mardi 29 septembre 2009

Pierre Desproges aimait beaucoup les jeunes


Quand, au début des années 90, Pierre Desproges s’attaquait avec une bonhomie taquine à l’esprit de meute et au corporatisme beuglant de la jeunesse, comme on dit: passages choisis, glanés dans quelques-uns de ses livres qui pourraient servir de bréviaires à quelques gagas atteints de jeunisme primaire.

" Les jeunes ont été nombreux à m’écrire ces jours-ci pour me traiter de vieux con. Si tant est qu’on puisse appeler "écrire" n’importe quelle tentative de représentation d’une ébauche de pensée par le biais de symboles graphiques incohérents couchés dans le désordre au mépris total de la grammaire, de la syntaxe, de l’orthographe et du souvenir de mon aïeule Germaine Philippin, institutrice de l’époque missionnaire, qu’une cédille oubliée décourageait aux larmes."

« Et vous, qu’est-ce que vous avez fait pour les jeunes ? » lançait l’autre soir,
Jack Lang, cette frétillante endive frisée de la culture en cave, à l’intention de je ne sais plus quelle poire blette de la nouvelle sénilité parlementaire.
« Qu’est-ce que vous avez fait pour les jeunes ? »
Depuis trente ans, la jeunesse, c'est-à-dire la frange la plus totalement parasitaire de la population, bénéficie sous nos climats d’une dévotion frileuse qui confine à la bigoterie. Malheur à celui qui n’a rien fait pour les jeunes, c’est le péché suprême, et la marque de la pédophobie est sur lui...

… Leur servilité sans faille aux consternantes musiques mort-nées que leur imposent les marchands de vinyle n’a d’égale que leur soumission béate au port des plus grotesques uniformes auxquels les soumettent les maquignons de la fripe. Il faut remonter à l’Allemagne des années 30, pour retrouver chez les boutonneux un tel engouement pour la veste à brandebourgs et le rythme des grosses caisses.

Il est de fait que les vieux cons, comme vous dites, sont d’anciens jeunes cons restés fidèles aux mêmes valeurs sacrées de la condition humaine qui s’accommodent aussi bien de la banane sur l’œil à 18 ans que de la casquette
Ricard à 50."Vous n’avez rien contre les jeunes?", version à peine édulcorée du répugnant, "T’as pas cent balles?". C’est la phrase clé que vous balancent de molles gouapes en queue de puberté, pour tenter de vous escroquer d’une revue bidon entièrement peinte avec les genoux par des jeunes infirmes. (Je veux dire "handicapés". Que les bancals m’excusent.)

La jeunesse, toutes les jeunesses sont le temps kafkaïen où la larve humiliée, couchée sur le dos, n’a pas plus de raison de ramener sa fraise que de chances de se remettre toute seule sur ses pattes. Autant que la vôtre, je renie la mienne. L’humanité est un cafard. La jeunesse est son ver blanc.

Voilà comment ils sont les étudiants en lettres de par chez moi: nantis, dorlotés, choyés, brossés, fringués, cirés, chouchoutés, argentés, motorisés, transportés en carrosse jusqu’au cœur des bibliothèques, pour ne pas user leurs pauvres petites papattes fragiles de jeunes, ni troubler leur putain d’âme de jeunes, qu’ont des problèmes de jeunes.

Peut-on revendiquer comme un exploit d’être l’écrivain le plus doué dans cette génération post-soixante-huitarde de consternants tarés analphabètes débordant d’inculture, que de soi-disant enseignants mongoloïdes, grabataires du cortex avant la quarantaine, continuent à mettre à l’abri du moindre effort de découverte pour ne pas perturber leur petit caca d’ego avec ou sans trique, et ne point épuiser leur frêle intelligence, tendre chrysalide ?
"Jean Jaurès? C’est une rue, quoi !", me disait récemment l’étron bachelier d’une voisine, laquelle et son mari, par parenthèse, acceptent de coucher par terre chez eux les soirs où leur crétin souhaite trombiner sa copine de caleçon dans le lit conjugal.
Ceci expliquant cela: il n’y a qu’un "ah" de résignation entre défection et défécation.

