Caméo : " Cinéma d’art et d’essai ".
Nom et sous-titre de la vénérable institution nancéienne pourraient inquiéter.
Jadis, étudiant, j'en ressortais parfois perclus de torves lombalgies. Les fauteuils diaboliques du lieu en étaient cause. Louis XI aurait pu y trouver une solution alternative à ses cruelles fillettes.
L'institution résiste encore tant bien que mal aux usines à maïs soufflé érigés pour la consommation goulue des blockbusters. Pour ce qui concerne la maison mère, on attend toujours sur le trottoir avant le début de la séance après avoir retiré son billet. Un bobo en tenue anthracite assis dans son aquarium dépourvu d’hygiaphone vous l'a délivré. Cet homme orchestre, véritable Shiva du Septième Art, gère de manière un tantinet anarchique ou déconcertante, billetterie, lancement des séances, manipulation hasardeuse d’un outil informatique post-Minitel. Il reste impassible durant les tractations interminables concernant les cartes de réduction les plus insolites brandies par des cinéphiles pleure-misère. Une des nombreuses portes extérieures de cette véritable horloge de Strasbourg aux rouages secrets s’ouvre à intervalles plus ou moins réguliers au gré d’un joueur de flûte de Hamelin. Le signal donné, il traîne à ses basques la chenille processionnaire de spectateurs appâtés par l’annonce du début de leur séance. Progression précautionneuse dans des couloirs crépusculaires et sinueux que n’aurait pas renié le roi Minos.
De nos jours, les salles ont désormais gagné en confort, mais perdu leur charme architectural de Cinéma Paradiso. Les fesses y ont gagné ce que nos autres sens ont perdu : odeurs mycéliennes, toucher râpeux des velours craqués, couinements animaliers des strapontins désarticulés. Seul perdure le ballet chiant de début de séances des pervers qui ne peuvent pisser agréablement que dans les urinoirs publics.
La dernière projection à laquelle je me suis rendu faisait partie d’une séance de rattrapage qu'autorise ce cinéma bienveillant. En général je fais ce genre d'expédition en solo. Je crains toujours de mener à la galère quelques proches. Ce soir je prenais bien un risque : aller voir un film ricain. J’évoque bien entendu le cinéma ricain du moment, celui qui calcule la rentabilité potentielle d’un film avant même sa sortie. Celui qui utilise le résultat d'un vote de spectateurs échantillonnés conviés aux rushes d’un pré-film.
Little Miss Sunshine :
Le film avait bien reçu quelques récompenses dans l'année. Cependant, c’est un critère ténu en ces temps où l’on doit souvent choisir entre peste et choléra. J’étais prêt à passer sur un effet de Star-Spangled-Banner, sur un cliché mièvre à propos de la famille américaine, sur la destruction d’un parc automobile mitraillé par un bataillon de citoyens US équipés pour une promenade de courtoisie. Ce préambule tient à vous signaler mon ouverture d’esprit en cette douce soirée de juin. Pour en finir, je m'étais donc préparé au pire.
Les cocos faut pas désespérer. Les Winners à la Schwartzy chez lesquels la sensibilité s’est concentrée au niveau des pectoraux auront de quoi grincer du dentier s'ils vont voir ce film. Ce road-movie à bord d’un combi Volkswagen à bout de course rescapé de Woodstock transporte des passagers américains aux antipodes des clichés convenus. Ce voyage initiatique de losers de haute voltige maintenus à flot par une mère conciliante se joue dans la finesse. Il évite les invraisemblances et rebondissements trop grotesques.
Le réalisateur nous fait grâce de messages moralisateurs lourdingues. Par delà Bien et Mal, à la recherche du temps perdu, on fonce vers un happy-end ambigu qui ne prône en fait que les vertus de la différence et du naturel. Un rayon de soleil qui illumine le déclin de l’empire américain.
Nom et sous-titre de la vénérable institution nancéienne pourraient inquiéter.
