mercredi 16 novembre 2011

Incidences de Philippe Djian


 « Rien de plus vivant qu’un désespéré qui se maintient à flot. »
- Meszigues -


 Il faut éviter de lire les critiques d’un livre qui vous choisit avant son achat. Une fois lu, libre à vous ensuite de choisir celles qui vont dans votre sens et d’envoyer chier les autres.

Ma critique :

Cela faisait un bail que je n’avais plus ouvert un bouquin de Djian. Je pensais que le type avait fini par se momifier dans les années 80, avait définitivement sombré dans la dépression, ou que le taxidermiste manquait de sujets désespérés pour parfaire la collection de son musée des abimés de la vie. Non, non non, le Philippe n’est pas mort, car il bande encore son arc pour tirer à vue et décocher quelques flèches empennées de plumes noires qui font mouche. Aux détours d’un récit au style épuré qui se tortille au point de déboussoler parfois un GPS, ce roi de l’embrouille balance quelques vérités sur une société formatée pour l’ennui. En chemin, le joueur de bonneteau nous donne, mine de rien, une leçon de rythme en écriture. Quelques riffs vous collent parfois le vertige au bord d’un gouffre refuge où une araignée amnésique balance, sans même les boulotter, les corps de victimes ayant funestement appuyé par mégarde là où Marc a toujours mal. L’exploit consiste à nous rendre malgré tout l’animal furieusement attachant. Encore une pirouette allant à l’encontre de la surexposition de monstres autopsiés par les média. Flatter le goût morbide du consommateur sans jamais lui laisser entrevoir une vague proximité avec ces détraqués qu’on fustige à l’envie. Pour notre grand bonheur, comme son personnage principal, Djian a probablement abandonné toute velléité de chasser sur les terres Goncourt d’un Houellebecq, où est la plume. Du coup, son bouquin est lisible, et par moments, parfaitement jubilatoire, plus subversif que provocateur. Entre phosphènes migraineux et flashbacks au flou allusif, il ébauche à touches distantes le passé complexe du personnage. Foin des détails qui auraient alourdi le tempo acéré d’un récit vif (avec quelques pauses heureuses poussant à la contemplation), ou sombré dans le racoleur. Grand merci. En secouant les lettres du titre, incidences deviennent incendies. Les pare-feux méthodiques mis en place par son personnage à l’épiderme à vif finissent par céder. Ses modes de défense archaïques lui faisaient surestimer leurs capacités ignifuges. 


Les critiques que je n’ai pas envoyées aux toilettes après lecture du livre :

Le dernier Philippe Djian s’intitule Incidences et c’est peut-être bien son meilleur livre. Concrètement, un roman qui ne fait que 233 pages, mais qui contient tellement de substances chimiques en suspension, des non dits en pagaille et des traumatismes à peine effleurés en rafales, qu’il en raconte plus que des pavés deux fois plus épais. Elle est proprement ébouriffante la façon dont Djian prend son héros à la gorge et ne le lâche plus. Un type plus tout jeune, professeur de littérature, écrivain raté, qui fait régulièrement son marché parmi ses jeunes étudiantes énamourées et entretient une relation au-delà du fusionnel avec sa sœur. C’est sa descente aux enfers que raconte l’auteur au travers de scènes tour à tour angoissantes, euphoriques ou drolatiques. Le tout avec un sens du politiquement incorrect très aiguisé mais assez subtil pour tenir la route (des pages entières pour glorifier la cigarette, stigmatiser la médiocrité ambiante dans la littérature française, se révolter contre le néo-conservatisme dans l’air du temps). Un Djian en colère contre l’époque qui trouve son seul refuge dans des promenades en forêt, on croit rêver. Quant au style, eh bien, il est plus ciselé que d’habitude. Au rasoir, même, y compris dans des scènes anodines à la tension sous-jacente. Le récit est fait d’embardées, de malaises vagaux, qui donnent un ton quasi mortifère au roman. C’est comme si Philip Roth écrivait des épisodes de Plus belle la vie. Plus laide la vie, oui, avec un quotidien qui se dérègle sans compter un passé moche comme tout, qu’on a glissé sous le tapis pour ne plus le voir, mais qui finit par revenir sous forme de nausée. C’est noir, c’est caustique, c’est brillant, c’est le dernier Philippe Djian. Qui vous laisse K.O pour le compte.

Livre vivement conseillé par traversay

Une écriture au scalpel pour mieux flouter des zones d’ombre, faire soudainement exploser l’érotisme ou la violence du passé, révéler, par touches, par approches, un personnage qui toujours nous échappe – « comme si le fond était sans fin » –, dont nous voulons lire le secret.
Philippe Djian a un talent unique pour happer ses lecteurs dans une narration qui repose sur un presque rien. Un presque dont il s’empare et auquel il donne des allures de road trip. Dont il joue avec une maîtrise folle, hallucinante, jusqu’à donner les règles, dans le récit lui-même, qui gouvernent son écriture. Marc commente un texte que lui avait rendu Barbara : « Vous avez lu ce qu’elle a écrit ? reprit-il. C’est la maîtrise qui est surprenante. Le bon dosage de la lenteur et de la rapidité. Du net et du flou. C’est très bluffant, vous savez. (…) N’importe quel crétin est capable de raconter une histoire. La seule affaire est une affaire de rythme, de couleur, de sonorité ».

Mediapart

Lien à l’intention de ceux qui veulent tout de même décrocher le Graal : En route vers le Goncourt


lundi 14 novembre 2011

Shopping d'images


Le précédent billet indiquait que j'avais mis récemment le nez dans les statistiques de consultations de pages du blog pour régler un dysfonctionnement passager. Une conclusion hâtive pourrait amener à penser que c'est le thème des billets du blog qui attire avant tout les visiteurs. En fait, en consultant l'album Picasa renfermant son iconographie, les statistiques d'affichage des images laissent plutôt supposer que ceux-ci sont venus s'échouer sur le blog à la suite d'une recherche par mots clefs d'images Google. L'hypothèse semble corroborée par l'examen des sources du trafic en direction des pages. Je propose ici un florilège des d'images préférées des internautes sur " Le blog-notes de la Mansarde ". L'image qui illustre ce billet en mode Magazine a été affichée près de 50 000 fois. Elle appartient au billet "Le Ricain". Celui concernant Gustav Klimt étant, très loin avant tous les autres, le plus consulté, je ne propose ici que la gagnante du lot. Elle talonne la précitée. Pour obtenir plus de détails sur l'arrivée des courses : cliquez ce lien en direction de l'album Picasa dédié au blog.


