Le livre de
Patrick Süskind,
«Le pigeon» m’a évité de peu de me lancer dans une psychanalyse à vie. Après sa lecture, j’ai compris qu’il y avait encore plus malade que moi.
En pleine floraison des messages médiatiques sur le fragile équilibre des écosystèmes, j’en étais venu à remettre en question mes pulsions exterminatrices à l’encontre de tout ce qui pouvait ressembler à un pigeon dans les moindres recoins de l’univers. La dénomination de nuisible n’est plus à l’ordre du jour. Cependant, cet animal redoutablement prolifique, bruyant colonisateur des toits, monstrueusement diarrhéique, grand badigeonneur de nos monuments, échappant sournoisement à tous mes assauts automobiles, méritait sans conteste à mes yeux de pérenniser le vocable. Plus condamnables encore, certains éclairs de délire imaginant l’éradication conjointe de toutes les grand-mères nourrissant ces prédateurs me posaient encore plus question. Je ne demandais pas que s’abatte sur la ville un déluge de feu comparable à ceux qui ont rayé Dresde, Stalingrad ou certaines villes de la côte normande de la carte, ni de réduire en cendres des secteurs urbains entiers au point de les transformer en paysages apocalyptiques comparables à certains secteurs de Meuse au décours de la Grande Guerre. J’imaginais simplement des frappes chirurgicales volatilisant les balcons et les squares qui servent de lieux de ravitaillement habituels à ces trucs en plumes et de base avancées aux nourrices sénescentes favorisant leur multiplication exponentielle. Je reconnais que l’idée d’une infiltration des services d’aide à domicile aux personnes âgées visant à ajouter de la mort aux rats aux repas des vieux qui s’adonnaient à cette triste entreprise m’a même parfois traversé fugitivement l’esprit. De là à passer à l'acte, non!
La névrose décrite est familiale. Mon frère en est porteur à un degré tout aussi avancé. Chez moi, le traumatisme primaire remonte à l’adolescence. Grand adepte du roupillon devant et derrière l’Éternel, le fait qu’à cette époque, une colonie de pigeons se soit mise à nicher sous les tuiles de la mansarde pour me réveiller systématiquement aux aurores a déclenché les premiers symptômes. Pour mon frère, l’anamnèse se résume à une lente descente aux enfers. Des études de pharmacie, ça aide à la cristallisation d’une personnalité obsessionnelle ou phobique. Le fait d’avoir choisi d’effectuer son service militaire à Djibouti, ça n’arrange rien. Prendre un poste de pharmacien hospitalier en Alsace et sortir un temps avec une fille d’officier militaire, ça ouvre à grands battants la porte à cette pathologie. Son achat récent d’un vaste appartement au sommet d’un immeuble au cœur de la ville parlementaire fut le coup de pied dans la fourmilière. Les pigeons ont commencé à l’attaquer. Un investissement ruineux dans du matériel de la dernière guerre mondiale pour établir une ligne de défense du même acabit que la ligne Siegfried a renforcé si besoin était sa haine de l’animal. Barbelés, pointes acérés, ingénieux système électrique envoyant des décharges normalement utilisées pour les électrochocs ont fini par le mettre en bisbille avec le voisinage. Ce n’était pas tellement le coté gracieux des fortifications mais les coupures de courant régulières dans l’immeuble et quelques voisins de paliers foudroyés, envoyés aux urgences, qui en furent responsables.
