Lors de la publication en livre de poche du roman de 1954 de Dominique Aury, dite Pauline Réage, «Histoire d’O», un texte de Jean Paulhan servait de préface: «Le bonheur dans l’esclavage». Il débutait ainsi :
« Une singulière révolte ensanglanta, dans le courant de l’année mil huit cent trente-huit, l’île paisible de la Barbade. Deux cents Noirs environ, tant hommes que femmes et tous récemment promus à la liberté par les Ordonnances de mars, vinrent un matin prier leur maître, un certain Glenelg, de les reprendre à titre d’esclaves. Lecture fut donnée du cahier de doléances, rédigé par un pasteur anabaptiste, qu’ils portaient avec eux. Puis la discussion s’engagea. Mais Glenelg, soit timidité, scrupules, simple crainte des lois, refusa de se laisser convaincre. Sur quoi il fut d’abord gentiment bousculé, puis massacré avec sa famille par les Noirs qui reprirent le soir même leurs cases, leurs palabres et leurs travaux et rites accoutumés. L’affaire put être vite étouffée par les soins du Gouverneur Mac Gregor, et la Libération suivit son cours. Quant au cahier de doléances, il n’a jamais été retrouvé. Je songe parfois à ce cahier. Il est vraisemblable qu’il contenait, a coté de justes plaintes touchant l’organisation des maisons de travail (workhouse), la substitution de la cellule au fouet, et l’interdiction faite aux «apprentis» - ainsi nommait-on les nouveaux travailleurs libres – de tomber malades, l’esquisse au moins d’une apologie de l’esclavage. La remarque, par exemple, que les seules libertés auxquelles nous soyons sensibles sont celles qui viennent jeter autrui dans une servitude équivalente. Il n’est pas un homme qui se réjouisse de respirer librement. Mais si j’obtiens, par exemple, de jouer gaiement du banjo jusqu’à deux heures du matin, mon voisin perd la liberté de ne pas m’entendre jouer du banjo jusqu’à deux heures du matin. Si je parviens à ne rien faire, mon voisin doit travailler pour deux. Et l’on sait d’ailleurs qu’une passion inconditionnelle pour la liberté dans le monde ne manque pas d’entraîner assez vite des conflits et des guerres, non moins inconditionnelles. Ajoutez que l’esclave étant destiné par les soins de la Dialectique, à devenir maître à son tour, l’on aurait tort sans doute de vouloir précipiter les lois de la nature. Ajoutez enfin qu’il n’est pas sans grandeur, il ne va pas non plus sans joie, de s’abandonner à la volonté d’autrui (comme il arrive aux amoureux et aux mystiques) et se voir enfin ! débarrassé de ses plaisirs, intérêts et complexes personnels. Bref, ce petit cahier ferait aujourd’hui, mieux encore qu’il y a cent vingt ans, figure d’hérésie : livre dangereux. »
Jean Paulhan – 1958 -
Voici un petit texte, qui publié de nos jours, malgré la phrase qui le conclut, aurait défrayé la chronique et fait sortir dans la rue ou rameuter pêle-mêle devant les tribunaux quelques communautaristes obsessionnels au nombre desquels on pourrait compter des féministes (haro sur l’ouvrage de la Pauline), d’actuels disciples de Harlem Désir (on parle d’esclaves noirs qui jouent du banjo jusqu’à point d’heure plutôt que d’opprimés d’origine africaine jouant du luth pour oublier leur misère) et une poignée de sionistes intégristes parce qu’il n’est fait mention nulle part de la Shoah. En poussant le bouchon, aussi quelques fanatiques d’articles relatant en long en large et en travers tout ce qui peut se rapporter aux crimes sexuels, il n’en est nullement question alors que c’est très en vogue de nos jours dans la presse et dans la multitude de séries policières dont on nous abreuve au pro rata probable de la délectation de la population, voire de nos classes dirigeantes, pour ce genre d’affaires. En y réfléchissant, cela ne date pas d’hier et remonte bien avant l’époque de Jack l’éventreur.
A l'évidence, si l’on regarde ce texte avec le petit bout de la lorgnette, il est pour le moins surprenant et particulièrement provocateur. Il prête même à caution en imaginant les conclusions dangereuses que d’aucuns pourraient en tirer et les modes de pression dont ils seraient susceptibles d’user. Cependant, nombre de comportements étranges de mes concitoyens m’amènent parfois à y trouver un début d’explication concernant le goût qui les porte à finalement s’accommoder de leur sort, comme si une angoisse subite les assaillaient à l’idée de ne plus se trouver du jour au lendemain sous la coupe d’une instance dirigeante, d’un chef, d’un supérieur hiérarchique, ou de lois contraignantes, alors qu’ils clament du matin au soir à qui veut l’entendre leur soif de liberté. Qu’on puisse la leur octroyer sans limites bien fixées semble inquiéter en fait la plupart d’entre nous comme si nous avions bien enfoui en dedans de nous un goût prononcé pour l’obéissance qui d’une certaine manière doit rassurer plus encore que l’usage d’une autonomie élargie.
A l'évidence, si l’on regarde ce texte avec le petit bout de la lorgnette, il est pour le moins surprenant et particulièrement provocateur. Il prête même à caution en imaginant les conclusions dangereuses que d’aucuns pourraient en tirer et les modes de pression dont ils seraient susceptibles d’user. Cependant, nombre de comportements étranges de mes concitoyens m’amènent parfois à y trouver un début d’explication concernant le goût qui les porte à finalement s’accommoder de leur sort, comme si une angoisse subite les assaillaient à l’idée de ne plus se trouver du jour au lendemain sous la coupe d’une instance dirigeante, d’un chef, d’un supérieur hiérarchique, ou de lois contraignantes, alors qu’ils clament du matin au soir à qui veut l’entendre leur soif de liberté. Qu’on puisse la leur octroyer sans limites bien fixées semble inquiéter en fait la plupart d’entre nous comme si nous avions bien enfoui en dedans de nous un goût prononcé pour l’obéissance qui d’une certaine manière doit rassurer plus encore que l’usage d’une autonomie élargie.
A ce propos, on ne saurait trop recommander le film de Denys Arcand, « L’âge des ténèbres ».
"La liberté ne consiste pas à avoir un bon maître, mais à n’en point avoir. »
Cicéron
"La grande faiblesse des régimes de liberté, c'est que chacun y est libre de clamer qu'on ne l'est pas."
Jean Rostand
"Les Français n'aiment point la liberté ; l'égalité seule est leur idole."
François-René de Chateaubriand
"La liberté n'offre qu'une chance d'être meilleur, la servitude n'est que la certitude de devenir pire."
Albert Camus
"Notre liberté est menacée par le besoin de sécurité et la sécurité elle-même est menacée par le souci obsédant qu'on en a."
Norbert Bensaïd
"Liberté implique responsabilité. C'est là pourquoi la plupart des hommes la redoutent."
- George Bernard -