Sans aller jusqu’à rechercher dans un corpus la date de la première occurrence d’un mot de notre langue, il est parfois intéressant d’en connaître l’étymologie et de constater l’évolution de ses différents sens au cours du temps.
De nos jours, quel quotidien courrait le risque de ne pas avoir sa rubrique "Sports"? Quelle chaîne généraliste se passerait des audiences et des retombées financières apportées par les retransmissions des compétitions sportives les plus populaires? Qui n’a pas pratiqué au moins une fois dans sa vie une activité sportive ou assisté aux ébats sudoripares d’athlètes dans un espace dédié à sa pratique? Ne pas aimer le sport et les sportifs serait-il donc une tare dans le monde moderne, une attitude rétrograde d'intellectuel nihiliste souffreteux?
Le mot
"sport" provient de l’ancien français
«desport» ou
déport et lui-même du verbe «desporter» qui signifiait s’ébattre. On note son apparition vers la fin du
XIIème siècle. Plus tard, «
se desporter» signifie, avant tout,
s'amuser. Le mot, importé par la chevalerie en Angleterre, se transforma en «disport» au
XIVème siècle, puis en
sport.
Ce que l’on allait appeler par la suite revenu chez nous d'Angleterre,
sport, a connu une faveur exceptionnelle dés le bas Moyen-Âge, comme le démontrait dès 1901,
Jean-Jules Jusserand dans
"Le sport et les jeux d'exercice dans l'ancienne France", un ouvrage qui conserve encore aujourd'hui tout son intérêt.
Le poète
Eustache DesChamps (1346-1407) invitait «pour déduire, pour
desporter et pour son corps reconforter» à s'«
exerciter»:
"Exercitez-vous au matin/ Si l'air est clair et enterin/ Et soient vos mouvements trempés/ Par les champs, ès bois et ès prés/ Et si le temps n'est de saison/ Prenez l'esbat en vos maisons."
Delamarre, un auteur plus tardif, écrit:
«L'homme dans l'état d'innocence, aurait joui d'une tranquillité parfaite et d'une joie que rien n'aurait pu troubler... Agissant toujours sans peine et sans contention, la lassitude, l'abattement et le dégoût lui auraient été inconnus. Il n'en a pas été de même depuis sa chute; il doit travailler... et il est exposé à une infinité de fatigues [...] qui le conduiraient en peu de temps au tombeau, s'il ne lui était encore resté quelques moyens pour les réparer.»
Desporter se disait de
toutes les formes de jeux, jeux de paroles, jeux de hasard, jeux du corps, ces délassements par lesquels l'homme médiéval parvenait à réparer la fatigue du travail auquel l'avait condamné la Chute.
«Le grand sport du moyen âge était le tournoi », écrit
Jusserand. Nombreux sont les auteurs à avoir tracé le parallèle entre la noblesse des courètes grecs et celle des chevaliers en armure, dont la théologie médiévale parviendra à justifier les mœurs guerrières en en faisant des soldats du Christ, les
milites Christi.
Pierre de Coubertin admirait même davantage cette société des chevaliers où
«l'esprit de lucre ne parvient à aucun moment à y tuer l'esprit sportif qui garde une intensité et une fraîcheur supérieures probablement à ce que l'antiquité grecque elle-même avait connu».
Le sport n'est plus le privilège de l'aristocratie ou de la noblesse. On voit l'aristocratie partager avec les «vilains» la même passion pour la soule ou le jeu de paume. Selon une coutume, dont on sait qu'elle était encore en usage dans certaines régions de France au
XIXe, des villages entiers se livrent au jeu de la soule, une sorte de gros ballon rempli de son, qu'on s'échange avec le pied et la main, parcourant souvent de vastes distances à la poursuite du ballon. Les participants font preuve d'un zèle si intense que la course se termine parfois dans la mer et qu'on assiste à la noyade de joueurs tentant de récupérer le ballon pour leur équipe.
On constate que les sens primitifs d’ébats, de jeu, d'exercices vivifiants ont vite tourné à ceux d’affrontements guerriers et de luttes propices aux horions. Le coté ludique et chevaleresque a rapidement pris du plomb dans l'aile. De nombreuses disciplines sont pour leurs pratiquants plutôt sources de sueur, larmes et sang, pour paraphraser
Churchill. De plus, le pauvre
Coubertin constaterait que ses idéaux ont été cruellement mis à mal. S’il pouvait assister, un dimanche matin, pour ne citer qu'un exemple, à un match de football pratiqué par deux équipes corporatives! Insultes, coups tordus, bagarres générales, intimidation de l’arbitre sont couramment au menu.
Que dire aussi de ces
conquérants de l’inutile, adeptes des sports individuels, assoiffés de records ou de dépassement perpétuels de soi qui ont trop rarement le recul philosophique de l’alpiniste
Lionel Terray, mort dans le Vercors en 1965 en s'adonnant à sa pratique, qui pressentait de son vivant le coté irrationnel, irrépressible et la démesure de sa quête en terminant son livre éponyme sur cette phrase:
« Si vraiment aucune pierre, aucun sérac, aucune crevasse ne m'attend quelque part dans le monde pour arrêter ma course, un jour viendra où, vieux et las, je saurai trouver la paix parmi les animaux et les fleurs. Le cercle sera fermé, enfin je serais le simple pâtre qu'enfant je rêvais de devenir… »
Pourquoi donc ne pas commencer par l'accomplissement de son rêve d'enfance, pourrait-on ajouter?
Ce billet à rebrousse-poil des dithyrambes usuelles concernant les bienfaits du sport, n'aurait-il pas été écrit par simple goût de l'antithèse? Un peu... mais demandez un jour à un médecin du sport de vous faire un listing détaillé des pathologies induites par une pratique inadaptée ou excessive des sports les plus connus. Vous finirez par ne retenir que le bénéfice cardiovasculaire indéniable, et le petit nombre de ceux peu traumatisants pour l'organisme. Quant au cas du sportif de haut-niveau et sa psychologie si particulière, en écoute anxieuse permanente de son corps fragilisé par l'atteinte des limites de sa résistance, demandez cette fois à son entourage de vous parler du bonheur qu'il tire du temps et de l'énergie dépensés à l'addiction de leur grand sportif... allez, je force le trait, dopé ou non.
Bernard LEBLEU, «Le sport et l'éducation à travers l'histoire», L'Agora, vol. 10 no 4, automne 2004
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