Seules, 2 ou 3 des images présentées m'ont demandé un vague effort: emploi d'un scanner, travail de photocomposition ou de coloriage sommaire. La modestie s'impose donc en la matière, et l'argument de la qualité espérée de la prose de l'auteur capable de drainer les visiteurs en ces lieux perd de son crédit...

Quand je vous le disais... et j'ai masqué par soucis de confidentialité les URL sources bourrées de images.,etc.

***

What a fucking solo, dear David !

mercredi 9 novembre 2011

Génération informatique

 Clic pour agrandir

En faisant du tri dans mes archives de correspondance papier - je suis de la vieille école - j'ai retrouvé ce courrier improbable dans son mode de rédaction et le florilège orthographique saisissant qu'il propose. Le rédacteur de l'époque (mai 2009) n'était autre que mon dernier rejeton alors en CE2. Il était sur le pied de guerre avant un départ pour Rome avec sa mère. Je retiendrai avant tout de sa prose, que l'intention était louable, les sentiments respectables, et qu'une seconde lecture me fait encore me bidonner. La mère peut-être moins, bien qu'elle possède un humour robuste...

Ajout du 23/12/2011 :



jeudi 6 octobre 2011

LA NÉVROSE HYSTÉRIQUE ou le monde du ÇA vous en bouche un coin

Enseignement de Charcot à la Salpêtrière : le professeur montrant à ses élèves (dont Joseph Babinski à droite sur le tableau) sa plus fidèle patiente, « Blanche » (Marie) Wittman, en crise d'hystérie. Tableau d'André Brouillet : Une leçon clinique à la Salpêtrière, 1887 - Source: Wikipédia.
" L'hystérie, c'est lorsque le sexe prend la place du cerveau pour commander la vie."
[Michel Tournier]

Introduction :


Le terme d’introduction doit s’entendre au sens figuré. J’ai lu cependant que Freud - mais les gens sont si médisants qu'il est prudent de ne pas tout croire - en compagnie de ses confrères, donnait parfois dans l’humour salace de corps de garde. Graveleux, il sous-entendait que le meilleur traitement de l’hystérie était peut-être l'injection vaginale biquotidienne sur une durée de plusieurs mois. Vantardise de macho et belle image d'un professionnel qui se lâche !

Les psychologues et psychiatres ont la manie de chambouler régulièrement leurs classifications, de refondre ou d'évacuer des chapitres entiers de leurs opus, de complexifier les anciennes dénominations des affections de la Psyché. Rappelons que dans la mythologie, Psyché était la fille d'un roi. Elle se regardait souvent dans son miroir, au point de léguer son nom a une variété d'entre-eux. Narcisse, lui, le faisait dans une mare. C'était plus dangereux. Pamela Anderson n'était pas encore surveillante de baignade. Psychiatres, psychologues et psychanalystes, peinent à se rapprocher de la rigueur scientifique. La neurobiologie est balbutiante et n'a pas encore de quoi poser les bases d'une physiologie des câblages et des séquences biochimiques en jeu dans les mécanismes de l'élaboration de la pensée. Un domaine complexe de la Médecine favorisant l'éclosion des complexes psychanalytiques érigés en postulats. La publication du  Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux DSM-5 en mai 2013 nous apprend enfin que nous sommes tous à soigner.

Attendant avec impatience que les arguties d'écoles s'essoufflent, je ne m’en tiendrai dans ce billet qu'à d’antiques références ayant eu le mérite, ou le danger, de m'apparaître utiles jadis dans l'exercice abdomino-pelvien de ma spécialité médicale en pouvant faire le distinguo entre la symptomatologie sans doute psycho (après tout) et après tout somatique (avant tout). Le but, limiter le trou (je n’ai pas écrit "limer le trou", pour éviter le lapsus révélateur) de la sécu en ne surmédicalisant pas la sphère pelvienne avec des trucs qui font avant tout mal à la tête.

Historique et définition :

Le terme d'hystérie remonte au médecin grec Hippocrate - je vous en fais le serment - qui inventa ce mot pour décrire une maladie qui avait déjà été étudiée par les Égyptiens. Ils n'en avaient brossé qu’un vague profil (je n'ai pas pu résister à la faire). Le terme est dérivé du mot grec "hystera". Utérus (ou t’es slave), en Français. La maladie, à ces époques éloignées, aurait été intimement liée à l'utérus ; la théorie admise étant que celui-ci se déplaçait dans le corps, créant les symptômes. Platon décrivait ainsi ses causes et ses manifestations dans Timée : «L'utérus est un animal qui désire engendrer des enfants. Lorsqu'il demeure stérile trop longtemps après la puberté, il devient inquiet et, s'avançant à travers le corps et coupant le passage à l'air, il gêne la respiration, provoque de grandes souffrances et toutes espèces de maladies. ». Cette théorie garde quelques partisans au sein des membres de la Secte des Adorateurs de l’Oeuf.

L'étiologie de l'hystérie, indissociable de sa représentation sociale, a beaucoup évolué en fonction des époques et des modes. Elle reste très mystérieuse et controversée. Ainsi, cette affection a disparu des nouvelles classifications (DSM et CIM) du fait de sa connotation psychanalytique et apparaît désormais la catégorie trouble de la personnalité histrionique ou trouble somatoforme. Notons que le diagnostic "trouble somatoforme" exclut les malades - notamment en Suisse - de certaines prestations assécurologiques, ce qui peut être considéré comme une nouvelle manière de dénier la réalité du trouble. Le Suisse se méfie comme la peste de toute manifestation exubérante propice à mettre le feu au Lac.

La définition moderne de l'hystérie donnée par Antoine Porot est : « une disposition mentale particulière, tantôt constitutionnelle et permanente, tantôt accidentelle et passagère, qui porte certains sujets à présenter des apparences d'infirmité physiques de maladies somatiques ou d'états psychopathologiques.». L'association de manifestations permanentes ou récurrentes, fréquemment des paralysies, des troubles de la parole ou de la sensibilité, et d'autres transitoires, tels que des crises pseudo-épileptiques ou des comas «psychogènes», constitue la forme la plus courante de cette maladie. Depuis Freud et Janet notamment, elle est considérée comme une névrose dont l'histoire s'est longtemps confondue avec celle d'hystérie.

Ce genre de définition moderne m'incite une fois de plus à penser qu'ils ne sont pas vraiment clairs ces gens là...

Les deux grands modes hystériques :

- Dans le premier, l'infantilisme et l'immaturité sont marqués. On assiste beaucoup plus fréquemment dans ce type à des conversions (voir ci-après, ou lire les Actes des Apôtres).

