mercredi 6 juillet 2011

Matrones et Courtisanes



Préface de « La volupté d’être »
Maurice DRUON - 1954


Je ne suis pas assuré qu'en l'état actuel des mœurs, le public saisisse à première vue le dessein exact de cet ouvrage. Je dois donc au lecteur une explication liminaire. Le problème qui s'est posé à moi, et que j'entreprends de transcrire ici, est celui des femmes dont la véritable fonction sociale est l'amour, dans une société qui ne reconnaît pas cette fonction.

Les femmes, dans le monde antique, se répartissaient en deux catégories bien définies: les matrones et les courtisanes. Les unes et les autres occupaient des situations également reconnues et honorées. Les courtisanes, en Égypte pharaonique, faisaient partie du clergé, au même titre que les chanteuses, les danseuses et les musiciennes, avec lesquelles il semble bien qu'elles se confondaient. Constituées en compagnies sacrées, elles étaient réservées aux prêtres, c'est à dire à ces agrégés en toutes sciences qui décidaient des actes de la collectivité en se réglant sur les variations du cosmos.

On sait la place que les courtisanes grecques tinrent auprès des écrivains, des artistes et des hommes d’État. Certaines d'entre elles furent si célèbres que leur nom nous est parvenu. Or, pour qu'il y ait célébrité, il faut qu'il y ait concurrence nombreuse et convergence de l'attention publique. Les généraux ne sont célèbres qu'à l'occasion des guerres. Le Moyen Age abonde en capitaines et en prédicateurs célèbres, mais non point en courtisanes. La cuirasse, la soutane favorisent une certaine crasse du corps et de l'esprit, mais ne prédisposent ni aux arts, ni à l'amour, ni à l'art de l'amour. Les femmes qui se sentaient réclamées par un autre destin que celui de la maternité n'avaient le choix qu'entre se lancer dans l'aventure guerrière ou se réfugier dans l'aventure mystique.
Mais quand les Renaissants entreprennent de dés-abrutir la société, en même temps qu'ils s'efforcent de dégager Platon de dessous les Évangiles et qu'ils inscrivent l'effigie de l'Hermès Trismégiste au dallage de leurs cathédrales, la condition de courtisane, comme un phénomène d'accompagnement naturel, reparaît avec éclat.
Les maîtresses des papes et des cardinaux furent les homologues des grandes hétaïres antiques; et lorsque Henri III, deux fois roi, fuyant son premier trône pour aller occuper le second, fit halte à Venise, il rendit une visite officielle à la plus illustre courtisane du temps, qui le reçut entourée d'une cour et lui offrit un sonnet qu'elle avait composé pour lui. Puis les matrones l'emportèrent sur les joueuses de flûte.

Où sont les courtisanes d'antan?

Au japon, les geishas, personnes éduquées dans les arts d'agrément et de compagnie, continuent de former une sorte de corporation. On leur doit des égards; leur corps ne saurait être l'objet d'un marché bâclé; les services d'amour, au contraire, sont chez elles le couronnement, non obligatoire, d'un cérémonial d'exquise courtoisie. Elles reçoivent, ou se rendent en ville, offrent le thé, chantent, récitent, et puis enfin, si on le désire, consentent à se laisser aimer.
De nos jours encore, aux Indes, les bayadères ont conservé une situation assez semblable à celle des hétaïres sacerdotales de l’Égypte ancienne. Elles sont attachées à un temple, à un culte, mais se produisent aussi, moyennant cachet, dans les fêtes privées. Leurs enfants mâles deviennent musiciens, et les filles bayadères comme elles. Elles sont enfants naturelles, si l'on peut dire, de mère en filles, et ceci paraît relever d'une tradition sacrée, ainsi que le service d'amour rendu au voyageur. Leur science amoureuse est rituelle, comme sont rituels les postures et les moindres gestes de leurs danses; et il faut être les rustres que nous sommes ou qu'on nous a fait devenir pour rougir ou sourire des attitudes érotiques sculptées aux bas reliefs des temples, et dont la signification métaphysique nous échappe.
Les courtisanes ont elles disparu de l'Occident? Certainement pas. Mais, dans une société qui refusait de les reconnaître, condamnées à être triomphantes pour être seulement acceptées, vivant, sinon dans l'illégalité, au moins dans la réprobation, et assez lâchement méprisées des hommes mêmes qui avaient besoin d'elles, elles se sont débrouillées comme elles ont pu.

Favorites de rois, quand il y avait encore des rois et qu'elles avaient de la chance, intrigantes des périodes révolutionnaires, merveilleuses du Directoire, lorettes du romantisme, aventurières des premiers temps du Nouveau Continent, lionnes du Second Empire, elles se sont accrochées aux accidents de l'Histoire avec une obstination de minorité opprimée. Celles, à tout le moins, qui avaient du courage, et qui se faisaient une arme du scandale même qu'elles provoquaient. Mais combien d'autres avaient la vocation de l'amour, chez qui cette vocation fut étouffée par la crainte du blâme!

Les femmes, aujourd'hui, qui ont cette nature de courtisane et qui, en fait, tiennent, vaille que vaille, la fonction de courtisanes parmi nous, sont souvent ces instables permanentes, ces insatisfaites perpétuelles, qui divorcent six fois ou ne se marient jamais, haïssent un époux auquel elles jugent indigne de demeurer fidèles, torturent des amants qui ne leur appartiennent jamais assez, envient sans cesse d'acquérir une apparence de stabilité bourgeoise à laquelle elles ne peuvent s'adapter mais sans laquelle non plus elles ne peuvent rien être, s'essaient en vingt activités diverses, sèment sur leurs pas la discorde et le drame, et ayant, comme on dit, « tout pour être heureuses », ne le sont jamais, faute de posséder dans la société la situation qui leur revient et de pouvoir remplir, sans que s'y attache l'opprobre, leur destination véritable. Pourtant les plus attachantes des femmes se trouvent parmi celles là. Il ne faut pas assimiler la courtisane à la prostituée. Ce sont les matrones qui, volontairement, ont établi la confusion. C'est Catherine de Médicis qui appelait Diane de Poitiers: «la putain ».