A nos amis lecteurs qui imaginent qu’en avançant vers l’Est de la France, la Champagne franchie, l’usage de la langue allemande est vivement recommandée pour se faire comprendre par l’autochtone, je tiens à signaler que la géométrie bizarre en forme d’oie de la Meurthe et Moselle est due à une scission de l’ancien département de la Meurthe en deux autres départements, suite à l’annexion allemande de 70: le premier cité et la Moselle. Déjà qu’on se fait très mal voir en Moselle et en Alsace quand on leur signale qu’ils ont un léger accent allemand alors qu’ils n’ont jamais parlé que le
Platt ou le
patois alsacien, qui n’ont rien à voir avec l’Allemand mon cul, sachez que cela deviendrait une méconnaissance de l’histoire coupable que de croire que l’usage de cette langue est utile de par chez moi: dans mes terres, on n’a jamais parlé que le patois Lorrain qui a laissé chez certains d’entre nous un léger fond d’accent presqu’aussi mélodieux que celui des Vosgiens.
Pour en revenir au sujet, nous dirions plutôt chez nous «Un minimum d’ordre et de civisme sont nécessaires pour vivre harmonieusement en collectivité» alors qu’on a du dire à mon frère, suite à ces épisodes déplorables, un truc se rapprochant d’
«Ordnung muss sein ». Vous remarquerez l’ergonomie linguistique du parler de Goethe. Aucun article ou adjectif superflus. Un nom commun et deux verbes. Le
müssen signalant le devoir absolu, contrairement au
sollen qui ne représente qu’un devoir moral, pourrait d’ailleurs suffire.
Charlotte, le Faucon pèlerin (Falco peregrinus) femelle adulte,
basilique Notre-Dame de Lourdes, à Nancy , janvier 2006
Photo : Patrick Behr
Un fond historique différent engendre des pratiques distinctes. Dernièrement, des pigeons ont tenté l’annexion du chien assis de la mansarde. Oui, c’est ignoble, des
Columbidae qui s’en prennent à un placide
canidé. Par bonheur, voilà quelques années, plusieurs couples de faucons pèlerins étaient venus nicher dans le clocher de la
Basilique Notre-Dame de Lourdes proche de la mansarde. Les rapaces eurent tôt fait de ravager la population "pigeonnesque" et de lui faire plier bagages. Mais on ne peut jamais bien longtemps compter sur ses alliés. Ceux-ci se sont envolés depuis plusieurs mois à la recherche d’autres perchoirs. En attendant l’arrivée des condors pour attaquer les grand-mères, la réplique devait être foudroyante! Pas de pot pour la Luftwaffe. La mansarde, en plus d’une chaîne haute fidélité munie d’enceintes
Celestion Ditton de quatre mégatonnes, venait de se renforcer. Un système audio puissant et au son cristallin avec caisson de basse
Altec Lansing, comme le précise la notice, venait d’être attaché au PC portable. Du lourd.
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La basilique Notre-Dame de Lourdes - hiver 2008 - Photo personnelle
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Un après-midi blitz à feu continu alimenté par des obus de la taille de ceux utilisés pour
Grosse Bertha, anthologies d’Alice Coooper, MC5, Led Zeppelin et Nirvana, finit par avoir raison des velléités des nidificateurs. J’avais lu en plus quelque part que les étourneaux régulaient leur fertilité par le biais d’un feed-back acoustique. A partir d’un seuil sonore donné, dès que la population devenait trop importante, une contraception naturelle s’enclenchait. Je faisais de la sorte d’une pierre deux coups. Tant pis si mes spermatozoïdes ont également trinqué dans l’affaire. Pour mes nerfs, ce n’était pas terrible non plus. Afin de me détendre un peu, je suis allé faire un brin de causette au Centre des Nations avec un des vigiles tenant fermement en laisse un Doberman muselé. Pour les nerfs, me dit-il, la faculté a beau préconiser Mozart en boucle, moi, quand ma femme me casse les couilles, j’écoute du Bach. Ce fin mélomane, précisa derechef:
«Je te dis pas que Mozart c’est de la merde, mais moi, je chiale comme une gonzesse et mon chien hurle à la mort quand on écoute le largo ma non tanto de la suite n°3 en ré Majeur BMW 1068 de Jean Sébastien. Et après, ça va mieux. Même plus envie de lui coller une schlague. »