mardi 13 février 2007

Le père Henrion

Je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire fugace quand je lis dans les journaux que les jeunes médecins désertent l’exercice de la médecine libérale en secteur rural. A l’heure où les avocats sont sur le point d’investir les salles d’attente pour y démarcher les malades dans l’attente frénétique d’une faute médicale du type traitement tardif d’une constipation chronique, je comprends leur réticence. L’époque du médecin confident de famille duquel on espérait qu’il fit pour le mieux avec les moyens du bord et son expérience forgée sur l’enclume du bon sens et des actes propices au confort de ses patients est révolue. Vive le CHU et sa batterie de bilans invasifs sophistiqués. Ne pas pratiquer d’IRM devant une suspicion d’angine va devenir suspect et quand on vous braque sous le nez le dernier article médical soutenant que la recherche d’un caryotype est impérative avant d’effectuer une vaccination antitétanique, comment ne pas sortir le parapluie et adresser son patient au Pr Strangelove du Chicago Hospital pour qu’il se charge de la dite vaccination.

Je vais vous parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Dans le cursus d’un étudiant en Médecine, la sixième année sonnait l’heure des remplacements médicaux en médecine génèrale. Il devenait impérieux d’enfin faire vivre sa famille (quand on en avait une) au dessus du seuil de la misère. Les mensualités d’un externe hospitalier dépassaient rarement les 600 francs par mois à la fin des années 70. Il était de plus nécessaire de mettre enfin en pratique le gavage théorique dont vous aviez été l’objet. Un copain m’avait donné les coordonnées d’un médecin du Toulois qui cherchait quelqu’un pour le remplacer régulièrement un jour en semaine et durant les vacances scolaires. Son secteur était vaste et il n’était pas rare, en plus de consultations pléthoriques, de parcourir dans la journée plus de 300 kilomètres pour les visites à domicile. Un véritable baptême du feu pour les novices ! Ce remplacement avait de surcroit la particularité de faire de vous un propharmacien. Dans les coins de campagne retirés, trouver une pharmacie dans les environs était pure gageure. Ce praticien jouissait du droit de vente de produits pharmaceutiques en cas de demande ou de nécessité. On convoyait ainsi dans le coffre de la voiture de remplacement une petite officine. Un truc totalement impossible de nos jours où les délégués médicaux n’ont plus le droit de transporter des spécialités pharmaceutiques ! Cette époque pouvait faire songer à celle de la conquête de l’Ouest. Il n’était pas rare – j’en ai fait l’expérience – de se trouver au milieu de rixes familiales où vous étiez appelé en urgence pour signer des certificats de coups et blessures au risque de vous faire agresser (verbalement par bonheur la plupart du temps) par le clan rival. Heureusement, il n’était pas rare d’être pris en sympathie par des patients quand, blême et les traits tirés, vous débarquiez chez eux au petit jour. Et c’était du « Docteur, un métier difficile. Asseyez-vous cinq minutes. » Vous aviez droit alors à trois grosses tartines de rillettes sur du pain de campagne et un verre rempli à ras bord d’un gris de Toul âpre capable de réveiller un mort. Les anecdotes finissent par s’oublier avec le temps. Celle que je vous propose me reste cependant très nettement en mémoire. Je venais d’être appelé par la femme d’un cultivateur qui avait confondu une bouteille de mirabelle avec une bouteille similaire contenant du désherbant. Raté le coup de la petite goulée bue en douce dans le dos de sa femme. Les téléphones cellulaires n’existaient pas bien sûr. Il était alors habituel de téléphoner régulièrement du domicile des patients au cabinet médical pour prendre connaissance d’appels récents. Le maire d’un village voisin me demandait de passer le voir. Je pouvais donc m’y rendre dans la foulée. Petite digression, la région particulièrement vallonnée et les routes de campagnes sommairement déneigées en hiver, nombre de remplaçants dont je fis partie avaient explosé le véhicule de remplacement trahi par des plaques de verglas ou des congères sournoises.

