Qui a contemplé de ses yeux la beauté est déjà voué à la mort.- Thomas Mann -
Le scénario de «Mort à Venise», film récompensé à Cannes en 1971, est tiré du court roman de Thomas Mann, «La Mort à Venise», paru en 1913. Visconti repoussa à plusieurs reprises son adaptation, estimant que le projet exigeait de la maturité. Il concentre le roman autour de la relation entre Aschenbach, libre adaptation du personnage réel de Gustav Mahler, et Tadzio, un jeune adolescent polonais. Il s'inspire également d'un autre ouvrage de Thomas Mann, «Le Docteur Faustus» pour les conversations sur la beauté, ou la séquence du bordel, ainsi que de Proust pour le personnage du directeur de l'Hôtel des Bains qui évoque celui du Grand Hôtel de Balbec.
L'histoire
Juste avant la première guerre mondiale, un musicien allemand, Gustav von Aschenbach, se rend à Venise. En villégiature à l'Hôtel des Bains, il y croise un adolescent dont la beauté le fascine immédiatement. La rencontre entraîne une remise en question de ses certitudes morales et esthétiques. Son existence toute entière est chamboulée par le désir qui surgit. La relation demeure distante, réglée par le jeu des regards échangés. Le musicien tente de fuir ce désir en quittant Venise, mais un événement fortuit lui sert de prétexte pour revenir à son hôtel vénitien malgré l'épidémie de choléra qui sévit dans la ville. Il s'abandonne à la contemplation du jeune homme, tente de nier sa vieillesse et d'oublier la fièvre. Il meurt sur la plage presque désertée de l'hôtel, le regard tourné vers Tadzio.
La relation est barrée par des obstacles extérieurs (l’entourage de Tadzio) et des interdits moraux. L'homosexualité du désir renforce d’ailleurs la dimension de ces interdits. Ashenbach se satisfera des seuls regards et sourires échangés: le désir contrarié prend la voie de la sublimation. L’irruption de la beauté incarnée oblige Aschenbach à remettre en cause ses conceptions du beau qui sont pour lui fruits de la rigueur et de la discipline. Il comprend mieux l’avis opposé de son ami Alfried pour qui la beauté est un surgissement sensitif. Il ne peut cependant s’empêcher d’y apporter une part d’élaboration à travers le regard qu'il porte sur Tadzio et que favorise l'adolescent, qui «prend la pose». Visconti rapporte le point de vue de la beauté sublimée. Le zoom d’Aschenbach isole Tadzio et le transforme en icône d’Église auréolée de cierges construisant ainsi son image de la pureté et de la beauté angélique.
Ce film de Visconti est sans conteste un chef d’œuvre de plus à ajouter au sans-faute que constitue sa filmographie. L’image portée à sa quintessence favorise le projet. L’arrivée du vaporetto dans la lagune sur la musique de Mahler et les scènes dans la salle de réception de l’hôtel croulant sous les camaïeux d’hortensias au milieu desquels évolue l’aristocratie cosmopolite finissante de la Belle Époque en grandes toilettes sont à mettre au rang des pièces de maître du Septième Art.