(…) Il se dessine de façon tangible, dans votre génération qui monte, mon camarade, une espèce d’ambition glacée d’arriver par le fric et un mépris cynique de tous les idéaux assez peu compatible avec l’idée qu’on se fait de la jeunesse éternelle génératrice de fougues irréfléchies et de colères gratuites.

Certes, il est pénible de vieillir, mais il est important de vieillir bien, c’est-à-dire sans déranger les jeunes.

Allons, boutonneuses et boutonneux, ne nous gaussons plus de la guerre de 39-45 sans laquelle l’humanité n’aurait jamais découvert le
Zyclon B, le général de Gaulle, la bombe atomique et le bas nylon indémaillable sans lequel la jambe de la femme ne serait jamais qu’un vulgaire membre inférieur.

C’est la faute au malaise des jeunes si, après trois années de fac et 7 ans de lycée, ils croient encore que
le Montherlant est un glacier Alpin, Boris Vian un dissident soviétique, Sartre le chef-lieu de la rillette du Mans.

J’ai un quotient intellectuel de 130. Cela signifie que j’ai un niveau d’intelligence exceptionnel. C’est important, l’intelligence. L’intelligence, c’est le seul outil qui permet à l’homme de mesurer l’étendue de son malheur. L’intelligence, c’est comme les parachutes. Quand on n’en a pas, on s’écrase.


Pour terminer, un couplet d'une chanson de Brassens qu'il portait aux nues:

Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on
Est plus de quatre on est une bande de cons.
Bande à part, sacrebleu ! c’est ma règle et j’y tiens.
Au faisceau de phallus on n’ verra pas le mien.

Le pluriel - Georges Brassens

jeudi 24 septembre 2009

Dépassée la pub de la mère Denis


La publicité suggestive se fonde sur une approche psychologique de l'individu. En terme sémiologique, on parlera d'une publicité de la connotation qui suggère, qui ne fait pas appel à la raison mais aux sens. Ce type de publicité donne un grand pouvoir à l'image et à sa puissance projective qui permet d'influencer l'inconscient.

Ou quand les publicitaires danois, pour vendre des machines à laver (Fleggaard Holding A/S), ont retenu la leçon de la mère Denis et font vaguement appel à nos sens en saupoudrant le tout d'une infime pincée de messages subliminaux.

You Tube ayant retiré la pub pour "raison d'usage inapproprié" (pudibonderie?), utilisez désormais le parachute de secours Daily Motion, avec filtre parental, qu'aurait pu simplement adopter son concurrent, si c'est la raison: TIREZ ICI

mercredi 23 septembre 2009

TAS ou Trouble Affectif Saisonnier



Représentation d'une molécule de mélatonine


Structure de la molécule de Dopamine

Chaque année, dans les pays des hautes latitudes, avec le raccourcissement des jours et la baisse d’intensité lumineuse, de nombreuses personnes (une sur cinq environ) sont affectées par le trouble affectif saisonnier ou dépression saisonnière. Parmi elles, deux tiers ne présentent que des symptômes atténués appelés communément blues hivernal. Le TAS est trois à quatre fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes. Il débute généralement après vingt ans et touche aussi les personnes non prédisposées à la dépression. Il apparaît plus ou moins tôt dans l’année et de façon plus ou moins prononcée selon les latitudes et la réceptivité des sujets. Il est fort répandu et invalidant en Europe dans les pays nordiques.

En règle générale, les symptômes associés aux TAS disparaissent avec l’arrivée du printemps. Cependant, ces dernières années avec l’apparition massive de la climatisation, de nombreuses personnes et notamment les sujets âgées ont eu tendance à se confiner l’été à l’abri de la lumière. On voit désormais des personnes souffrant de troubles affectifs saisonniers en été. En général, les symptômes qui apparaissent deux hivers de suite, sans aucune autre explication pour les changements d’humeur et de comportement, indiquent la présence d’un TAS.

