« Rien de plus vivant qu’un désespéré qui se maintient à flot. »
- Meszigues -
Il faut éviter de lire les critiques d’un livre qui vous choisit avant son achat. Une fois lu, libre à vous ensuite de choisir celles qui vont dans votre sens et d’envoyer chier les autres.
Ma critique :
Cela faisait un bail que je n’avais plus ouvert un bouquin de Djian. Je pensais que le type avait fini par se momifier dans les années 80, avait définitivement sombré dans la dépression, ou que le taxidermiste manquait de sujets désespérés pour parfaire la collection de son musée des abimés de la vie. Non, non non, le Philippe n’est pas mort, car il bande encore son arc pour tirer à vue et décocher quelques flèches empennées de plumes noires qui font mouche. Aux détours d’un récit au style épuré qui se tortille au point de déboussoler parfois un GPS, ce roi de l’embrouille balance quelques vérités sur une société formatée pour l’ennui. En chemin, le joueur de bonneteau nous donne, mine de rien, une leçon de rythme en écriture. Quelques riffs vous collent parfois le vertige au bord d’un gouffre refuge où une araignée amnésique balance, sans même les boulotter, les corps de victimes ayant funestement appuyé par mégarde là où Marc a toujours mal. L’exploit consiste à nous rendre malgré tout l’animal furieusement attachant. Encore une pirouette allant à l’encontre de la surexposition de monstres autopsiés par les média. Flatter le goût morbide du consommateur sans jamais lui laisser entrevoir une vague proximité avec ces détraqués qu’on fustige à l’envie. Pour notre grand bonheur, comme son personnage principal, Djian a probablement abandonné toute velléité de chasser sur les terres Goncourt d’un Houellebecq, où est la plume. Du coup, son bouquin est lisible, et par moments, parfaitement jubilatoire, plus subversif que provocateur. Entre phosphènes migraineux et flashbacks au flou allusif, il ébauche à touches distantes le passé complexe du personnage. Foin des détails qui auraient alourdi le tempo acéré d’un récit vif (avec quelques pauses heureuses poussant à la contemplation), ou sombré dans le racoleur. Grand merci. En secouant les lettres du titre, incidences deviennent incendies. Les pare-feux méthodiques mis en place par son personnage à l’épiderme à vif finissent par céder. Ses modes de défense archaïques lui faisaient surestimer leurs capacités ignifuges.
Les critiques que je n’ai pas envoyées aux toilettes après lecture du livre :
Le dernier Philippe Djian s’intitule Incidences et c’est peut-être bien son meilleur livre. Concrètement, un roman qui ne fait que 233 pages, mais qui contient tellement de substances chimiques en suspension, des non dits en pagaille et des traumatismes à peine effleurés en rafales, qu’il en raconte plus que des pavés deux fois plus épais. Elle est proprement ébouriffante la façon dont Djian prend son héros à la gorge et ne le lâche plus. Un type plus tout jeune, professeur de littérature, écrivain raté, qui fait régulièrement son marché parmi ses jeunes étudiantes énamourées et entretient une relation au-delà du fusionnel avec sa sœur. C’est sa descente aux enfers que raconte l’auteur au travers de scènes tour à tour angoissantes, euphoriques ou drolatiques. Le tout avec un sens du politiquement incorrect très aiguisé mais assez subtil pour tenir la route (des pages entières pour glorifier la cigarette, stigmatiser la médiocrité ambiante dans la littérature française, se révolter contre le néo-conservatisme dans l’air du temps). Un Djian en colère contre l’époque qui trouve son seul refuge dans des promenades en forêt, on croit rêver. Quant au style, eh bien, il est plus ciselé que d’habitude. Au rasoir, même, y compris dans des scènes anodines à la tension sous-jacente. Le récit est fait d’embardées, de malaises vagaux, qui donnent un ton quasi mortifère au roman. C’est comme si Philip Roth écrivait des épisodes de Plus belle la vie. Plus laide la vie, oui, avec un quotidien qui se dérègle sans compter un passé moche comme tout, qu’on a glissé sous le tapis pour ne plus le voir, mais qui finit par revenir sous forme de nausée. C’est noir, c’est caustique, c’est brillant, c’est le dernier Philippe Djian. Qui vous laisse K.O pour le compte.
Livre vivement conseillé par traversay
Une écriture au scalpel pour mieux flouter des zones d’ombre, faire soudainement exploser l’érotisme ou la violence du passé, révéler, par touches, par approches, un personnage qui toujours nous échappe – « comme si le fond était sans fin » –, dont nous voulons lire le secret.
Philippe Djian a un talent unique pour happer ses lecteurs dans une narration qui repose sur un presque rien. Un presque dont il s’empare et auquel il donne des allures de road trip. Dont il joue avec une maîtrise folle, hallucinante, jusqu’à donner les règles, dans le récit lui-même, qui gouvernent son écriture. Marc commente un texte que lui avait rendu Barbara : « Vous avez lu ce qu’elle a écrit ? reprit-il. C’est la maîtrise qui est surprenante. Le bon dosage de la lenteur et de la rapidité. Du net et du flou. C’est très bluffant, vous savez. (…) N’importe quel crétin est capable de raconter une histoire. La seule affaire est une affaire de rythme, de couleur, de sonorité ».
Mediapart
Lien à l’intention de ceux qui veulent tout de même décrocher le Graal : En route vers le Goncourt
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