont connues que depuis le début du siècle dernier. D'abord constatée empiriquement, cette action a fait l'objet de plusieurs études permettant d'affiner ces observations. Ainsi, la décoction de feuilles produit une stabilisation de la tension artérielle. Les feuilles des jeunes rameaux, les « cépées » ou « rejets », sont plus riches en principes actifs que celles de l’arbre mature. Dans ces feuilles, la stabilisation n’est même pas nécessaire, le principe actif ne se dégrade pas au séchage. Leur action hypotensive est plus marquée que celle obtenue avec les feuilles âgées.

L’activité hypotensive est due à une conjugaison de plusieurs principes actifs qui agissent en synergie. La Choline, présente dans les jeunes feuilles, est un précurseur de l’acétylcholine qui dilate les vaisseaux et provoque une hypotension. Un autre composant, l'Oleuropéoside ou Oleuropéine, en plus grande quantité dans les jeunes feuilles et dont la teneur diminue à la dessiccation, possède sa propre action hypotensive. L'Oleuropéine est antagoniste des PGE2 (un type de prostaglandine).

Une décoction de feuilles fraîches fait baisser la tension chez les hypertendus mais ne l’abaisse pas, ou très faiblement, chez les normo-tendus. Il a été montré que les extraits hydro-alcooliques de feuilles et de bourgeons d'Olea europea et d'Oleuropéine réduisaient l'hypercholestérolémie et l'hyperlipidémie. L'Oleuropéine seule n'a pas d'action hypocholestérolémiante mais doit être conjuguée avec d'autres principes actifs de la plante, et notamment les acides gras.

D'autres travaux ont montré que les feuilles d’olivier, par une action synergique de leurs composants, avaient aussi des propriétés spasmolytiques, anti-inflammatoires, anti-oxydantes, anti-arythmiques, antispasmodiques neurotrope, diurétiques   (légères), et même œstrogéniques. 


mercredi 16 octobre 2013

Les caméos d’Hitchcock


Un caméo (francisation du terme anglophone "cameo appearance", apparu en 1851 dans le monde du théâtre) est l'apparition fugace dans un récit d'un acteur, d'une actrice, du réalisateur ou d'une personnalité, déjà célèbre.

Le terme fait référence à un camée, une pierre fine sculptée avec la méthode du même nom et portée en bijou.

Le caméo est avant tout un clin d'œil, c'est pourquoi il n'est généralement pas crédité. Il est bref et souvent anecdotique. Il n'influe généralement pas sur le cours de l'histoire. Il peut être ouvertement montré, ou bien décelable par les seuls spectateurs avertis.

Le caméo au cinéma se démarque de la « participation exceptionnelle » à l'affiche des films français, qui relève du rôle parlant, ce qui n'est pas nécessairement le cas pour un caméo. Il diffère également de la notion de « guest star » qui consiste à faire participer une personne connue dans un ou plusieurs épisodes d'une série télévisée.

Wikipédia

mardi 8 octobre 2013

LE PANTIN SPATIONAUTE

Illustration : Pierre TOSI

« L’illusion est une foi démesurée »
         Honoré de Balzac


L’entretien téléphonique était devenu pénible. Abandonnant son naturel taquin, Hugo se mit à peser le moindre de ses propos. Au bout d’une demi-heure de concentration douloureuse, il lâcha prise pour s'exprimer sans fard. À l’autre bout du fil, l’interlocutrice devint une vraie furie. La carcasse du vieux coucou d’Hugo faillit se déglinguer, tabassée par la tornade de reproches qu’elle éructait. C'était une des plus fortes tempêtes en vol qu'ait essuyée le Baron Rouge. À cette heure avancée de la nuit, il était livide, donc, méconnaissable. Quelle déplorable éducation ! Mégère lui avait raccroché au nez alors qu'il avait les ailes en écharpes et le moteur en flammes. Cette algarade l'avait vidé. Coquille creuse, il ne lui restait plus qu'à se coucher. Le sommeil l'accueillerait peut-être avec bienveillance ? Bizarrement, il n'eut pas la texture ténue qu’amènent les endormissements agités. Ce fut au contraire une aventure prenante et dense que le rêve projeta sur la toile du cinéma Morphée. Elle était truffée des images surréalistes de son précieux travail de raccommodage. Il en produit en masse pour atténuer les frustrations de vieux désirs inaboutis. Le rêve travestit pour leurrer le dormeur. Ce transit onirique gratuit vaut bien des psychothérapies. S'il existe une divinité créatrice, sachez qu'elle nous a donné le rêve pour ruiner les psychiatres.