- Dans le second, le mode de conversion le plus fréquent est la dépression névrotique (responsable de la chute actuelle du CAC 40).

Le caractère oral prédomine chez l’hystérique:

Caractère avide marqué par un besoin de dépendance avec un sentiment d’insatisfaction régulier. D'où, marques de jalousie, d'envie, tendances possessives, impatience, impulsivité et exigence. Sujets expansifs et agressifs, chez qui on constate une valorisation excessive de la parole, des plaisirs oraux. Aspect manichéen des investissements en tout bon ou tout mauvais sans possibilité de nuance, de compromis et d'ambivalence. Le sujet dévore tout et tout le monde. Tel le tonneau des Danaïdes, il ne se perçoit jamais rassasié et ne ressent d'une relation que le moment où elle s'achève. Cette sensibilité à la frustration prédispose ces sujets aux réactions dépressives et à une grande dépendance à l'égard des autres. L'envie représente l'aspect le plus destructeur de l'oralité. La relation d'envie est, au niveau fantasmatique, une relation de dévoration ou de vampirisation au cours de laquelle le sujet désire absorber toutes les qualités de l'objet envié et se les approprier entièrement. Elle implique une conduite très agressive et même destructrice.

Je sais, ça fout les boules.

1- Les Symptômes de conversion :

Ils sont la traduction symbolique au niveau du corps d'un conflit inconscient. La représentation du conflit est refoulée tandis que l'affect lié à ce dernier est converti en un compromis symptomatique qui dans le cas de l'hystérie a un sens précis directement lié au conflit originel qu'il exprime sous une forme déguisée. Symptômes organiques les plus variés n'entrant pas dans le cadre de la pathologie habituelle. Ce versant a évolué au cours des époques en fonction des pathologies à la mode susceptibles d'être mimées à son insu par l'hystérique. Le tableau de la grande crise d’hystérie de Charcot copiant des pathologies neurologiques spectaculaires ne se voit plus qu’exceptionnellement. C'est presque à regretter pour la facilité du dépistage qui était à la portée du premier ou du second venu.

Actuellement les manifestations symptomatiques sont beaucoup plus frustres: aphonie transitoires récurrentes sans pathologie ORL retrouvée, vertiges idiopathiques, crises d'allure épileptique, algies rhumatismales sans support objectif, conjonctivites idiopathiques, atopie cutanée, cystites à urines claires, oubli de régler la consultation du médecin, etc.

2- Les manifestations de caractère :

a - Avidité relationnelle avec intensité et instabilité des attachements. Labilité émotionnelle due à l'impossibilité d’intégrer la notion d'ambivalence. Réponses émotionnelles intenses dues à une sensibilité exacerbée: "Docteur, c'est le cœur?". Menaces et pulsions suicidaires. C'est cette période qui sonne le retour des défects de la période œdipienne. L'hystérique continuerait à vouloir le père pour elle toute seule, son admiration qui rassure et valorise. Attention, pères trop présents, symboliquement, ou réellement devant votre télé pour ne pas rater un match du PSG.

b- Suggestibilité et dépendance : transe, possession, fascination face aux phénomènes de mode, groupies exaltées (surtout les adulatrices du sous-genre du rock alternatif qu’est le "grunge"). Recherche perpétuelle de modèles entraînant parfois une pensée imaginaire ou magique proche de la mythomanie... blue... oh manie blue. Puérilisme abandonnique avec dévalorisation de soi. Identifications labiles soumises au désir de l'autre plus qu’à ses propres envies (n'hésitez jamais à préciser à l'hystérique que les toilettes sont au fond du couloir).

c- Théâtralisme ou histrionisme (un histrion est un mauvais comédien). L'hyperexpressivité et la propension de l'hystérique à jouer la femme proviendrait du fait qu'elle n'est pas sure de l'être (s’agirait de lui indiquer les caractéristiques qui font consensus). C'est une demande exagérée au regard, un besoin d'attirer l'attention sur elle et de séduire l'entourage. Cette incapacité à être authentique exprime trop sa volonté de plaire. Ceci amène souvent l'hystérique à se positionner dans le champ du désir de celui ou de celle qui veut bien l’écouter ou l’applaudir. On ne peut pas la rater sur une photo, sur une scène, ou dans un film. C’est plus simple.

d- Quête de la perfection : elle entraîne des hésitations pendant des heures pour le moindre choix. L'hystérique croit devoir cacher des lacunes, des trous, qui exposeraient aux rires et au mépris. L'hystérique ne se trouve jamais assez intelligente. Insatisfaction marquée concernant sa plastique. Qu’on me trouve une femme qui ne ressemble pas vaguement à ce descriptif. Coté peu discriminant de cette manifestation de caractère, m'est avis...

e- Recherche de femmes modèles : l’hystérique leur demande comment assumer sa féminité, car elle n’est pas vraiment sure de l’être. Gynécophilie larvée. Fantasme de la femme fatale avec recherche d'un modèle. Moi, par contre, je recherche une femme modèle, blonde si possible, et à forte poitrine.

f - Perversité : intrigues et recherche de la zizanie. Combat dirigé contre un ordre établi ou certaines instances à connotation d’autorité. Refus de tout ce qui entrave l'expression de son message ou l'évince du rôle principal. L'art avec lequel l'hystérique sait trouver les mots blessants, ceux qui révèlent les faiblesses de l'autre sont une illustration du rôle de la bouche. Cette arme peut être destructrice lorsque celui qu'elle vise est celui-là même qui interdit l'expression du message hystérique, c'est à dire, qui en a peur. Dans le domaine de la sexualité, l’hystérique cherche inconsciemment à mettre l’homme en échec. C'est vrai, lorsqu'elle s'enfuit en courant, l'érection en prend un coup. Elle a du mal à concevoir que les deux partenaires sont à égalité dans l'acte. L'hystérique trouverait plus de plaisir au jeu qu'à l'acte. Certains, allant trop vite en besogne, parlent d’allumeuses de rêves berbères aimant crier au feu. Et, il n’y a pyromane que celui qui ne veut pas entendre.

g- Relations de séduction et de conquête, et leur opposé, bouderie et vengeance (faudrait savoir). Impression pour le spectateur d'hyperadaptabilité de l'hystérique en société. Elle paye le prix de cette volonté de séduction tous azimuts en nourrissant parfois des fixations amoureuses sans espoir, fantasmées quant à leur réelle réciprocité. Il était trop vert et bon pour les goujats, peuvent-elles prétendre quand l'objet de leur désir ne répond pas à leurs attentes. Ou bien, en représailles, elles font cuire le lapin des enfants de l'objet amoureux dans la cocotte minute du repas de famille. Ce dérapage de l'hystérique n'est pas fatal (sauf pour le lapin).