1 - Causes des troubles affectifs saisonniers :

La physiopathologie évoque un déséquilibre de répartition des amines cérébrales dans l’organisme, comme dans la dépression classique d'ailleurs. Sérotonine, dopamine et mélatonine sont particulièrement incriminées. La mélatonine est secrétée par une petite glande placée à la base de notre cerveau: l’épiphyse. Des mécanismes de rétroaction modulent sa production en fonction de la quantité de lumière dispensée durant la journée. L’activité des photorécepteurs rétiniens est le premier chaînon du mécanisme de sa régulation. Cette amine cérébrale sécrétée en forte quantité la nuit subsisterait anormalement dans la journée chez les personnes souffrant de dépression saisonnière. Leurs taux de sérotonine circulants - cette dernière favorise l’éveil et la vigilance - ne suffisent pas alors à contrebalancer l’action "somnifère" de la mélatonine.

2 - Diagnostic :

Le diagnostic différentiel est difficile avec les autres types de dépression ou les troubles bipolaires. Certaines pathologies thyroïdiennes, sont également à éliminer avant de porter le diagnostic. La grande problématique vient du fait que cette maladie est trop souvent sous diagnostiquée et que la confusion avec une dépression classique entraîne une médication inadaptée, trop hâtivement prescrite par des médecins généralistes connaissant mal cette affection. Cependant, aucune étude n’a été réalisée sur la corrélation entre le pic de consommation d’antidépresseurs et leur saisonnalité de consommation. Les laboratoires pharmaceutiques n'ont peut-être pas intérêt à faire une étude montrant que la prescription d'antidépresseurs a un pic hivernal qui pourrait correspondre à des TAS ignorés?

3 – Principaux symptômes :

Changement des goûts alimentaires, avec notamment un désir accru d’aliments sucrés ou féculents. Prise de poids. Fatigue. Augmentation importante du besoin de sommeil associée à des réveils difficiles. Difficulté à se concentrer dans la journée et irritabilité. Évitement des situations sociales. Majoration de l’anxiété de base habituelle du sujet.

4 – Traitement :

Le traitement par des séances de luminothérapie s’avère efficace dans environ 80% des cas. Celles-ci consistent à exposer les sujets à un rayonnement lumineux par des lampes dont le spectre d'émission est proche de celui du soleil, infrarouges et ultraviolets exclus. La cure consiste à allonger progressivement la durée d’application par tranches de dix minutes jusqu’à une demi-heure par jour, d’octobre à février. Il existe même dans les pays scandinaves des commerces et des cafés équipés de lampes répondant à des normes techniques réglementées pour prévenir la population locale de cette affection. Le simulateur d’aube est un excellent complément aux séances de luminothérapie. Il a été cliniquement testé et a donné des résultats positifs sur des sujets atteints de dépression saisonnière.
 
5 - Mécanisme :
 
Les déprimés saisonniers auraient une horloge biologique un petit peu moins bien réglée en hiver, du fait du manque de lumière. Cela contribuerait aux problèmes d’humeur. C’est vraisemblablement la mélatonine qui n’est pas sécrétée correctement au bon moment. Beaucoup de maladies psychiatriques ont une saisonnalité dans leurs symptômes.
 