La caméra du songe commençait à explorer les confins d'un univers étrange. Sur toile de fond encre noire, de rares falots stellaires fournissaient au rêveur de vagues repères. Parcourir ces lieux reculés n'inquiétait pas le spationaute. L'absolu silence qui emmitouflait son errance molle le berçait tendrement. Quatre points pâles qu'il avait pris au départ pour des météorites en goguette, grossissaient à vue d’œil. Le phénomène s'accéléra dans un grondement de tuyère. Des sons au sein du vide interstellaire ! L’activité du rêve ébouriffe sans vergogne les lois fondamentales de la Physique. Assourdi et frappé d'effroi par l'étrange apparition, le voyageur du songe stoppa net. Non, il ne s'agissait pas de météorites. Désormais bien plus proches, les objets volants mal identifiés avaient l'apparence de vaisseaux spatiaux de taille prodigieuse. Ils passaient et repassaient en décrivant des rotations majestueuses dans les trois axes de l'espace. Un jeu vidéo gigantesque et immersif. Au bout d’une minute - en temps onirique - les structures ralentirent leurs évolutions pour faire du spectateur médusé le centre géométrique d’un cube qui n’avait pas de face supérieure. Autour du petit homme gris qu'était devenu le spationaute, se dressait désormais une prison spatiale aux murs vertigineux.

Mais le spectacle ne faisait que commencer. Venue d'on ne sait où, une baudruche de l'envergure d'un Zeppelin s'immobilisa à l'aplomb d'un angle du cube carcéral. À nouveau, il allait être le jouet d'illusions gigognes. Il avait d'abord entrevu la baudruche de l'énorme cochon d’"Animals", le disque des Pink Floyd. Mais, cette image fugace se métamorphosa rapidement en une variante monumentale de la femme montgolfière du film de Fellini "La cité des femmes" : le fantasme gonflable de l'idéal féminin que le pauvre Marcello, fébrile et désespéré, tente de rattraper lors de son escalade finale effrénée. Les pieds du bibendum prenaient appuis sur deux murs adjacents. Des cuisses plantureuses prolongeaient des jambes aux mollets puissants. Ses hanches, aux galbes et aux proportions rappelant celles des baigneuses de Renoir, contrastaient étrangement avec son buste grêle ancré à une taille fine. Deux mamelons épais et turgescents pointaient de ses seins menus. Ce corps constituait une chimère humaine.

À peine stabilisée, l'apparition tendit les bras et orienta ses paumes vers le petit homme gris pétrifié. Les doigts de la prêtresse sauvage étaient couverts de bagues. De celles-ci, jaillirent de grands fils transparents semblables à ceux que sécrètent les arachnides. Ils s'enroulèrent comme autant de fines cordelettes aux membres de sa proie. Un témoin sentencieux eut d'ailleurs remarqué qu'aucun des cinq n’avait été oublié. Le pantin était prisonnier de la toile de la femme araignée et ses gestes assujettis aux doigts capricieux de cette fatale marionnettiste. Elle l’engagea rapidement dans une pantomime grotesque. Durant ses pandiculations, les parois se sculptaient en façades d'immeubles. Plus précisément, d'hôtels. On avait affaire à quatre répliques de la façade avant du Carlton. Le clip publicitaire de Chanel pour son eau de toilette masculine allait se projeter autour d'Hugo dans sa version 380 degrés avec effets surround. Les grands volets des chambres se mirent à claquer les uns derrière les autres, actionnés par des harpies, modèles réduits de la baudruche princeps. Montrant fugitivement leur silhouette par les embrasures, elles jetaient des imprécations à la volée. Les furies tançaient "L'égoïste" avec des voix hystériques. Le petit homme dansait comme un beau diable au tempo de ces adresses gracieuses. Les volets claquaient et les harengères vociféraient de plus belle. La main droite du pantin tenait un revolver. Le canon était pointé sur sa tempe.