EMC 1994 (les mises à jour de l'Encyclopédie Médico Chirurgicale étant particulièrement onéreuses je les ai arrêtées à cette date...)
Les traits cliniques les plus constants par ordre de fréquence, ou le top sept: 1- Histrionisme 2- Égocentrisme 3- Labilité émotionnelle 4- Dépendance 5- Excitabilité 6- Attitude de séduction omniprésente 7- Suggestibilité.
N.B.: les troubles majeurs de la sexualité sont quasi absents dans les études récentes. Comme quoi...

Hypothèses psychanalytiques :

Le mécanisme de défense prévalent chez l'hystérique est le refoulement. Il se manifeste par l'amnésie de faits anciens importants. La vue d'un poster de Michael Jackson dans l'enfance est un bon exemple. L'analyste constate l'absence apparente de nombreux souvenirs de leur enfance. Ceci entraîne une véritable inhibition intellectuelle. Elle est particulièrement marquée dans les situations à forte charge émotionnelle. Les séquences sociales à valeur promotionnelle et de rivalité induisent des crises: examens; présence d'une adversaire affective; jugement d’un supérieur hiérarchique; clash à la Star Academy.

Le caractère oral qui sous-tend l'hystérie explique l'importance de la bouche et de la gorge comme point électif de somatisation: dysphagie - aphonie - modification de la voix – toux en public dans une atmosphère silencieuse, chut... - boule de l'angoisse - rouge à lèvres au radium – baisers voraces ("Attention, j'étouffe") – colliers, cache-col et autres bimbeloteries. L'hystérique doit toujours se réconcilier avec la parole, avec la voix.

On peut invoquer comme rôle prédisposant à la personnalité hystérique, un dégoût de la mère pour les selles du nourrisson quand elles ne sont plus celles de l'allaitement. Peut-on la condamner catégoriquement? La perte du sein maternel ("Il est passé où ?") associée au discrédit de ses fèces (ce qui sort de lui-même… si ça le fait chier) peut entraîner chez le nourrisson un traumatisme narcissique frontal, amenant la recherche anxieuse future d'une reconnaissance de son image et le souhait de la perfection dans l'objet amoureux, et pour ce qui la concerne. Adulation du compliment et rires de gorge associés (voire le film "Le fabuleux destin d'Amélie Poulain"). Troubles des conduites alimentaires souvent présents dans l'hystérie (Anorexie mentale, oh!, ou excès boulimiques à en vomir).

Pour Freud,  la vengeance, chez l’hystérique consiste à interrompre les expériences au moment où elles sont les plus profitables, comme pour faire payer à l’autre un plaisir qu’elle sentait ne plus pouvoir contrôler. A la place de Freud, assis derrière le divan, j’aurais envisagé une pointe de masochisme, mais il a dû écrire cela quelque part…

Attention, le paragraphe qui suit est à déconseiller aux enfants de moins de la résolution de l’Œdipe !
Les manifestations morbides sont pour ainsi dire l'activité sexuelle de l'hystérique. Les symptômes hystériques apparaissent pendant la continence, la libido revenant à son ancien lit. Dyspnée, gémissements rauques et palpitations peuvent être assimilées à des fragments isolés du coït.
Les dates ne sont jamais sans importance pour l’hystérique comme pour les habitants du Maghreb.
Les sentiments gynécophiles (en douce) doivent être considérés comme typiques dans la vie amoureuse inconsciente des jeunes filles hystériques. Elles ont la volonté de corriger le présent d'après l'enfance. Le roman de la mère devient souvent celui de la fille. Mesdames, ne laissez pas traîner "Madame Bovary" sur votre table de nuit.

Conclusion pompeuse :

Quelque chose de la sexualité humaine est toujours lié à l'insatisfaction. Seuls ceux qui l'assument sont capables d'aimer. La perfection dont on a vu qu'elle était le souci de l'hystérique, existe peut-être dans l'amour, mais sans qu'elle se puisse confondre avec l'image idyllique ou naïve dont on sait trop les origines paradisiaques. En effet, un homme et une femme ne répètent pas le lien d'un nourrisson à sa mère. Ils ont à inventer leur amour, et tous les guides, tous les modèles, tous les exemples ne peuvent que les renforcer dans des moments d'amertume en les privant du recours à eux-mêmes.

Les hystériques ont été surprises dans l'enfance par un événement sexuel réel ou fantasmé dont elles n'ont réussi ni à comprendre le sens ni à maîtriser l'émotion. Seule la psychanalyse peut mettre à jour ce souvenir refoulé et entraîner une guérison spectaculaire de la névrose.

L'hystérique doit renoncer à parfaire le père réel et lui accorder le droit aux imperfections, aux échecs, aux déficiences. A partir de là, elle sera prête à s'accorder les mêmes droits et quitter sa quête anxieuse de la perfection.

A croire que l'hystérique est une fan du mythe du Prince Charmant. Celui qui doit traverser les lacs de lave pour la retrouver, terrasser des dragons abominables, nettoyer les écuries d'Augias, sauver le soldat Ryan, venir les délivrer de leur donjon pour les enlever en croupe sur un fier destrier, et surtout la boucler quand il constate qu'il s'est fait gruger sur la marchandise. La quête de la perfection ne doit pas être confondue avec la recherche d'un débile profond. En admettant qu'il existe, le Prince Charmant, il a peu de chance de se trouver bien longtemps sur le marché. Grosse probabilité d'être déjà en main.  En plus, comme il a vraisemblablement croisé un paquet d'hystériques dans ses aventures, il les fuit désormais comme la peste. Cacher des imperfections pour séduire l'homme parfait, c'est le truc vicelard qu'il a eu du mal à encaisser.

***

Sources et mise en garde:

- un tas de bouquins poussiéreux traînant dans un placard de la Mansarde. Ce billet se voulant essentiellement sarcastique est un résumé de ce que j'avais lu sur la question. Ce n'est pas une étude sérieuse sur le sujet. Je vous ferai grâce de mes références. Les spécialistes préféreront bien entendu les leurs. A chacun ses dogmes. Cette dernière phrase a de quoi d'ailleurs soulever bien des inquiétudes pour les patients.
- un lien - au ton plus sérieux que celui de ce billet - proposant un résumé moderne intéressant qui peut être un bon point de départ à la discussion sur cette névrose. L'hystérie masculine y est rapidement décrite.