Chaque rétine de l’œil humain contient un sous-groupe relativement restreint d’environ 2000 cellules ganglionnaires photosensibles contenant de la mélanopsine. Leur réponse électrophysiologique à une stimulation lumineuse se distingue nettement de celle des cônes et des bâtonnets. Au contraire de ceux-ci qui montrent une hyperpolarisation rapide en réponse à un stimulus lumineux, les cellules ganglionnaires photosensibles montrent plutôt une dépolarisation membranaire qui est aussi beaucoup plus lente. La similitude de ce type de réponse avec celle des cellules photosensibles d’invertébrés comme la mouche ou la pieuvre appuie l’idée que ce système de signalisation est beaucoup plus ancien que la vision du point de vue phylogénétique. La Mélanopsine, ce pigment photosensible contenu dans ces cellules ganglionnaires de la rétine, particulièrement sensibles à la lumière bleue, permettrait entre autres à l’horloge biologique de bien détecter le début et la fin du jour. Un ciel bleu, beaucoup plus présent en été participe, via la Mélanopsine à moduler certaines fonctions des amygdales du cerveau responsables des réponses comportementales et végétatives associées en particulier dans la peur et l'anxiété.

Au soleil, moins de fatigue, plus de motivation.


Lampe de luminothérapie





Représentation 3D d'une molécule de sérotonine


Clic sur les images du billet pour agrandissements et titres

N.B: chez les anglo-saxons la dénomination SAD ou Seasonal Affective Disorder est beaucoup plus évocatrice !

vendredi 11 septembre 2009

Un singe en hiver





"Car la vie est un bien perdu quand on l'a pas vécue comme on aurait voulu."

Cette citation approximative du poète roumain Mihai Eminescu ("La vie est un bien perdu pour celui qui n'a pas vécu comme il aurait voulu.") apparaissant au générique de fin du film de José Giavanni "Dernier domicile connu", pourrait tout aussi bien figurer dans celui-ci.

Un singe en hiver est un film français réalisé par Henri Verneuil, d'après le roman éponyme Un singe en hiver (1959) d'Antoine Blondin, en 1962. Servi par le texte du romancier et les dialogues de Michel Audiard, je le place sur le podium du genre avec les "Tontons flingueurs" et "Le cave se rebiffe". Effectuer un remake étranger serait une entreprise coupable, qui plus est, vouée à l’échec. Les dialogues sont émaillés d’expressions argotiques, de tournures de phrases et de tirades gouailleuses aux saveurs essentiellement perceptibles par un francophone. L’association Gabin-Belmondo fait merveille dans ce beau duo de singes en hiver. En plus de son humour ravageur, ce film a par moment des accents lyriques et poétiques qui le démarquent de ceux que je viens d'évoquer. Il propose une brochette de seconds rôles savoureux. Quelques uns campent des personnages assez proches de ceux de "La traversée de Paris" de Claude Autan-Lara. Une parabole sur la rencontre, l’ivresse du voyage ou le voyage de l'ivresse, le temps qui passe et puis même, une satyre jubilatoire, moins vitriolée que dans la dernière œuvre citée, de quelques « salauds de pauvres ».

Le blog-notes de la Mansarde note ce film 11/10.





A noter: en 1964, Henri Verneuil réalise "Week-end à Zuydcoote" un nouveau coup de maître.

"Un film hors série pour tout dire. Un des plus grands films de guerre, un des plus troublants, un des plus riches en résonance qui ait été produit dans le genre. Il empoigne. Et dans la forme, il brille."

Le Figaro.

mardi 25 août 2009

Eve (All About Eve) - 1950






Quand on s’attaque à du lourd, mieux vaut faire concis. Impossible cependant de faire sobre pour ce morceau d’anthologie du septième art de J.L Mankiewicz qui signe ici un film et un scénario virtuoses, d'une intelligence et d'une subtilité rares. Qualité des personnages, dialogues brillants, scénario d'une grande richesse, l'un des tout meilleurs de l’auteur, avec celui du Limier (Sleugh), casting de prestige. Anne Baxter est à la hauteur de l'événement et très convaincante dans son jeu. Elle est tout de même poussée dans les cordes par deux monstres sacrés qui se livrent à un concours d'acteurs absolument hallucinant: Bette Davis crève l'écran plus que jamais, et l'immense George Sanders y est encore plus cynique et brillant que d'habitude. Un chef d'œuvre d'intelligence et d'élégance, satyre féroce du milieu du spectacle.