Une ombre immense se mit à tournoyer au-dessus de lui. Elle se posa dans un bruit d'ailes et d'étoffe à ses pieds. Un spectre enveloppé d'une ample pèlerine noire le toisait, hautin. Il ôta sa capuche. Le rêveur vit avec effroi la tête hideuse de la Dame en Noir. Une de ses mains squelettiques balaya le pan de la grande cape qui lui couvrait l'épaule gauche. D’un geste auguste et décidé, la Faucheuse leva haut son outil éclatant qui siffla en s'abattant sur lui comme un éclair. Il s'affaissa mollement et ferma les yeux…

…Rien de spectaculaire ne se produisait. Inquiet, il releva la tête. La Mort n'avait fait que faucher ses liens. La Dame en Noir souriait goguenarde. Elle lui décocha un clin d’œil, et de sa voix caverneuse y alla de son commentaire: "Quel suspense coco, hein!"

L'index du spectre pointa la poupée gonflable juchée sur son piédestal. Avec emphase, elle ajouta: "Aujourd'hui, c’est mon jour de repos. À toi l'exécution des hautes œuvres."

Les quatre bâtiments s'étaient groupés deux par deux et configurés en angle obtus. Ils se creusaient de lettres immenses composant quatre mots : BÊTISE VULGARITÉ, PRÉTENTION FUTILITÉ.

Sectionnés nets par la faux, les liens de la poupée gonflable flottaient au gré des vents solaires. Une odeur de marée montait de la scène. La Dame en noir prononça alors un verdict sans nuance : "Pursex de Chanel, bonhomme, masqué jusqu'ici par «Odeur de Sainteté» avec lequel tu la vaporisais à qui mieux-mieux. Malgré les lavages répétés, la caque sent toujours le hareng, rien à faire..."

Le pantin interloqué demanda alors à la Faucheuse : "Mais qu'attends-tu de moi?" 
– Coco, abats les murs de Jéricho ! Rima-t-elle.

Le rêveur possédait quelques références bibliques, mais ne se savait pas en possession du cuivre adapté pour rééditer l'exploit. Quatre fléaux de cette taille requéraient un trompette idéale. Une idée traversa soudain l'esprit d’Hugo. Il se redressa avec une lueur amusée dans les yeux. Il se concentra jusqu'à ne plus être que péristaltisme gargouillant et borborygmes prémonitoires. Parfait, il se mit dos à la muraille alphabétique, se pencha, et baissa rapidement son pantalon. Un typhon organique époustouflant que n'eut pas renié Bérurier s'abattit sur les remparts. La tête sur le coté, Hugo vit se lézarder les "édifices qualificatifs". Après avoir vacillé un moment, ils s'affaissèrent, puis croulèrent en pluie de gravats. La baudruche, coupée de ses bases, propulsée par sa tuyère pelvienne, fila en zigzaguant. Le hurlement sauvage qu'elle poussait finit par se tarir quand elle ne fut plus qu'un point filant vers la constellation de la Baleine.

Au sein d’un gigantesque nuage de poussière, s’abattait pêle-mêle le lest abandonné par la femme montgolfière: tubes de rouge à lèvres, crayons gras, flacons de vernis à ongles, breloques et colifichets, vaporisateurs et produits cosmétiques. Au moment du dernier soubresaut, se mirent à choir en tournoyant, comme les dernières feuilles de l'automne tombées d’un arbre, quelques pages de "Marie-Plaire", et... un chèque en blanc.

C'est à ce moment précis qu'Hugo se réveilla. Assis dans son lit, il se mit à rire de cette projection privée ubuesque. Une « major » hollywoodienne pourrait lui acheter à prix d’or. Un léger sourire encore fiché au coin des lèvres, il se rendit à la cuisine au beau milieu de la nuit. Il avait grand faim. C’est net, il devait couper les liens avec la mygale hystérique. C’est ainsi que doit se comporter un sale égoïste !