Village désert. Je frappe à une porte pour qu’on m’indique où se trouve la mairie.
« Si c’est le maire que vous voulez voir, il est chez lui. »
Chez le maire : « Ah vous êtes le remplaçant ? On manque de toubibs dans le coin. Vous devriez vous installer dans le secteur. Je vous ai appelé pour le père Henrion. Ca fait cinq jours qu’on ne la pas vu sortir. Je viens avec vous. »

Et on toque, on toque. Personne ne répond.
« Il doit être dedans nom de Diou, qu’est ce qui fout ! »

On fait le tour d’une bicoque délabrée où trois poules se battent avec un canard au milieu d’un jardin en friches. J’avais vu Belmondo dans l’homme de Rio quelques jours avant. Une fenêtre arrière de la maison à un seul étage était entrebâillée. Je ruine mon futal blanc dans une cascade pas très orthodoxe et retombe dans une pièce sombre digne d’un capharnaüm. Je hisse le maire péniblement dans la pièce et nous voilà partis pour une fouille serrée de l’antre du paltigrade. Pas un poil d’électricité. Le bougre en est resté à la lampe à huile ou son installation a rendu l’âme. Heureusement j’ai la lampe de poche pour examiner les gorges. Dans un film, on n’aurait jamais osé construire un décor du genre de peur de manquer de crédibilité. Dans la cuisine, une vaisselle crasseuse d’au moins une semaine sur tous les meubles et des pages de vieux journaux dans tous les coins de la baraque. Accrochés aux lampes (il devait y avoir un jour l’électricité alors) les serpentins collants déroulés de pièges à mouches exposant leurs victimes. Des chaises renversées un vieux matelas tombé d’un lit. On a beau brailler comme des putois, pas de réponse de l’habitant. Le mystère s’épaissit. Dans de pareilles circonstances, on craint toujours de retrouver le quidam pendu à une poutre. Non, rien du genre. La mission fait chou blanc. Sur le point de ressortir de cette masure échappée d’un livre de Dickens, un ronflement sourd à peine audible finit par attirer mon attention. On dirait que ça vient de la chambre. Oui le bruit devient plus clair. On pousse le lit, on soulève un matelas aux teintes équivoques et là, stupeur, on trouve le père Henrion en chien de fusil grognant vaguement sur le sol. Pas moyen de le réveiller. Le vieux est bouillant. Pas besoin de thermomètre, on est au dessus des quarante. Je sors mon stétho pour une auscultation pulmonaire historique à même le sol. Le cours complet sur les ronflements et bruits pulmonaires connus par la Médecine est révisé en parcourant ses deux champs pulmonaires. Une broncho pneumonie comme on en voyait plus depuis le début du siècle. Dose de cheval d’antibiotiques et d’aspirine en IV. Depuis combien de temps le père Henrion est dans cet état ? Allez savoir ? Vu l’âge du bougre en plus, je ne donne pas cher de sa peau. Le maire est chargé d’appeler une ambulance. Une lettre de transmission sommaire bâclée sur un coin de table pas trop huileux et vogue la galère.

Deux jours après je repassais dans le village et voilà t’y pas qu’un type me salue de la main sur un banc devant la maison du père Henrion. Je m’arrête : « C’est vous qui m’avez trouvé »
- Non c’est pas vous ! Mais qu’est-ce que vous faîtes ici !
- Ils me pompaient tous dans leur hosto avec les perfusions et tout le Saint Frusquin. J’ai demandé à mon fils qu’il vienne me chercher.

Du costaud comme on en fait plus.

« Au fait Docteur, ils m’ont donné un tas de boîtes, si ça peut vous servir pour vos malades, vous avez qu’à les prendre. »

jeudi 8 février 2007

L'écriture droite

- L'orthographe c'est la politesse de la langue.
- L'orthographe est plus qu'une mauvaise habitude, c'est une vanité.
- L'orthographe, c'est la science des ânes.

our avoir parcouru quelques sites défendant l'une des citations en exergue, j’en suis venu à me dire que cette resucée de querelle entre anciens et modernes trahissait peut-être la personnalité des laudateurs et des détracteurs de l'orthographe. Pour les premiers, la forme primerait sur le fond et le bon usage de la langue serait une forme de courtoisie. Pour les seconds, la recherche de l’excellence dans ce domaine témoignerait d’un narcissisme en mal de perfection. Le but de ce billet n’est pas de départager les belligérants de cette guerre de gangs. Un avocat pragmatique demanderait sans hésiter le divorce pour incompatibilité d’humeurs entre ces deux là qui ne font rien que de se rosser.

Je sais, ce n’est pas bien de vouloir ranger les gens dans des catégories stéréotypées et réductrices. Cependant, à force de consensus et d’ambivalence molle déclinés à toutes les sauces, tout devient insipide. La vie m’a montré qu’on gagnait parfois en efficacité en usant d’un mode de pensée honteusement entaché de parti pris ou d’a priori. L’habit ne ferait-il pas plus souvent le moine que le dicton ne le voudrait? Les définitions psychologiques des personnalités humaines sont plus issues d’observations ancestrales empiriques que le fruit d’une démonstration scientifique implacable. J’ai cependant souvent constaté qu’un trait de caractère principal marqué en appelait d’autres en corollaire. Pour utiliser une métaphore un peu triviale, dans le panier garni des personnalités humaines, tirer sur une saucisse vous amène la plupart du temps à vous retrouver avec tout un chapelet en main.