Note : à vous de retrouver les passages ajoutés par l’auteur et prière de prendre tout cela au second degré. Sur fond d'observations cliniques connues et rabâchées mais toujours propices aux débats partisans des spécialistes, je voudrais indiquer qu'à mes yeux, l'hystérique court le risque d'aller mieux en se prenant moins au sérieux.

vendredi 16 septembre 2011

Contes roumains




Le livre de Caroline TOSI, "Contes roumains - Histoires autour des Boïars", sera présenté au Livre sur la place de Nancy à partir du Vendredi 16 septembre 2011. L'ouvrage dont elle est coauteur et illustratrice sera disponible sous le chapiteau de la Place Carrière à la table des éditions: Le Verger des Hespérides

Présentation du livre au format PDF: CONTES ROUMAINS

Suivez les liens

Note: le géniteur et père officiel de la créatrice aura sous peu un exemplaire du dit-ouvrage entre les mains dont il s'ennorgueillira.

mercredi 6 juillet 2011

Matrones et Courtisanes



Préface de « La volupté d’être »
Maurice DRUON - 1954


Je ne suis pas assuré qu'en l'état actuel des mœurs, le public saisisse à première vue le dessein exact de cet ouvrage. Je dois donc au lecteur une explication liminaire. Le problème qui s'est posé à moi, et que j'entreprends de transcrire ici, est celui des femmes dont la véritable fonction sociale est l'amour, dans une société qui ne reconnaît pas cette fonction.

Les femmes, dans le monde antique, se répartissaient en deux catégories bien définies: les matrones et les courtisanes. Les unes et les autres occupaient des situations également reconnues et honorées. Les courtisanes, en Égypte pharaonique, faisaient partie du clergé, au même titre que les chanteuses, les danseuses et les musiciennes, avec lesquelles il semble bien qu'elles se confondaient. Constituées en compagnies sacrées, elles étaient réservées aux prêtres, c'est à dire à ces agrégés en toutes sciences qui décidaient des actes de la collectivité en se réglant sur les variations du cosmos.

On sait la place que les courtisanes grecques tinrent auprès des écrivains, des artistes et des hommes d’État. Certaines d'entre elles furent si célèbres que leur nom nous est parvenu. Or, pour qu'il y ait célébrité, il faut qu'il y ait concurrence nombreuse et convergence de l'attention publique. Les généraux ne sont célèbres qu'à l'occasion des guerres. Le Moyen Age abonde en capitaines et en prédicateurs célèbres, mais non point en courtisanes. La cuirasse, la soutane favorisent une certaine crasse du corps et de l'esprit, mais ne prédisposent ni aux arts, ni à l'amour, ni à l'art de l'amour. Les femmes qui se sentaient réclamées par un autre destin que celui de la maternité n'avaient le choix qu'entre se lancer dans l'aventure guerrière ou se réfugier dans l'aventure mystique.
Mais quand les Renaissants entreprennent de dés-abrutir la société, en même temps qu'ils s'efforcent de dégager Platon de dessous les Évangiles et qu'ils inscrivent l'effigie de l'Hermès Trismégiste au dallage de leurs cathédrales, la condition de courtisane, comme un phénomène d'accompagnement naturel, reparaît avec éclat.
Les maîtresses des papes et des cardinaux furent les homologues des grandes hétaïres antiques; et lorsque Henri III, deux fois roi, fuyant son premier trône pour aller occuper le second, fit halte à Venise, il rendit une visite officielle à la plus illustre courtisane du temps, qui le reçut entourée d'une cour et lui offrit un sonnet qu'elle avait composé pour lui. Puis les matrones l'emportèrent sur les joueuses de flûte.

Où sont les courtisanes d'antan?

Au japon, les geishas, personnes éduquées dans les arts d'agrément et de compagnie, continuent de former une sorte de corporation. On leur doit des égards; leur corps ne saurait être l'objet d'un marché bâclé; les services d'amour, au contraire, sont chez elles le couronnement, non obligatoire, d'un cérémonial d'exquise courtoisie. Elles reçoivent, ou se rendent en ville, offrent le thé, chantent, récitent, et puis enfin, si on le désire, consentent à se laisser aimer.
De nos jours encore, aux Indes, les bayadères ont conservé une situation assez semblable à celle des hétaïres sacerdotales de l’Égypte ancienne. Elles sont attachées à un temple, à un culte, mais se produisent aussi, moyennant cachet, dans les fêtes privées. Leurs enfants mâles deviennent musiciens, et les filles bayadères comme elles. Elles sont enfants naturelles, si l'on peut dire, de mère en filles, et ceci paraît relever d'une tradition sacrée, ainsi que le service d'amour rendu au voyageur. Leur science amoureuse est rituelle, comme sont rituels les postures et les moindres gestes de leurs danses; et il faut être les rustres que nous sommes ou qu'on nous a fait devenir pour rougir ou sourire des attitudes érotiques sculptées aux bas reliefs des temples, et dont la signification métaphysique nous échappe.
Les courtisanes ont elles disparu de l'Occident? Certainement pas. Mais, dans une société qui refusait de les reconnaître, condamnées à être triomphantes pour être seulement acceptées, vivant, sinon dans l'illégalité, au moins dans la réprobation, et assez lâchement méprisées des hommes mêmes qui avaient besoin d'elles, elles se sont débrouillées comme elles ont pu.

Favorites de rois, quand il y avait encore des rois et qu'elles avaient de la chance, intrigantes des périodes révolutionnaires, merveilleuses du Directoire, lorettes du romantisme, aventurières des premiers temps du Nouveau Continent, lionnes du Second Empire, elles se sont accrochées aux accidents de l'Histoire avec une obstination de minorité opprimée. Celles, à tout le moins, qui avaient du courage, et qui se faisaient une arme du scandale même qu'elles provoquaient. Mais combien d'autres avaient la vocation de l'amour, chez qui cette vocation fut étouffée par la crainte du blâme!

Les femmes, aujourd'hui, qui ont cette nature de courtisane et qui, en fait, tiennent, vaille que vaille, la fonction de courtisanes parmi nous, sont souvent ces instables permanentes, ces insatisfaites perpétuelles, qui divorcent six fois ou ne se marient jamais, haïssent un époux auquel elles jugent indigne de demeurer fidèles, torturent des amants qui ne leur appartiennent jamais assez, envient sans cesse d'acquérir une apparence de stabilité bourgeoise à laquelle elles ne peuvent s'adapter mais sans laquelle non plus elles ne peuvent rien être, s'essaient en vingt activités diverses, sèment sur leurs pas la discorde et le drame, et ayant, comme on dit, « tout pour être heureuses », ne le sont jamais, faute de posséder dans la société la situation qui leur revient et de pouvoir remplir, sans que s'y attache l'opprobre, leur destination véritable. Pourtant les plus attachantes des femmes se trouvent parmi celles là. Il ne faut pas assimiler la courtisane à la prostituée. Ce sont les matrones qui, volontairement, ont établi la confusion. C'est Catherine de Médicis qui appelait Diane de Poitiers: «la putain ».

