Dans l’entreprise teintée de nombrilisme qu’est la tenue d’un blog, quelques billets foireux dont un regrette amèrement la mise en ligne trop hâtive remettent rapidement en place le narcissisme de départ. Cependant, le plaisir simple du partage avec les visiteurs de quelques coups de cœur, vous donne à la va-vite l’absolution. J’aborde ce billet avec la fringance d’un yearling canalisant mal encore la jubilation que m’a procuré il y a quelques années la vision d’un film des frères Coen (Ethan et Joël, on finit par l’oublier). Sous la mitraille des productions cinématographiques à la chaîne, blasé, cela devient rarissime de se voir pleurer de rire comme un simplet devant son téléviseur. «The Big Lebowski» a eu chez moi cette vertu dont ont bénéficié mon système cardiovasculaire et mes alvéoles pulmonaires. The Dude, post-soixante-huitard américain amateur de bowling et sa brochette d’éberlués de haut-vol, m’ont embarqué sans crier gare dans leurs délires «no limit». Attention, pour ceux qui sont passés à coté, ça part dans tous les sens! Les morceaux de bravoure comiques tombent à la cadence des projectiles lancés par plusieurs batteries d’orgues de Staline. Du coup, c’est bien difficile d’extraire du pilonnage une scène phare. Mieux vaut alors parler des nommées : John Turtorro, Jesus Quintana, en combinaison moulante d’un mauve exquis sur fond musical d’ «Hotel California», mouture Gipsy Kings, se trouve sans contestation sur le podium en compagnie de Julianne Moore, Maude Lebowski, pour son happening pictural acrobatique déjanté. Son séide teuton, esthète cinéphile aux gloussements maniérés a droit également aux honneurs. Je n’ai pas encore vu « No country for old men » qui vient de recevoir l’oscar du meilleur film. Plus violent, paraît-il? Alors en attendant, on se refait une ligne du strike du gracile éphèbe.
jeudi 28 février 2008
mardi 26 février 2008
"Le testament français" ou quand un Russe nous donne une leçon d'écriture.
"Et puis, ce soir, je compris que ce n'était pas les anecdotes qu'il fallait rechercher dans mes lectures. Ni des mots joliment disposés sur une page. C'était quelque chose de bien plus profond et, en même temps, de bien plus spontané : une pénétrante harmonie du visible qui une fois révélée par le poète, devenait éternelle. Sans savoir la nommer, c'est elle que je poursuivrais désormais d'un livre à l'autre. Plus tard, j'apprendrai son nom : le Style. Et je ne pourrais jamais accepter sous ce nom des exercices vains de jongleurs de mots."
Andreï Makine - "Le testament français"
A juste titre de nombreux prix littéraires ont récompensé "Le Testament français", roman qui traite de la double identité. Dans un style magnifique qui vous incite à lire l'ouvrage d'une seule traite, Andreï Makine offre au lecteur en 1995 un texte envoutant, poétique et plein d'authenticité. Voilà un livre qui me conforte dans l'idée qu'on publie de nos jours un peu n'importe quoi. Qu'un écrivain de nationalité russe donne la leçon à nombre de nos écrivassiers ne manque pas de sel. Je vous conseille fortement la lecture de ce roman qu'on aurait du promouvoir avec la mention: "Satisfait ou remboursé".
lundi 18 février 2008
Les odeurs dans les chemins de fer... La beauté d'Ava Gardner
La coquetterie devrait m’inciter à taire le fait que j’ai connu enfant le crépuscule des machines à vapeurs. Ce symbole phallique de taille respectable pourrait avoir participé à la résolution de mon Œdipe. Enfant, je faisais le cauchemar récurrent de me trouver dans une gare de triage où des locomotives à vapeur arrivaient de toutes parts, tentant de m’écraser malgré ma fuite éperdue en tous sens. Alfred Hitchcock aurait pu emprunter ce scénario onirique pour un de ses films! J’ai mis fin un matin à cette affaire en me rendormant calmement, l’idée en tête, qu’après tout, ce n’était jamais qu’un rêve, et qu'il fallait au moins une fois dans sa vie tenter l'expérience de passer sous une locomotive... Bon, à mon avis, en vrai, ça doit faire mal. Mais le truc a fonctionné: fin du cauchemar récurrent et de l’anecdote.