Les intègristes de l’orthographe ne seraient-ils pas des conservateurs masqués, un tantinet obsessionnels? Propres sur eux, souvent à cheval sur les principes et la politesse - très inconfortable cette position équestre acrobatique - et pointilleux sur l’étiquette. Un coté veille France en somme, arcbouté sur les traditions et le respect qui se perd dans les usines de mon grand-père. Grosse concentration sur les parvis à la sortie des messes. Panoplie bon chic bon genre comme conseillée dans le manuel, évitant - "Quelle horreur!" - l’accessoire tape à l’œil du parvenu. Toute la famille est à l’avenant. Un peu prout prout quooooi..! A noter certaines saillies verbales furieusement rebelles, émaillées parfois d’expressions peu châtiées tentant d'indiquer qu’on sait évoluer dans le modernisme, que diantre! Tacitement, tel ou tel gros mot a été prononcé par bravade pour que l’assistance s’ébaudisse, point trop cependant pour éviter de faire peuple. Catherine Frot joue à la perfection ce genre de personnages dans sa déclinaison féminine. Emissions de télévision préférées: question pour un champion, des chiffres et des lettres, la dictée de Pivot quand elle existait encore, vivement Dimanche. On frétille quand un mot désuet en voie d’obsolescence est revigoré un moment. On s’évertuera à le replacer au prochain nouvel an. J’éviterai d’émettre un avis concernant la libido adjointe habituellement à ce groupe dans la caractériologie.

Les jeanfoutres de l’orthographe constituent un groupe fichtrement plus hétéroclite. Il faut en exclure rapidement les illettrés, les analphabètes et les ressortissants étrangers qui font de leur mieux pour se faire comprendre. Méfiance cependant vis-à-vis de ces derniers qui peuvent parfois en remontrer à la caste des puristes. En vrac, on y trouve les robots du texto, les étudiants à vie, forcenés d’abréviations pour la prise de leurs cours au point qu’ils finissent par perdre peu à peu leur bagage orthographique, les adorateurs du souk, du laisser-aller, les champions de l’à-peu-près et les on s’en fout, l’essentiel est caché à l’intérieur au point de devenir impossible à dénicher. On peut ajouter les journalistes, les commentateurs sportifs et les champions qu'ils louent, les correcteurs de mon quotidien régional pour lesquels l’accord du participe ne se fait même pas au pif car les lois des probabilités ne s’y appliquent pas, les présentateurs radio hystérisés de la bande FM … oui, je sais, on devrait ici parler de fautes de français même si les fautes d’orthographe on les soupçonne indirectement. Bien entendu cette liste est loin d'être exhaustive.


Pour coller à la réalité, il ne faudrait pas cependant oublier un troisième groupe, le plus commun et vraisemblablement le plus fourni: la plupart d’entre nous. La maîtrise absolue de l’orthographe française est une quête vaine. Celle du Saint Graal est moins aléatoire. Les plus exigeants trébuchent régulièrement, doutent, ou pire, choient dans les chausse-trapes tordus que place sur le sentier escarpé du zéro faute notre belle langue. Mes billets sont probablement truffés de fautes d’orthographe et de frappe. Je revendique ainsi ma présence au sein du ventre mou de la courbe de Gauss de ce lot, m’en gaussant quelque peu par là même.

A+ chaires l'équeuteur.


mercredi 7 février 2007

Cot cot Codecs !


Pour ceux qui n’ont pas connu l’informatique du milieu des années 80 où les ordinateurs grand public tournaient avec des processeurs cadencés à 8 MHz, les moniteurs affichaient glorieusement des images en résolution de 320 sur 200 pixels en 16 couleurs et les sons émis par les machines étaient de "petits prouts électroniques", les avancées dans le domaine de la programmation et de la compression des données informatiques peuvent passer totalement au-dessus de la tête. Que dire en plus, pour les utilisateurs blasés de l’ADSL, des balbutiements du téléchargement via Minitel où il fallait espérer, dans le meilleur des cas, obtenir en une journée pour une somme astronomique un programme de 300 Ko que l'on pouvait stocker sur des mémoires de masse aux capacités dérisoires ? N’oublions pas que les disquettes avaient alors une capacité standard de 360 Ko - la taille d’une photo JPEG actuelle de qualité moyenne - et que les heureux possesseurs de disques durs externes pouvaient rêver au plus de conserver 10 à 20 Mo de données dans des bahuts aussi bruyants que des machines à laver en phase d'essorage.