Six oscars ont plu sur ce film en 1951 sans qu’il n’y ait rien à redire. On m'en voudrait de ne pas préciser que Marylin Monroe faisait partie de la distribution, mais c'est parfaitement anecdotique.

Dans la vidéo qui suit: Bette Davis eyes will tease you, unease you, all the better to please you. She’s precautious, and she knows just what it takes to make a pro blush…
Je ne suis pas fanatique de la musique des années 80 mais j’aime bien ce morceau de Kim Carnes et ce montage rend hommage à Bette Davis. Alors, pourquoi s'en priver?


samedi 22 août 2009

L'enfer est-il exothermique ou endothermique?

Highslide JSLes exégètes et les historiens seraient au paradis ou en enfer si l’on découvrait un jour le probable proto-évangile dont s’est inspiré Saint-Jean l'évangéliste pour écrire le plus ancien des quatre canoniques. Les trois autres, dénommés synoptiques parce que racontant des histoires semblables pouvant être mises côte à côte, ne sont que des plagiats plus tardifs du précédent, agrémentés au fil du temps et des volontés de prosélytisme des uns et des autres, de carabistouilles, enjolivures, erreurs cumulatives de traductions plus ou moins volontaires ayant fait gloser les pères de l'Église à n’en plus finir, couper les cheveux en quatre et définir cinq grandes hérésies au Vème siècle de l’ère chrétienne: arianisme, nestorianisme, monophysisme et adoptianisme, principalement. N’oublions jamais qu’avant cette date circulaient une autre bonne vingtaine d’évangiles déclarés apocryphes, recalés par les canonistes.

Il en va de même de nos jours de canulars et «hoaxes» sur Internet. Celui que je vous propose remonte au moins à 1999 et a fait l’objet de nombreux billets par la suite. Son point de départ est hypothétique, probablement américain. Quelques tournures de phrases et expressions, la loi de thermodynamique des gaz privilégiant Boyle à Mariotte, vont dans ce sens. Plus consensuelle, la loi d’Avogadro qui tient compte au moins de la température du gaz serait d'ailleurs à privilégier: R = P0V0/T0

Que ce soit en fait un professeur de philosophie ou de chimie de Washington, de Montréal, de Montpellier ou de Nanterre qui, soi-disant, aurait posé cette question bonus lors d’un partiel à ses étudiants, je m’en tamponne le coquillard comme un malade. Par contre, les commentaires variés qui ont fleuri sous ces billets, parti-pris religieux, sentences foireuses de physiciens à la petite semaine, arguties mettant à jour telle ou telle faute de raisonnement, postulats physiques inadaptés au transcendantal, syllogismes du genre toutes les poules sont donc kleptomanes, l'épaisseur des parois de l’enfer n'est pas définie et j’en passe, sont indubitablement en faveur d'un fait scientifique: la connerie humaine est en expansion constante.

Une fois encore, seuls l’humour et la poésie ne me feront jamais totalement désespérer du genre humain. Je vous livre une mouture de cette question d’examen improbable, fable humoristique bien écrite se foutant par anticipation de tous ceux qui la prendrait au sérieux:

dimanche 16 août 2009

Orfeu Negro




On pourrait dire de certains films, que leurs réalisateurs, en les tournant, ont été touchés par la grâce. C’est à mes yeux le cas de Marcel Camus pour Orfeu Negro. Ce film musical franco-italiano-brésilien reçoit la palme d’or du Festival de Cannes en 1959. Adapté d'une pièce de Vinícius de Moraes, Orfeu da Conceição (1956), il revisite le mythe d'Orphée et d'Eurydice en le transposant de Thrace aux favelas de Rio de Janeiro, pendant son carnaval. Il fait découvrir au grand-public européen la musique brésilienne.