La prostituée est l'esclave vendue sur un marché permanent. Elle représente même très précisément la survivance d'une des dernières formes de l'esclavage. Elle est une « serve du corps » qui a, non pas un homme en particulier, mais l'homme en général pour acquéreur et pour maître. Elle est, comme l'esclave antique, sans ambition et sans grande espérance; et comme l'esclave encore, elle est menée à cet état par l'ensemble des conditions économiques et par les infortunes de la vie. La prostitution est un renoncement au bonheur.
La courtisane, au contraire, est une femme libre, qui se pense et se veut telle infiniment plus libre, en tous les cas, que ne le sont les matrones.

S'il lui est arrivé, en ses débuts, ou en des périodes difficiles, de se livrer contre argent à des hommes qu'elle ne désirait point, elle peut toujours répondre qu'un nombre immense d'épouses honorables acceptent le même marché chaque soir dans le lit d'un mari qui leur déplaît, mais leur assure l'existence. Si la courtisane vit de ses charmes, c'est comme le peintre vit de ses toiles, en les cédant aux amateurs; elle peut aussi les donner aux amis. Mais la confondre avec une prostituée, c'est comme de confondre le Véronèse avec un peintre en bâtiment.

Pour la prostituée, l'amour est une tâche. Pour la courtisane, c'est un art. N'est pas courtisane qui veut, et si le mot a subi quelque discrédit, on devrait, de même qu'on appelle chanteuses ou danseuses les femmes qui professent la danse et le chant, réserver le terme d'« amoureuses » à celles qui exercent l'amour comme un art.

L'argent n'est pas la condition suffisante de l'état de courtisane. Beaucoup de femmes entretenues ne sont que des épouses ratées.

La courtisane n'est pas vénale par définition. Elle aime l'argent lorsque l'argent est roi, parce qu'il lui permet d'être reine, et parce que les fortunes dépensées en sa faveur, et les ruines mêmes dont elle est cause, sont une reconnaissance publique de la valeur de sa personne. Le luxe, pour elle, n'est pas seulement un plaisir; c'est une dignité, une affaire de rang, comme l'apparat des princes. Mais elle est attirée également par tout ce qui est roi: le talent, le pouvoir, le record athlétique, l'héroïsme, la gloire, le génie. Elle est la compagne naturelle de tout ce qui domine et ne se reproduit pas.

Sa vocation n'est pas une question de milieu, mais de tempérament et de nature profonde. Elle peut naître aussi bien dans une ferme, dans un château, dans un appartement bourgeois de la plaine Monceau, ou dans une banlieue ouvrière. De deux sœurs élevées dans des conditions identiques, l'une sera une épouse et l'autre une courtisane. Pourquoi? Les psychanalystes fourniront peut être une réponse, et les astrologues une autre. Il faudrait pouvoir forcer le secret des chromosomes pour que l'explication soit complète.

Depuis la fin de la première guerre de ce siècle, ce sont de plus en plus fréquemment des femmes du monde qui tiennent l'office de courtisanes, et en y apportant de grandes qualités. Les aristocraties épuisées auxquelles elles appartiennent, étant de moins en moins bénéficiaires de l'ordre établi, ne leur opposent plus qu'avec une extrême négligence les impératifs moraux qui garantissaient cet ordre. Oisives, héritières d'une tradition de raffinement, cultivées ou ayant eu le temps de le paraître, et disposant souvent encore de ressources personnelles, certaines de ces femmes, qui n'ont jamais accepté un sou d'un homme, se vexeraient si on leur disait ce qu'elles sont réellement: des hétaïres bénévoles. D'autres, qui se croient quittes envers leur honneur parce qu'elles repoussent les chèques mais acceptent des bijoux qu'elles revendent, et celles encore qui trouvent normal, après tout, qu'on subvienne à leurs plaisirs onéreux «puisqu'elles aiment», s'offenseraient bien davantage d'être rangées dans la corporation. Toute femme entretenue se considère moralement supérieure aux autres femmes entretenues, car elle ignore les raisons que les autres ont, elles aussi, de s'estimer.
Il faut ajouter que les hommes paient de moins en moins sauf d'autres hommes. Les grandes créatures entretenues de notre époque sont des homosexuels. C'est à quelques jeunes gens «lancés» et qui parviennent même à vivre sur ce lancer plus longtemps que leur jeunesse que vont aujourd'hui, et de façon parfaitement ostentatoire, les voitures de grand luxe, les trains de maison fastueux, les hôtels particuliers, les villas sur les rivages en vogue. C'est pour eux que des milliardaires dilettantes donnent des bals, des fêtes qui sont le triomphe de la futilité et où la dépense ruisselle pour la splendeur d'un instant. Certains de ces éphèbes mûrissants s'ornent de titres faux, comme on s'orne de faux bijoux, sous lesquels ils entreront dans la chronique galante. Ces petits maîtres, dans l'agitation de leur oisiveté surmenée, décident en partie du goût et de la mode; l'extravagance est leur métier. L'attitude des femmes à leur égard est surprenante; elles les moquent mais s'empressent autour d'eux; elles leur font le cortège irrité de l'envie; ils sont vraiment les «reines», et avec l'assentiment même des femmes dont ils usurpent les pouvoirs et les bénéfices. Ne serait ce pas que les femmes ont laissé vacants certains rôles, certains emplois, qui leur appartenaient, et qui, faute de titulaires, sont tenus actuellement par des travestis?

Loin de pouvoir être confondue avec la prostituée, la courtisane, l'«amoureuse» est parente de l'actrice, de la vedette, de la star. C'est là bien davantage que la démarcation est difficile à établir. La courtisane, comme l'actrice, a pour destination de plaire, de briller, d'être distinguée de l'attention publique. Elle aussi est soumise à un perpétuel suffrage, et a besoin du consentement des autres pour être assurée de sa prépondérance, de sa réussite. Elle aussi doit accepter et même rechercher; les servitudes de la publicité, d'une certaine publicité mondaine; elle aussi est en perpétuelle représentation. Une matrone peut paraître en tenue négligée; elle ne perdra pas forcément pour cela sa situation de matrone. Une courtisane ne peut pas se permettre cet abandon; ce serait comme si une actrice montait sur le plateau en ayant oublié de revêtir son costume de scène.