Pierre TOSI – Mars 1992 –



Note : à cette époque, j’avais fait un rêve assez proche de celui-ci, alors que je me débattais dans une relation sentimentale agitée. Quant au reste, de la pure fiction. Quoique, pour certains détails…
Le clip publicitaire de Jean-Paul Goude passait effectivement à la télévision ces années là. En le revisionnant plus de 20 ans après, je constate qu'une des figurantes ressemblait fortement à la femme qui m'avait raccroché au pif après une soufflante de cet acabit. Mais ce n'était pas du Pierre Corneille!
Bien des années après le délire onirique du Maestro présenté dans "La città delle donne", mon rêve a dû lui emboîter le pas! Il est bien question dans les deux d'un règlement de compte entre un homme et des féministes déchaînées qui le traquent et pointent du doigt ses faiblesses...

samedi 5 octobre 2013

L'ORAGE


Une nuée anthracite enflait au Nord. Elle envoyait en éclaireurs de longues flammèches grisâtres qui zébraient l’azur vaniteux. À cette heure, pour donner le change, celui-ci offrait son bleu le plus impavide. Futile stratagème. Une furieuse bagarre allait se livrer au-dessus de la ville au décours de cet après-midi de fin d'été languissant du Grand Sud américain. Dans cette revanche atmosphérique de la guerre de Sécession, parier un dollar sur le bleu unioniste opposé au gris confédéré eut été pure folie. Dans quelques heures, Lee allait gagner la bataille. La lumière crue de Louisiane s’escrimait à percer le ciel de plomb qui fondait sur la ville. Seule brèche au travers de cette chape gorgée de vapeur d'eau et d'électricité, un faisceau d’ocre opalescent pointait la Nouvelle-Orléans comme un doigt céleste.

Hugo, avachi sur la spirale d'acier d'un filin d'amarrage, contemplait la nuée en formation. Le Mississippi n'avait pas une ride. Il glissait à ses pieds dans la touffeur comme un monstrueux reptile de mercure. Plus bas au sud, les gueules du monstre polycéphale mordaient les flots marins. Les pensées de l'homme s'harmonisaient aux teintes métalliques de la toile. Sa silhouette se découpait sur fond de grues et de cargos. Images de clip publicitaire commandité par une marque de jeans. Le personnage en avait l'étoffe. Il portait un pantalon en toile bleu de Nîmes. Un tricot de peau "à l'italienne" mettait en valeur des épaules et des bras d'athlètes. Une chevelure de geai, et une barbe noire et drue de deux jours, trahissaient ses origines latines. Hugo traînait avec lui sa révolte sourde. Pour la calmer, il écoutait à cette heure le chant sédatif des sirènes du Mississippi.

Il était en grande partie responsable de la nouvelle bagarre de l'autre nuit. Il bradait sa vie, traînait des nuits entières dans les rues chaudes du "French Quarter" de la vieille cité cajun. La passion qui le liait à sa furieuse compagne ne suffisait plus. Elle l'avait aimé plus que de raison avant de se résoudre à l'abandonner à son monde étrange, lassée par son inertie grandissante. Elle déchargeait désormais régulièrement sur lui sa vindicte. Le caractère rebelle d’Hugo le faisait résister à ses injonctions. S’amender eut été à ses yeux une forme de capitulation. Ce combat hargneux est l’effet Joule des passions finissantes. La nuit dernière avait été sauvage. Il avait battu en retraite, claquant la porte pour écourter le pugilat. A son retour, devant la maison, nombre de ses affaires jonchait la chaussée. Une tornade femelle avait jeté par le balcon de bois de la maison tout ce qui lui passait sous la main. On trouvait épars, ci une carcasse de transistor, ci un vieux blouson de cuir noir, ci des disques échappés de leurs pochettes éventrées. Sourire fugace d’Hugo, quelques sous-vêtements masculins étaient accrochés aux rosiers du petit jardinet, déposés là sans doute par la trombe quand elle s'était amoindrie en survolant les terres. Tous ces débris sur le rivage témoignaient parfaitement de la puissance du coup de tabac. Pas d’issue possible à ces conflits incessants. Il prît alors le volant de son vieux pick-up et se dirigea vers le fleuve. A cette heure avancée, les voitures brunes et rouges du tramway nommé "Désir" ne roulaient plus dans Saint-Charles Avenue. Il s'était arrêté à Quarantine Point. C’est ici qu’il s'était assoupi sur la banquette, aidé par la fraîcheur relative des premières heures de la matinée. A son réveil, il était parti arpenter une fois de plus la ville pour, le soir tombant, se décider enfin à revenir au port reprendre son vieux coursier.