Les esprits chagrins lui reproche parfois ses cotés clichés, et certains cariocas le considèrent comme une création trop française ayant trahi la pièce originale. Je ne ferai pas tant la fine bouche. Ce film de lumière mené de bout en bout sur un rythme de samba endiablé, interprété par des acteurs du cru étonnants de vérité, irradie la sensualité et la joie de vivre. Arriver à faire du mythe d’Orphée, triste à pleurer, il faut bien le dire, une histoire qui vous communique autant d’énergie est un des mystères du film. Les personnages sont plus hauts en couleurs les uns que les autres. On ne s’ennuie pas une minute lors de sa vision et l’on ne reprend son souffle qu’au lever du soleil, le matin qui suit la nuit de braise et de folie du défilé du carnaval. On garde alors pendant des heures en tête, les sons, les danses, les couleurs et la musicalité envoutante de la langue portugaise. Emporté dans la danse, on s’affranchit même souvent de la lecture des sous-titres. Je préfère garder des favelas de Rio cette image idyllique de carte postale plutôt que celle de plaques tournantes de la drogue et de la violence qu’elles sont devenues.

Orfeu Negro est un vrai bijou. La femme de Venicius de Moraes, quelques décennies après sa sortie, alors qu’elle s’était refusée à le revoir jusqu’ici attristée par la déception de son mari lors de la première, finit aujourd'hui par le dire elle-même, dans notre langue.

jeudi 13 août 2009

Desport

Sans aller jusqu’à rechercher dans un corpus la date de la première occurrence d’un mot de notre langue, il est parfois intéressant d’en connaître l’étymologie et de constater l’évolution de ses différents sens au cours du temps.

Highslide JS


D
e nos jours, quel quotidien courrait le risque de ne pas avoir sa rubrique "Sports"? Quelle chaîne généraliste se passerait des audiences et des retombées financières apportées par les retransmissions des compétitions sportives les plus populaires? Qui n’a pas pratiqué au moins une fois dans sa vie une activité sportive ou assisté aux ébats sudoripares d’athlètes dans un espace dédié à sa pratique? Ne pas aimer le sport et les sportifs serait-il donc une tare dans le monde moderne, une attitude rétrograde d'intellectuel nihiliste souffreteux?
Highslide JS
Le mot "sport" provient de l’ancien français «desport» ou déport et lui-même du verbe «desporter» qui signifiait s’ébattre. On note son apparition vers la fin du XIIème siècle. Plus tard, «se desporter» signifie, avant tout, s'amuser. Le mot, importé par la chevalerie en Angleterre, se transforma en «disport» au XIVème siècle, puis en sport.

Ce que l’on allait appeler par la suite revenu chez nous d'Angleterre, sport, a connu une faveur exceptionnelle dés le bas Moyen-Âge, comme le démontrait dès 1901, Jean-Jules Jusserand dans "Le sport et les jeux d'exercice dans l'ancienne France", un ouvrage qui conserve encore aujourd'hui tout son intérêt.

Le poète Eustache DesChamps (1346-1407) invitait «pour déduire, pour desporter et pour son corps reconforter» à s'«exerciter»:

"Exercitez-vous au matin/ Si l'air est clair et enterin/ Et soient vos mouvements trempés/ Par les champs, ès bois et ès prés/ Et si le temps n'est de saison/ Prenez l'esbat en vos maisons."

Delamarre, un auteur plus tardif, écrit: «L'homme dans l'état d'innocence, aurait joui d'une tranquillité parfaite et d'une joie que rien n'aurait pu troubler... Agissant toujours sans peine et sans contention, la lassitude, l'abattement et le dégoût lui auraient été inconnus. Il n'en a pas été de même depuis sa chute; il doit travailler... et il est exposé à une infinité de fatigues [...] qui le conduiraient en peu de temps au tombeau, s'il ne lui était encore resté quelques moyens pour les réparer.»

Desporter se disait de toutes les formes de jeux, jeux de paroles, jeux de hasard, jeux du corps, ces délassements par lesquels l'homme médiéval parvenait à réparer la fatigue du travail auquel l'avait condamné la Chute.

