L’histoire avance souvent à reculons. Son balancier oscille sans jamais trouver l’équilibre entre phases de libération des idées et des mœurs et phases de retour à l’autorité morale, religieuse ou policière. Certains analystes simplistes ou manichéens nomment parfois ces deux phases: ascension et déclin des civilisations ou des nations. Leur prosélytisme latent omet cependant d’observer, avec le recul historique qui sied normalement, que la seconde fut souvent plus prolifique dans le domaine de la création artistique et de la naissance de nouvelles idées que la première durant laquelle sévissaient rigueur morale et expansions militaires sanglantes.
Chaque civilisation semblerait, à l’image de l'individu lui-même, conserver une peur archaïque des périodes où la morale perd du terrain. La quête jamais aboutie de l’image idéalisée du père réel (absent ou insatisfaisante) amène parfois à se jeter dans les bras de chefs opportunistes, idéaux du Moi, susceptibles de les rassurer face à la peur de l’autre qui est plus souvent celle du fameux étranger qui est en nous. Les périodes d’instabilité économique ou politique sont propices à ces mécanismes propres à certains adolescents.
L’apogée des phases de réaction signe le retour en grâce du notable et du représentant du droit. Ce genre de personnages, pour le coup, est plus propice à aviver mes peurs. La réplique facile à ces propos un tantinet anarchisants serait que sans ordre, toute société s’écroulerait comme un château de carte. Cependant, quand on demande aux fringants défenseurs de l’ordre moral de démontrer avec rigueur la légitimité des grands principes, la dialectique vire au flou ou à l'évasif. La métaphysique pointe alors son nez, et l’on avance le postulat affirmant qu'elle préexistait à la venue de l’Homme. D’essence divine, elle s’imposerait et il n’y aurait rien à redire. Le misérable vermisseau humain serait bien incapable de concevoir les desseins et la perfection des plans du Grand Architecte. Ne met on pas ainsi la charrue avant les bœufs? Face à un sens de la vie furieusement caché aux yeux de la plupart, tantôt abscons tantôt enfantin, ne serait-ce pas l’Homme qui a créé de toute pièce les instances divines et les lois qui vont avec pour se simplifier la vie (ça on peut cependant en douter) et ne plus avoir à élucubrer sans fin?
Comment ne pas sentir en ces temps électoraux un vague retour à l’obscurantisme réactionnaire et percevoir que l’énergie cinétique va amener le balancier de l’histoire à remonter à la position symétrique de celle des décennies antérieures? "En finir une bonne fois pour toute avec 68" sonne ainsi à mes oreilles.
Le transfert de l’expérience est pure utopie. Chaque génération doit reforger la sienne, commettant sans fin les erreurs des précédentes. Oublier l’histoire, c’est cependant se condamner à la revivre. Moi, je suis bien content d’avoir pris ce qui n’est plus à prendre, avant qu’un temps bien trop long à l’échelle de ma vie ne se soit écoulé et que l’intensité de la pesanteur ne fasse redescendre le pendule pour le ramener vers les temps bénis du futur antérieur.
Veuillez excuser la tonalité de ce billet à la Cassandre, un peu pompeux. Il faudrait confesser en fait, reprenant cette boutade initialement appliquée à la scolarité: « Les politiques à partir de l’âge de quinze ans, c’est comme les poils, j’en ai eu rapidement plein le cul… »
Point de vue annexe : lien vers une de mes nouvelles