Les deux vocations témoignent d'aspirations très voisines et réclament des dons comparables. Beaucoup de courtisanes, par besoin de justification, tentent l'aventure du spectacle, de même que la galanterie trouve souvent son recrutement dans les infortunes du théâtre. Certaines femmes réussissent dans les deux carrières à la fois. Et quand un chef d'État vient féliciter dans les coulisses une actrice dont la vie privée, étalée par les magazines, vaudrait la révocation d'un fonctionnaire public, il répète, au fond, la démarche d'Henri III.

Remarquons encore que les célébrités de l'amour, hommes ou femmes, ne sont pas plus nombreuses dans une génération que les grands auteurs dramatiques ou les grands ministres. La physionomie d'un siècle se construit avec très peu de visages. On conçoit aisément que les matrones jalousent et haïssent les courtisanes. Celles ci ont tout ce que celles là envient: le succès, le luxe, l'absence de monotonie dans l'existence, la liberté de la quête sensuelle. Les matrones devraient plutôt leur être, reconnaissantes; les courtisanes ont, involontairement travaillé pour elles. Si les bourgeoises d'aujourd'hui sont libérées de bien des entraves, si elles peuvent se farder, porter une lingerie légère, se montrer seules dans les lieux publics, c'est aux « demi mondaines » du début du siècle qu'elles le doivent. Ces dernières, au prix de pas mal d'affronts, ont ouvert la brèche, pour les autres, dans la rigueur ou la sottise des mœurs.

Chaque femme, pour peu qu'on l'écoute, laisse entendre volontiers qu'elle porte une nature de courtisane dans un coin de son cœur, et que si elle avait voulu, après tout... Chaque homme aussi porte un rayon de poésie. Mais de là à être Goethe, il y a la différence de l'écume d'une bassine de lessive à l'écume de l'Océan.

La distinction matrone courtisane traduisait en fait une distinction entre la procréation et l'amour.

Les civilisations anciennes considéraient l'exercice de la connaissance, des arts et de l'amour comme appartenant au domaine sacré, tout autant et même davantage que l'accomplissement de la procréation. En d'autres termes, elles tenaient pour sacré ce qui est proprement, distinctement humain. Tout le contraire de la conception chrétienne. Les fondateurs du christianisme, prenant les nécessités démographiques pour des impératifs divins (la confusion vient de la Bible), ont imposé à l'Occident très exactement une morale sexuelle de chiens, en commandant de ne s'accoupler que pour reproduire. La Réforme, qui a secoué un certain nombre de jougs, ne s'est pas libérée de celui là. Les bourgeoisies, même incroyantes, se servant des Églises et des morales établies pour garantir leurs privilèges, ont perpétué l'erreur. Nous nous imaginons aujourd'hui fort libres et affranchis de mœurs. Nous sommes, dans le domaine de l'amour, des ignorants, des timides, des honteux et des malhabiles à côté des Anciens.

Faire l'amour pour faire l'amour et en tirer des délectations, des exaltations qui s'apparentent aux joies de l'art, garde, pour l'immense majorité des individus, une petite saveur inquiétante de péché, de chose interdite. On nous a placé l'enfer dans la région pelvienne. Les «amoureuses» depuis deux mille ans mènent le bon combat contre ce faux enfer.

La progéniture, lorsqu'elle est réellement souhaitée, lorsqu'elle n'intervient pas comme une fatalité naturelle, une servitude biologique et là l'être humain dispose encore du pouvoir de refuser cette servitude est toujours un aveu d'insatisfaction, d'inaccomplissement de soi, et comme une délégation faite au futur. Dans la volonté de procréer, et même dans le seul consentement à la procréation, il y a toujours une implicite démission. Les gens qui désirent des enfants, désirent généralement, en même temps, que leurs enfants vivent mieux qu'ils n'ont vécu, qu'ils réussissent ce qu'ils n'ont pu réussir, et qu'ils les prolongent dans l'univers au delà d'une disparition qui les épouvante ou les désole. Ou bien sans réfléchir autant, ils s'abandonnent simplement à une sollicitation spécifique qui les dépasse. Mais les hommes qui ont le sentiment d'assumer totalement leur destin, et qui ne redoutent point la mort, n'éprouvent pas l'exigence de se reproduire. On peut remarquer d'ailleurs que le génie n'engendre jamais le génie. Il enfante tout au plus des biographes de leur père, des assistants aux cérémonies commémoratives, qui héritent cette fonction d'enfants du génie comme on hérite une banque ou une terre, et avec moins de possibilités de s'en dégager. Mais jamais on ne rencontre chez eux cette sorte de connivence des aptitudes, du caractère et des circonstances qui permet la grande œuvre, la grande découverte, la grande aventure.

A Byzance, on castrait les membres de la famille impériale quand leurs talents exceptionnels les désignaient aux premières charges publiques, pour éviter la confusion entre le prestige dont ils bénéficiaient à titre personnel, et la dévolution naturelle du rôle d'incarnation de l'Empire. Ils devenaient stériles, mais non impuissants. Cela se passait dans les premiers siècles du christianisme et avec la totale approbation des évêques; mais l'Église l'a oublié.

L'espèce humaine paraît procéder comme si, d'une part, à travers le plus grand nombre elle procréait aux fins d'une amélioration constante de son statut, d'une satisfaction toujours plus grande de ses désirs, d'une extension indéfinie de ses pouvoirs, tandis que, d'autre part, à chaque génération, dans un nombre restreint d'individus, elle témoignait des étapes de cette ascension et résumait ses accomplissements successifs et ses relatives perfections.

Autrement dit, l'humanité, engagée dans la création d'un archétype divin, sans bornes à sa puissance, sans satiété dans son bonheur et qui, à la limite, pourrait recréer l'univers, laisse sur sa marche des préfigurations partielles de cet archétype comme des preuves encourageantes de ses acquisitions d'hier et le point de départ de ses conquêtes de demain.

L'amour considéré comme un accomplissement parfait, comme une félicité étale et permanente, pure de toute projection dans l'avenir, est l'un des attributs idéaux de l'archétype. Les matrones sont le purgatoire de l'espèce; les courtisanes en sont le paradis, ou tout au moins les marches.