Les locomotives, pour m'échapper en douceur du sujet, sont pour moi avant tout symboles de voyages. Les plaques apposées sous les fenêtres avec leurs inscriptions cabalistiques «Do not lean out of the window», «E pricoloso sporgersi (le père y colle au zoo ce porc de Gersi)», «Nicht hinauslehnen», participaient déjà à l'aventure. Bruit des tablettes qu’on tire au moment du casse-croute, claquement sec du couvercle des cendriers en aluminium, filets à bagages bombant sous l'attirail des vacanciers, cadres en verre vissés au dessus des sièges proposant des photos en noir et blanc de sites géographiques français remarquables. Bruit infernal aux passages acrobatiques des soufflets, dignes d'une attraction foraine, le vacarme assourdissant dans les tunnels et par dessus tout, l’intense vertige de pisser dans les toilettes dans un grondement sourd en observant le défilement rapide des traverses de voies en contrebas par l'orifice de la cuvette! Et par la fenêtre du compartiment: le spectacle hypnotique du déroulement infini de la portée musicale des poteaux télégraphiques avec par endroits des croches oiseaux, l’arrivée sournoise, fenêtre ouverte, de panaches de fumées grouillant d’escarbilles mordantes, le passage éclair des sémaphores et par temps de pluie, l'étrange parcours des gouttes d'eau sur l'extérieur des vitres. Les gares aux quais luisants de mica, le spectacle passionnant du dételage et de l’attelage d’une nouvelle machine, le son rassurant des coups de marteaux des contrôleurs sur les roues des bogies des voitures (mon père précisait que le commun des mortels disait "wagon" alors que le terme n'était réservé qu'aux trains de marchandises). La porte du compartiment qui s’ouvre suivie du salut jovial mais professionnel du contrôleur. Quelques explications techniques complémentaires du paternel sur la notation à trois chiffres servant à la classification des locomotives selon la succession des roues porteuses et des roues motrices et la 132, panache en tête, entrait en gare de Menton. C’était alors un nouveau choc : une Côte d’Azur de carte postale d’avant le grand bétonnage. Celle du film de Hitchcock, on y revient: «Le chat / To catch a thief ». Bien sûr, ma mère, sitôt arrivés dans la location, s'empressait de me laver les mains et de me débarbouiller le visage: "Tu as la bouille d'un chauffeur." me disait-elle.
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Le même extrait que la vidéo ci-dessous en HQ sur You Tube
Une excellente vidéo sur une locomotive à vapeur
Une excellente vidéo sur une locomotive à vapeur
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samedi 16 février 2008
La grande illusion de la "der des der"
Mon fils aîné me demandait récemment quel était mon film français préféré? Quelques secondes d’hésitation... En pareil cas vous avez deux solutions: pour faire intello, sortir un titre exotique, introuvable à moins de connaître le dernier possesseur de ses bobines en voie de corrosion; passer pour un conservateur tristounet et bondir sur «un classique» unanimement encensé. Délai atteint. Choix de l’option deux: «La grande illusion» de Jean Renoir -1937.
De manière très personnelle, je ne ferai mention que de la scène de la discussion entre Erich von Stroheim et Pierre Fresnay dans les appartements du chef de la prison citadelle. Elle a été tournée au Haut-Königsburg et constitue à mes yeux un des points d’orgue du film. Le pot de géranium entretenu avec soins et tendresse par l’aristocrate allemand, officier et directeur de la forteresse, seul symbole végétal apportant une note de poésie à cette immense salle parfaitement austère, réunit les deux hommes autour de lui. Avec une élégance qui "fleure" déjà une époque évanescente, ceux-ci discourent avec courtoisie et unissent peu à peu leurs points de vue. Ils se résignent à l’augure de la proche disparition de leurs idéaux ainsi qu’à celle de la classe à laquelle ils appartiennent. Elle les maintient solidaires malgré la guerre qui tend à les séparer. Un petit bijou. Chapeau bas, Monsieur Renoir.
lundi 11 février 2008
SMOKE
Les choses les plus précieuses sont plus légères que la fumée. «Smoke», film de 1995 réalisé en collaboration par Wayne Wang et l’écrivain juif américain francophile Paul Auster repose sur un scénario tout simple ainsi que la présence à l’écran d’une équipe d’acteurs épatants de laquelle on peut ressortir la prestation magistrale d’Harvey Keitel dans le rôle d’Auggie le patron de la «Brooklyn Cigar Company». C’est autour de son établissement que tous les personnages gravitent et finissent par confier les drames personnels à la base de leurs itinéraires de vie. On retrouve en filagramme des nouvelles de Paul Auster et le personnage de l’écrivain en panne d’inspiration a une part autobiographique probable. C’est lui qui, dans le chapitre introductif du film, nous raconte l’anecdote historique enjolivée du stratagème employé par l’ingénieux Sir Walter Raleigh, navigateur, aventurier et écrivain anglais, très en faveur à la cour de la reine Elizabeth I qui lui avait posé la gageure de trouver le poids de la fumée émise lors de la combustion d’un cigare.
Simple et attachant, ce film exhale des volutes mauves de tendresse voilant un temps la rudesse de ce monde de brutes. A inhaler sans modération avant que le film soit interdit en salle et réservé aux uniques projections en extérieur.
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