Jadis, étudiant, j'en ressortais parfois perclus de torves lombalgies. Les fauteuils diaboliques du lieu en étaient cause. Louis XI aurait pu y trouver une solution alternative à ses cruelles fillettes.
L'institution résiste encore tant bien que mal aux usines à maïs soufflé érigés pour la consommation goulue des blockbusters. Pour ce qui concerne la maison mère, on attend toujours sur le trottoir avant le début de la séance après avoir retiré son billet. Un bobo en tenue anthracite assis dans son aquarium dépourvu d’hygiaphone vous l'a délivré. Cet homme orchestre, véritable Shiva du Septième Art, gère de manière un tantinet anarchique ou déconcertante, billetterie, lancement des séances, manipulation hasardeuse d’un outil informatique post-Minitel. Il reste impassible durant les tractations interminables concernant les cartes de réduction les plus insolites brandies par des cinéphiles pleure-misère. Une des nombreuses portes extérieures de cette véritable horloge de Strasbourg aux rouages secrets s’ouvre à intervalles plus ou moins réguliers au gré d’un joueur de flûte de Hamelin. Le signal donné, il traîne à ses basques la chenille processionnaire de spectateurs appâtés par l’annonce du début de leur séance. Progression précautionneuse dans des couloirs crépusculaires et sinueux que n’aurait pas renié le roi Minos.
De nos jours, les salles ont désormais gagné en confort, mais perdu leur charme architectural de Cinéma Paradiso. Les fesses y ont gagné ce que nos autres sens ont perdu : odeurs mycéliennes, toucher râpeux des velours craqués, couinements animaliers des strapontins désarticulés. Seul perdure le ballet chiant de début de séances des pervers qui ne peuvent pisser agréablement que dans les urinoirs publics.
La dernière projection à laquelle je me suis rendu faisait partie d’une séance de rattrapage qu'autorise ce cinéma bienveillant. En général je fais ce genre d'expédition en solo. Je crains toujours de mener à la galère quelques proches. Ce soir je prenais bien un risque : aller voir un film ricain. J’évoque bien entendu le cinéma ricain du moment, celui qui calcule la rentabilité potentielle d’un film avant même sa sortie. Celui qui utilise le résultat d'un vote de spectateurs échantillonnés conviés aux rushes d’un pré-film.
Little Miss Sunshine :
Le film avait bien reçu quelques récompenses dans l'année. Cependant, c’est un critère ténu en ces temps où l’on doit souvent choisir entre peste et choléra. J’étais prêt à passer sur un effet de Star-Spangled-Banner, sur un cliché mièvre à propos de la famille américaine, sur la destruction d’un parc automobile mitraillé par un bataillon de citoyens US équipés pour une promenade de courtoisie. Ce préambule tient à vous signaler mon ouverture d’esprit en cette douce soirée de juin. Pour en finir, je m'étais donc préparé au pire.
Les cocos faut pas désespérer. Les Winners à la Schwartzy chez lesquels la sensibilité s’est concentrée au niveau des pectoraux auront de quoi grincer du dentier s'ils vont voir ce film. Ce road-movie à bord d’un combi Volkswagen à bout de course rescapé de Woodstock transporte des passagers américains aux antipodes des clichés convenus. Ce voyage initiatique de losers de haute voltige maintenus à flot par une mère conciliante se joue dans la finesse. Il évite les invraisemblances et rebondissements trop grotesques.
Le réalisateur nous fait grâce de messages moralisateurs lourdingues. Par delà Bien et Mal, à la recherche du temps perdu, on fonce vers un happy-end ambigu qui ne prône en fait que les vertus de la différence et du naturel. Un rayon de soleil qui illumine le déclin de l’empire américain.
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Au passage: un caméo est la francisation du terme anglo-saxon « cameo appearance » (apparu en 1851 dans le monde du théâtre), désignant de nos jours l'apparition fugace dans un film d'un acteur, d'une actrice, du réalisateur ou d'une personnalité. On pense aussitôt au vieux Hitch.