Highslide JS«Le grand sport du moyen âge était le tournoi », écrit Jusserand. Nombreux sont les auteurs à avoir tracé le parallèle entre la noblesse des courètes grecs et celle des chevaliers en armure, dont la théologie médiévale parviendra à justifier les mœurs guerrières en en faisant des soldats du Christ, les milites Christi. Pierre de Coubertin admirait même davantage cette société des chevaliers où «l'esprit de lucre ne parvient à aucun moment à y tuer l'esprit sportif qui garde une intensité et une fraîcheur supérieures probablement à ce que l'antiquité grecque elle-même avait connu».

Le sport n'est plus le privilège de l'aristocratie ou de la noblesse. On voit l'aristocratie partager avec les «vilains» la même passion pour la soule ou le jeu de paume. Selon une coutume, dont on sait qu'elle était encore en usage dans certaines régions de France au XIXe, des villages entiers se livrent au jeu de la soule, une sorte de gros ballon rempli de son, qu'on s'échange avec le pied et la main, parcourant souvent de vastes distances à la poursuite du ballon. Les participants font preuve d'un zèle si intense que la course se termine parfois dans la mer et qu'on assiste à la noyade de joueurs tentant de récupérer le ballon pour leur équipe.

On constate que les sens primitifs d’ébats, de jeu, d'exercices vivifiants ont vite tourné à ceux d’affrontements guerriers et de luttes propices aux horions. Le coté ludique et chevaleresque a rapidement pris du plomb dans l'aile. De nombreuses disciplines sont pour leurs pratiquants plutôt sources de sueur, larmes et sang, pour paraphraser Churchill. De plus, le pauvre Coubertin constaterait que ses idéaux ont été cruellement mis à mal. S’il pouvait assister, un dimanche matin, pour ne citer qu'un exemple, à un match de football pratiqué par deux équipes corporatives! Insultes, coups tordus, bagarres générales, intimidation de l’arbitre sont couramment au menu.

Que dire aussi de ces conquérants de l’inutile, adeptes des sports individuels, assoiffés de records ou de dépassement perpétuels de soi qui ont trop rarement le recul philosophique de l’alpiniste Lionel Terray, mort dans le Vercors en 1965 en s'adonnant à sa pratique, qui pressentait de son vivant le coté irrationnel, irrépressible et la démesure de sa quête en terminant son livre éponyme sur cette phrase: « Si vraiment aucune pierre, aucun sérac, aucune crevasse ne m'attend quelque part dans le monde pour arrêter ma course, un jour viendra où, vieux et las, je saurai trouver la paix parmi les animaux et les fleurs. Le cercle sera fermé, enfin je serais le simple pâtre qu'enfant je rêvais de devenir… »

Pourquoi donc ne pas commencer par l'accomplissement de son rêve d'enfance, pourrait-on ajouter?

Highslide JS
Ce billet à rebrousse-poil des dithyrambes usuelles concernant les bienfaits du sport, n'aurait-il pas été écrit par simple goût de l'antithèse? Un peu... mais demandez un jour à un médecin du sport de vous faire un listing détaillé des pathologies induites par une pratique inadaptée ou excessive des sports les plus connus. Vous finirez par ne retenir que le bénéfice cardiovasculaire indéniable, et le petit nombre de ceux peu traumatisants pour l'organisme. Quant au cas du sportif de haut-niveau et sa psychologie si particulière, en écoute anxieuse permanente de son corps fragilisé par l'atteinte des limites de sa résistance, demandez cette fois à son entourage de vous parler du bonheur qu'il tire du temps et de l'énergie dépensés à l'addiction de leur grand sportif... allez, je force le trait, dopé ou non.

Highslide JS

Bernard LEBLEU, «Le sport et l'éducation à travers l'histoire», L'Agora, vol. 10 no 4, automne 2004

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