Exigeantes envers la vie parce que d'abord amantes d'elles mêmes, maîtresses des formes raffinées de la sensualité, capables de tirer de leur chair et de la chair d'autrui les variations et les richesses inépuisables d'une musique, aptes à toutes les délectations et prenant l'amour pour ce qu'il est l'acte par excellence qui trouve sa fin en soi - elles sont faites pour éprouver la volupté d'être et la faire partager aux hommes de leur race.

Notre époque n'est pas favorable aux «amoureuses». Une énorme vague de pudeur, dont nous sommes à peine conscients, s'étale sur le monde. Les sociétés bourgeoises, au moment de s'écrouler, tentent de se défendre en imposant un renforcement de leurs vieilles interdictions. Elles ne trouvent dans l'arsenal de leurs législations et de leurs sacristies que les procédés qui leur ont jadis réussi, et continuent de faire professer que la frustration est la justice et la plénitude un péché. Quant aux sociétés en formation, elles sont pour l'instant entièrement vouées à leur installation, entièrement engagées dans le devenir collectif; leurs forces sont totalement et nécessairement requises pour la promotion d'une généralité humaine plus heureuse. Elles font face à l'urgence. Elles ne peuvent admettre encore que l'individu se consacre à lui-même. Elles ont aussi, à leur manière, inventé un «péché d'Onan».

Et puis l'amour, comme l'angoisse du mystère de notre origine et de notre fin, est une des questions qui offrent le moins de prise à la dialectique matérialiste. Faute d'y donner réponse, il se pourrait bien que, pour un temps, le matérialisme n'ait d'autre ressource que de reprendre à son compte, dans ce domaine, les morales des vieilles sociétés déchues.

On s'étonnera peut être que le sujet d'un ouvrage romanesque soit l'occasion de semblables réflexions ou leur résultat. Mais le roman est parfois une manière de poser, sous l'apparence légère de la fiction, quelques termes d'un problème important. Or, les insatisfactions de l'amour sont, immédiatement après la mort et la faim, le troisième problème dans l'ordre des préoccupations humaines.

Note: une préface référencée qui ne manque pas de style. Le sujet garde de nos jours une certaine acuité et peut servir de point de départ à la discussion.

samedi 2 juillet 2011

Maniaco-dépressif




Je dois être un peu zarbi coté thymie. Il y a des jours, paf, comme ça, d’une minute à l’autre, je me cale en phase maniaco. Celle qui suit sans sourciller la dépressive et ainsi de suite. Alors là, cherchez-moi une utopie qui boxe dans la même catégorie que moi. Un truc maousse à combattre, une idée délirante à amphétaminer jusqu’à la gueule.

Hier, je montais dans la Mansarde la tête dans le cul pour me vautrer dans mon sofa une tasse de camomille à la main. Je ne sucre plus ma camomille depuis que le toubib a fini par m’expliquer pourquoi chaque fois que je commençais à la boire j’avais mal à l’œil droit. Fallait enlever la petite cuillère. Plus de sucre, plus besoin de petite cuillère. J’avais décidé de m’abrutir un peu plus devant une série américaine pour contrebalancer l’effet excitant potentiel de la camomille. Tiens, si j’écoutais plutôt à la place un CD, ou un disque laser, voire un compact disc quand on est pas pressé. Le premier qui me tombe sous, plutôt que sur, la main. Celle qui tient pas la tasse de préférence. Vache, ça attaque aussi sec sur «Layla» de Derek & the Dominos avec Clapton à la guitare électrifiée (ou bien, à la rigueur). J’aurais pas dû prendre l’album «The cream of Clapton». En plus, je mets jamais de crème dans ma tisane. Les premières notes m’ont filé illico le gourdin.

Tagada gada daga miiiou, six fois, en intro et pis après : «What'll you do when you get lonely / And nobody's waiting by your side? / You've been running and hiding much too long / You know it's just your foolish pride. »

Et là faut avoir des nerfs d’acier pour pas lâcher la tasse mais la poser cool à coté de l’ordi avant que les amines cérébrales foutent la pagaille dans les synapses et tout le saint-frusquin qui va avec. En slip kangourou comme unique tenue de scène, je me suis mis à me trémousser comme si je devais chier dans la minute un ténia de dix mètres. Le King du dancefloor c’était moi jusqu'à la fin de cette compilation infernale. Vos gueules les voisins, j’entends plus péter les basses.

Les blaireaux, I’m King and Clapton is for ever God.

Note: billet chié en cinq minutes.

lundi 6 juin 2011

L'Affaire Thomas Crown



L'Affaire Thomas Crown -The Thomas Crown Affair - est un film américain réalisé par Norman Jewison, présenté en 1968.

1968 : la remise en cause de la société de consommation, la révolution culturelle en marche, la libération de la femme s’amplifie, la beat-génération prône les retours à la nature et à la vie simple. On pourrait rajouter le Printemps de Prague.

Les deux personnages principaux: Thomas Crown (Steve McQueen), un financier millionnaire de Boston au style de vie polo-club; Vicki Anderson (Faye Dunaway), une détective privée au look BCBG Longchamp. Le personnage masculin a décidé, autant pour tromper l'ennui que par goût du risque, d'organiser sans y participer le braquage d'une banque. Le personnage féminin est engagé par une compagnie d'assurance pour enquêter sur place.

On peut se poser la question: "Sommes-nous en présence des protagonistes idéaux pour coller aux grands thèmes de société de l’époque ?". Un dilettante du monde de la finance à la vie de luxe et une teigneuse au glamour atypique acoquinée à l'univers des grandes compagnies d’assurances évoluant sur une bande son de Michel Legrand. Une association qui a de quoi faire tache dans un rassemblement hippie. Et pourtant... et pourtant... derrière le jeu machiavélique de qui perd gagne mondain qui s’engage rapidement entre ces deux gravures de mode, les thèmes évoqués transparaissent. De nos jours, ils sont curieusement revenus au devant de la scène. Le film est daté mais y puise une bonne part de son cachet. Le duo de charme ravageur Steve McQueen et Faye Dunaway, excusez du peu, a contribué fortement au succès de cette "Love affair" qui traverse paradoxalement les années sans vieillir.

Un film qui nous fait découvrir ou redécouvrir que l’intelligence est un puissant aphrodisiaque dans une relation amoureuse.



A signaler:- Une nouveauté appelée split screen (grand écran divisé en plusieurs écrans plus petits) est utilisée dans ce film pour la première fois. Ce procédé permet de montrer plusieurs actions simultanément.
- Un des plus longs baisers de l'histoire du cinéma : 55 secondes sans interruption, il faut du souffle…
- Par pure charité chrétienne, je ne signalerai que furtivement qu'un remake a été tourné en 1999.


Suite à réclamation:

à Mlle Myosotis