Peu à peu, comme au cours de ces grands orages de convection, Hugo avait senti l'air chaud des terres monter vers la haute atmosphère. Des charges colossales se défiaient au-dessus du Bayou. Une accumulation terrible de désirs inassouvis, d'espoirs trompés, de questions sans réponses fissurait la digue de retenue de son cerveau. Des pulsions remontant à la préhistoire, ou même plus loin encore, aux secondes précédant l'explosion initiale la soumettait à une pression titanesque. C'était un "Big-bang" psychique qui germait dans son esprit surchauffé et mettait tous ses sens à vif. Après la montée en flèche des manomètres, bizarrement, il se sentit soudain très calme au bord du fleuve. Cette lucidité quiète devait s'apparenter à ce que l’on nomme le calme avant la tempête. Profitant de l’heureuse parenthèse, il reprit le volant de sa voiture pour s'arrêter un peu plus tard sous le balcon de la maison en écrasant au passage un de ses vieux vinyles. Roméo des temps modernes, il entreprit de l’escalader.

Un moment d'inquiétude. Non… la pièce est vide ! La panthère a quitté sa tanière. À pas coulés, il se dirige vers l'arrière de la bâtisse. Il entrebâille la porte d'une armoire au kitsch flamboyant. Elle est là, sous un amoncellement de vêtements féminins. La féline ne l'a pas balancée. Il la prend dans ses bras. Quelques éclairs déchirent le ciel dans le lointain quand Hugo enjambe la rambarde du balcon pour sauter dans son pick-up. Le ciel est désormais d'un noir d'ébène. La toile nuageuse bombe à craquer, mais refuse étrangement de céder. Qui conduit vraiment à cette heure? Sans doute le vieil étalon qui ramène Spartacus au bercail avec la fougue d'un yearling. À l'arrière, robe pourpre à parures d’argent, se pavane une ancienne maîtresse.

Un hangar délabré d'une impasse du Vieux Carré. Hugo soulève la porte métallique qui coulisse péniblement dans un grincement familier. Cela fait près d'une année qu'il n'est plus retourné au local. Ils sont tous là. C’est comme s’il était venu rompre le charme qui les avait plongé dans un sommeil de contes de fées. Chuck « la méduse », un black tentaculaire à la démarche caoutchouteuse, drumstick fiché derrière l'oreille, tel l'épicier et son crayon, l'étreint chaleureusement dès qu’il arrive à sa hauteur. Marshmallow, le bassiste sphérique, produit typique d'une boulimie alcoolo glucidique à l'américaine, lui décoche au passage une claque de pachyderme sur l'épaule. Au fond de la salle, Speedy Shooter, sa Gibson double manche en bandoulière lui jette un clin d’œil complice. Pretty Snail, le chanteur à l'opulente tignasse à frisettes oxygénées salue Hugo d'une moue tendancieuse. Ses allures de gracile éphèbe porté sur le léopard moulant expliquent ce sobriquet hermaphrodite. Ce microcosme disparate de l’underground sudiste échappe à toute classification zoologique répertoriée. Le groupe répète un nouveau morceau des "ZEP" : "Stairway to Heaven". Hugo tient sa vieille Gibson rouge. C'est pour elle qu'il a interprété une heure auparavant la scène du jardin des Capulet.

"There's a Lady who's sure
All it glitters is gold
And she's buying a stairway to heaven ..."

