Umberto Eco est un universitaire bolognais natif d’Alessandria. Ce spécialiste de la séméiotique, fin lettré à l'érudition aussi large que sa carrure, rêve-t-il pour cela de constituer un jour sa propre bibliothèque d’Alexandrie ? Dans ses romans truffés de références classiques, il nous guide au travers du labyrinthe des textes, nous aide à slalomer dans l'étymologie des mots et cherche à ranimer pour nous des parfums d’époques révolues dont nous sous-estimons en bons barbares les raffinements. «Il nome della rosa», le monumental polar médiéval qui l’a révélé aux yeux du grand public est une somme peu commune d’érudition qui nous démontre à l’envie que tous nos ancêtres n’étaient pas des butors pataugeant sans question dans l’obscurantisme et l’intégrisme abrutissant que les autorités, à certaines époques, tentaient d’imposer. Les principales voies de la pensée avaient été défrichées de longue date. Cachés au creux de bibliothèques obscures tenues parfois par des adulateurs de la pensée unique, des hommes curieux et courageux pouvaient dénicher nombre d’ouvrages en contenant les preuves. Pour Eco, le plus grand bonheur consiste sans doute à redécouvrir ces livres précieux qui témoignent de la profondeur ou de la vivacité d’esprit qui animait nos anciens. Ainsi, parmi ces scriptes artistes du Moyen-âge et enlumineurs de génie œuvrant laborieusement à leur conservation et à leur transmission, se trouvaient des dissidents prompts à la satire comme en témoignent leurs enluminures ironiques. Il est bon et impérieux de savoir rire de tout. C’est un des messages de son ouvrage, merveilleuse leçon d’histoire et résumé des théories qui s’affrontaient sous le contrôle d’une Eglise omnipotente qui délivrait les brevets de vertus et triait à la hussarde textes canoniques et apocryphes. Une leçon d’humour et de tolérance toujours bonne à méditer.
Le récit de l'aventure qu'écrit pour nous au crépuscule de sa vie, Adso ancien novice attaché à son maître et héros, prend sur la fin un ton désenchanté. Regrets de n'avoir pas eu la force d'infléchir un chemin de vie trop "orthodoxe"? Il se termine par une citation latine. Une recherche sur la toile m’a fait découvrir une facétie finale du merveilleux narrateur qu’est Umberto Eco : “Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus” (De la rose initiale ne subsiste que le nom, nous ne tenons plus qu'un nom dépouillé). Adso n’a jamais connu le prénom de la jeune fille qui l’a détourné incidemment de ses vœux de chasteté. De sa présence charnelle perdue, il ne garde qu’un nom vide de substance. Eco a changé une lettre de l’hexamètre original du « De contemptu mundi » de Bernard Morlaix écrit au XIIème siècle. Roma s’est muté en rosa. Pour le bien du récit dira-t-on...
Quelques citations savoureuses de l’auteur :
«L'important ce n'est pas tellement d'avoir des souvenirs, c'est toujours de régler ses comptes avec eux.»- Le Point - 15 Février 2002
«Une poule est l'artifice qu'utilise un oeuf pour produire un autre oeuf.»
«Il y a quatre types idéaux : le crétin, l'imbécile, le stupide et le fou. Le normal, c'est le mélange équilibré des quatre.»- Le pendule de Foucault
«La science ne consiste pas seulement à savoir ce qu'on doit ou peut faire, mais aussi à savoir ce qu'on pourrait faire quand bien même on ne doit pas le faire.»- Le nom de la rose
«Rien ne communique plus de courage au peureux que la peur d'autrui.» - Le nom de la rose
«La télévision rend intelligent les gens qui n’ont pas accès à la culture et abrutit ceux qui se croient cultivés.»
«Si Dieu existait, il serait une bibliothèque.»- L’événement du Jeudi - 9 Avril 1998
«Dans le monde entier, il existe un moyen infaillible de reconnaître un chauffeur de taxi : c'est quelqu'un qui n'a jamais de monnaie.» - Comment voyager avec un saumon
«Les thèmes de la tragédie sont universels, alors que ceux de la comédie sont plus ancrés dans les cultures.»
«L'écrivain essaie d'échapper aux interprétations, non pas nécessairement parce qu'il n'y en a pas, mais parce qu'il y en a peut-être plusieurs et qu'il ne veut pas arrêter les lecteurs sur une seule.» - Le Point - 15 Février 2002
«Chaque écrivain raconte toujours une même obsession.» - Télérama - 10 Septembre 2003
«Le prix à payer pour avoir Einstein d’un côté, c’est d’avoir un imbécile de l’autre côté !» Télérama - 10 Septembre 2003
«Nous savons que nous allons vers la mort et, face à cette occurrence inéluctable, nous n’avons qu’un instrument : le rire.» - Télérama - 10 Septembre 2003
«C'est votre père qui est votre obligé, et non point le contraire : vous payez de bien des années de larmes un sien moment de plaisant chatouillement.» - L’île du jour d’avant
«La fonction essentielle d'une bibliothèque est de favoriser la découverte de livres dont le lecteur ne soupçonnait pas l'existence et qui s'avèrent d'une importance capitale pour lui.