Dans le domaine de l’image, des algorithmes de compression des fichiers bitmaps firent fondre le poids en octets des images "point à point" comme neige au soleil, sans perte de qualité notable. Séries de pixels identiques et nuances de couleurs non discriminées par l’œil humain codées en quelques octets permirent ce tour de passe-passe. Le choix en compression JPEG, par exemple, vous est devenu naturel pour l'envoi de vos photos en pièces-jointes et vos mises en ligne sur sites.

Dans le domaine du son, la même révolution a mené les pléthoriques fichiers Wav à s'effacer au profit des désormais fameux MP3 and Co. Les fréquences non perçues par l'oreille humaine et les harmoniques superflues sont supprimées au profit de la taille des fichiers tout en conservant une qualité d'écoute très acceptable. Pour la vidéo, les variantes du MPEG et DivX supplantent le format AVI tout aussi coûteux en taux de transfert.

Restait toujours entier le partage en ligne d'applications aussi gourmandes que de vieux matous. La progression des capacités de stockage et des tailles des mémoires vives et mortes des machines était une solution acceptable en local mais ne résolvait en rien les difficultés d’échanges via Internet. L’avènement des transferts hauts-débits n’était pas une panacée. Les langages de programmation orientés objets, Flash en est un excellent exemple, proposent une solution élégante pour réduire les temps de transfert des données en produisant des applications dynamiques interactives de petite taille. Avec ce type de langage informatique, vous pouvez réduire à quelques dizaines de Ko des présentations fort variées qui pourraient demander des CD entiers en mode vidéo.
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En plus de cette particularité intéressante, ces petits programmes canevas pilotant des actions sur des objets graphiques (vectoriels c’est encore mieux), ont un atout supplémentaire. On n’est plus obligé de refondre le programme source à la moindre modification des objets. Ceux-ci sont interchangeables. Pour devenir plus clair, prenons ce petit exemple: vous avez créé un petit jeu de tir où un archer doit atteindre une cible en cocarde. Mince, j’aurais préféré un lapin tirant sur des chasseurs (Chantal Goya), un Sarkozy tirant sur Ségolène (Doc Gynéco), Zizou donnant un coup de boule à Materazzi (votre beau frère), pas de problème, il suffit d'importer en remplacement les objets graphiques souhaités dans la bibliothèque sans changer la moindre ligne du programme initial si vous leur donnez les mêmes noms. Les modifications dynamiques des objets vectoriels et de leurs trajectoires procèdent de calculs programmés et d’interpolations peu gourmandes en données.
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Le vectoriel, c’est quoi au fait? Pour rester simple voire simpliste, tracer un segment en bitmap demande le stockage d'un nombre de pixels proportionnel à sa longueur et son épaisseur et le moindre agrandissement fait chuter la qualité du graphisme. En vectoriel, sa production ne demande, encore une fois pour faire simple, que d'entrer les coordonnées de ses deux extrémités et les paramètres de texture du segment. La qualité graphique devient indépendante des agrandissements et autres déformations.

vendredi 2 février 2007

Les Vents de Hurlehaut


Déçu par la production cinématographique du moment, je me suis refait dernièrement une cure de vieux classiques. Je les ai piochés dans le secteur DVD de la médiathèque de mon quartier. Le troisième homme, Métropolis, La grande illusion, Le grand sommeil, Mort à Venise

Ces emprunts me remirent un peu de baume au cœur: " Tiens! Les hauts de Hurlevent ". J'avais dû voir ce film il y a un siècle. Sorti en 1939, réalisé par William Wyler et tiré du roman d’une des sœurs Bronte, l'oeuvre a pris un traître coup de vieux. Son romantisme échevelé tourne parfois au grandiloquent. Un chouia kitch en somme, mais pas désagréable.

Par association, le dernier élément du triptyque m’est revenu à l’esprit. Kitsch à souhait aussi la grande Kate qui n’est pas bien entendu la fille, ni la petite fille, du président américain du moment. Cette chanteuse britannique atypique apparue à la fin des années 70 conjuguait des talents de danseuse, de mime, de compositrice et de parolière. Elle fut l’auteur de quelques tubes de l’époque dont le célèbre «Wuthering Heigths» .

Une voix étonnante et des thèmes de chanson qui tranchaient sur la vague Punk du moment. De tube à You Tube il n’y a qu’un You. En trois clics, je pouvais revoir trois clips, limite scopitones, de la diva baroque. Kate-Cathy battait la lande dans la bourrasque pour rejoindre la demeure d’Heathcliff. Frappant à sa fenêtre, elle le conjurait d’ouvrir sa porte pour fondre dans ses bras repentante.