lundi 21 mai 2012

Au creux du vallon


Claude Monet - La femme à l'ombrelle tournée à gauche - 1886


Au creux du vallon, le ruisseau gonflé des eaux d’avril faisait fredonner les pierres sous son flot. Une brume légère caressait encore les herbes perlées de rosée. Depuis quelques heures, les arbres bruissaient de chants d’oiseaux. Un cerisier croulant de blancs bouquets mousseux scintillait au gré des rayons clairs du matin. Le clocher d’un village égrenait sept heures dans le lointain. Un maigre troupeau laineux de nuages irisés des derniers mauves de l’aube paissait placidement au-dessus de ce coin de campagne calme et hospitalier.

Un peu à l’écart, un stratus se livrait à des anamorphoses cotonneuses d’une infinie lenteur. Allongé au pied d’un chêne noueux à branches torses, un homme attendait paisiblement. Il avait aperçu rapidement une robe blanche se détacher sur l’azur laiteux au sommet d’une colline nappée du vert d’avril. Une femme la descendait à pas vifs. Elle tenait à la main un bouquet de fleurs des champs. Déterminé, elle semblait tout à la mission qui l’avait faite se lever tôt pour venir en ce lieu. Les feux de l’été, les brouillards denses et tenaces de l’automne, les gels mordants du ventre de l’hiver, rien ne savait la dissuader quand elle brûlait de revoir celui qui l’attendait avec la patience infinie d’un contemplatif. Le verre dépoli qui avait si longtemps voilé le spectacle de sa vie comme une cataracte précoce, s’était enfin brisé. Illusions amoureuses, utopies de réalisations définitives, projets désordonnés, sa vie avait tout consumé.

Une brise tiède et légère gonflait la blanche robe, voile de la femme caravelle. Elle sillonnait les herbes du coteau, bouquet en proue. Elle approchait du port. Il entendit enfin grincer la porte de fer de l’enclos où il l’attendait. C’était devenu désormais le seul lieu du rendez-vous. Les graviers de l’allée crissaient maintenant sous ses pas. Quelques secondes, et il la contempla en surplomb, immense et belle, la tête au ciel. Elle s’agenouilla près de lui pour déposer son bouquet à ses pieds.

Une stèle de pierre portait cette inscription gravée : « Hugo repose ici en paix. Ce n’est que l’ultime palpitation du souvenir de leurs amours anciennes qui sonnerait l’oubli définitif. » 


Pierre TOSI - novembre 2003

Liste des nouvelles du recueil


Note : texte court, revu et corrigé, concluant le recueil de nouvelles dont j'ai proposé quelques extraits dans ce blog. Un hommage poussif à deux poèmes illustres ! Le premier joue sur le temps et l'espace. Dégagé des perceptions extérieures, le personnage masculin est mu par un désir pressant, une énergie interne opiniâtre qui le pousse à croire à l'immortalité d'un souvenir intense qu'il appuie par la symbolique finale des fleurs déposées, témoignant ainsi son évidence. Le second, à la rythmique volontairement brisée, nous envoie sur une fausse piste de vie intense et de bonheur radieux faisant intervenir tous les sens corporels avivés par la nature. Le poète éparpille ça et là des indices avant la brusque révélation d'une réalité tragique que la nature tentait d'atténuer à toute force. Hugo refuse les vertus cicatrisantes de la nature alors que Rimbaud les appelle au secours du funeste. Mon texte prend le parti du second poème. Appliqué à la relation amoureuse, il la voit comme un catalyseur des forces vitales, plutôt qu'un vecteur de désespoir quand elle prend fin sans en altérer le souvenir. Cependant, le personnage féminin emprunte la même énergie à la vigueur du souvenir toujours présent le maintenant en vie. Hugo vole, Rimbaud caracole. Un génie lyrique en marche, une comète surdouée en vol.



Demain, dès l'aube...

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor HUGO


Le dormeur du val

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur RIMBAUD

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