Pretty Snail entonne la mélodie, suite à l'intro de Speedy à la guitare acoustique. Marshmallow l'accompagne à la flûte. Spectacle étonnant que ce bibendum pataud tirant de son instrument une mélodie aussi aérienne.

" When she gets there she knows,
 If the stores are all closed 
 With a word she can get what she came for ... 
 In a tree by the brook
 There's a songbird who sings 
 Sometimes all of our thoughts are misgiven ... "

À la troisième strophe de ce mystérieux poème d'inspiration moyenâgeuse, Speedy attaque l'autre manche. Chuck rejoint un peu plus tard le trio à coups de baguettes slicés sur sa caisse claire. Marshmallow s'agrippe à son énorme Fender. Tel un bûcheron et sa cognée, il martèle la partition basse avec précision.

"Your head is humming and it won't go,
In case you don't know,
The piper is calling you to join him.
Dear Lady can you hear the wind blow, and did you know
Your stairway lies on the whispering wind."

Quand Hugo enfiche son "jack" dans une des entrées du "Vox" emphysémateux, une étincelle bleue jaillit. Tout le monde croît au pneumothorax. Un bruit mat très étrange avait ébranlé sa carcasse comme le coup de tonnerre qui suit immédiatement la foudre quand l'orage est à la verticale. Soulagement général, il respire toujours. Les premiers accords adressés par la Gibson sont d'une pureté hors du commun, coulés dans un alliage noble. Hugo va se charger du solo. Le flottement qui avait suivi ses premiers accords se transforme en stupeur quand, enclenchant la "reverb", il attaque son manche. Un son venu des nues sort de la grille noire de "l'ampli". Chucky Black vire au gris et Marsch, qui s'était mis en "stand by" pour céder la place au soliste, loupe pour la première fois dans sa longue carrière de décapsuleur professionnel, l'ouverture d'une "Bud". Elle coule lamentablement sur ses "Tiags". Pretty, les yeux perdus dans le lointain, semble en plein "flash".

"And as we wind on down the road
Our shadow taller than our soul
There walks a Lady we all know
Who shines white light and wants to show
How everything still turns to gold
And if you listen very hard
The tune will come to you at last
When all are one and one is all
To be a rock and not to roll.”

C’était comme ci une boule de feu venait de traverser le hangar. Du zombie extatique qu'était devenu le guitariste émanait un magma des entrailles, qui, pulsé sous une pression colossale et monté à une température furieuse, parvenu enfin sous des cieux plus cléments, dans une atmosphère plus respirable, devient de l’or natif.

Dehors, l'orage venait d'éclater. Une pluie chaude et lourde frappait la tôle du hangar et lavait la ville.


Pierre TOSI - Novembre 1992 -


Illustration Pierre TOSI

Liste des nouvelles du recueil



Notes :  tonalité et lieu de cette nouvelle m'avaient été inspirés par le film de Jim Jarmusch : " Down by Law ".
A propos du morceau de Led Zeppelin : ce lien avec traduction française (discutable par endroits, et probable confusion entre "lies" et "lays", sauf si coquille du texte anglais). Texte assez fumeux aux résonances celtiques et message bateau : il est toujours temps de changer quand on constate qu'on fait fausse route en s'attachant trop aux choses matérielles. Robert Plant ayant beaucoup versé dans l'ésotérisme, l'or peut symboliser une transmutation par la pierre philosophale. Là, on s'enfonce encore un peu plus. L'illustration centrale de la pochette du disque IV propose une réplique de "l'Hermite" du Tarot de Marseille: voir la nouvelle "Diogène". Le symbolisme de la carte et les goûts du groupe pour l'ésotérisme sont indiqués dans la "La fille qui danse dans la lumière", nouvelle donnant quelques indices sur les sources d'inspiration de l'auteur. Je reprends vaguement dans ce texte la métaphore de la transmutation en l'appliquant à une passion amoureuse sans issue qui se transforme, au travers de l'interprétation musicale du personnage, en sublimation du désir. De la symbolique d'escalier... mais qui conduit au paradis...

Stairway to heaven - Led Zeppelin