La prostituée est l'esclave vendue sur un marché permanent. Elle représente même très précisément la survivance d'une des dernières formes de l'esclavage. Elle est une « serve du corps » qui a, non pas un homme en particulier, mais l'homme en général pour acquéreur et pour maître. Elle est, comme l'esclave antique, sans ambition et sans grande espérance; et comme l'esclave encore, elle est menée à cet état par l'ensemble des conditions économiques et par les infortunes de la vie. La prostitution est un renoncement au bonheur.
La courtisane, au contraire, est une femme libre, qui se pense et se veut telle infiniment plus libre, en tous les cas, que ne le sont les matrones.

S'il lui est arrivé, en ses débuts, ou en des périodes difficiles, de se livrer contre argent à des hommes qu'elle ne désirait point, elle peut toujours répondre qu'un nombre immense d'épouses honorables acceptent le même marché chaque soir dans le lit d'un mari qui leur déplaît, mais leur assure l'existence. Si la courtisane vit de ses charmes, c'est comme le peintre vit de ses toiles, en les cédant aux amateurs; elle peut aussi les donner aux amis. Mais la confondre avec une prostituée, c'est comme de confondre le Véronèse avec un peintre en bâtiment.

Pour la prostituée, l'amour est une tâche. Pour la courtisane, c'est un art. N'est pas courtisane qui veut, et si le mot a subi quelque discrédit, on devrait, de même qu'on appelle chanteuses ou danseuses les femmes qui professent la danse et le chant, réserver le terme d'« amoureuses » à celles qui exercent l'amour comme un art.

L'argent n'est pas la condition suffisante de l'état de courtisane. Beaucoup de femmes entretenues ne sont que des épouses ratées.

La courtisane n'est pas vénale par définition. Elle aime l'argent lorsque l'argent est roi, parce qu'il lui permet d'être reine, et parce que les fortunes dépensées en sa faveur, et les ruines mêmes dont elle est cause, sont une reconnaissance publique de la valeur de sa personne. Le luxe, pour elle, n'est pas seulement un plaisir; c'est une dignité, une affaire de rang, comme l'apparat des princes. Mais elle est attirée également par tout ce qui est roi: le talent, le pouvoir, le record athlétique, l'héroïsme, la gloire, le génie. Elle est la compagne naturelle de tout ce qui domine et ne se reproduit pas.

Sa vocation n'est pas une question de milieu, mais de tempérament et de nature profonde. Elle peut naître aussi bien dans une ferme, dans un château, dans un appartement bourgeois de la plaine Monceau, ou dans une banlieue ouvrière. De deux sœurs élevées dans des conditions identiques, l'une sera une épouse et l'autre une courtisane. Pourquoi? Les psychanalystes fourniront peut être une réponse, et les astrologues une autre. Il faudrait pouvoir forcer le secret des chromosomes pour que l'explication soit complète.

Depuis la fin de la première guerre de ce siècle, ce sont de plus en plus fréquemment des femmes du monde qui tiennent l'office de courtisanes, et en y apportant de grandes qualités. Les aristocraties épuisées auxquelles elles appartiennent, étant de moins en moins bénéficiaires de l'ordre établi, ne leur opposent plus qu'avec une extrême négligence les impératifs moraux qui garantissaient cet ordre. Oisives, héritières d'une tradition de raffinement, cultivées ou ayant eu le temps de le paraître, et disposant souvent encore de ressources personnelles, certaines de ces femmes, qui n'ont jamais accepté un sou d'un homme, se vexeraient si on leur disait ce qu'elles sont réellement: des hétaïres bénévoles. D'autres, qui se croient quittes envers leur honneur parce qu'elles repoussent les chèques mais acceptent des bijoux qu'elles revendent, et celles encore qui trouvent normal, après tout, qu'on subvienne à leurs plaisirs onéreux «puisqu'elles aiment», s'offenseraient bien davantage d'être rangées dans la corporation. Toute femme entretenue se considère moralement supérieure aux autres femmes entretenues, car elle ignore les raisons que les autres ont, elles aussi, de s'estimer.
Il faut ajouter que les hommes paient de moins en moins sauf d'autres hommes. Les grandes créatures entretenues de notre époque sont des homosexuels. C'est à quelques jeunes gens «lancés» et qui parviennent même à vivre sur ce lancer plus longtemps que leur jeunesse que vont aujourd'hui, et de façon parfaitement ostentatoire, les voitures de grand luxe, les trains de maison fastueux, les hôtels particuliers, les villas sur les rivages en vogue. C'est pour eux que des milliardaires dilettantes donnent des bals, des fêtes qui sont le triomphe de la futilité et où la dépense ruisselle pour la splendeur d'un instant. Certains de ces éphèbes mûrissants s'ornent de titres faux, comme on s'orne de faux bijoux, sous lesquels ils entreront dans la chronique galante. Ces petits maîtres, dans l'agitation de leur oisiveté surmenée, décident en partie du goût et de la mode; l'extravagance est leur métier. L'attitude des femmes à leur égard est surprenante; elles les moquent mais s'empressent autour d'eux; elles leur font le cortège irrité de l'envie; ils sont vraiment les «reines», et avec l'assentiment même des femmes dont ils usurpent les pouvoirs et les bénéfices. Ne serait ce pas que les femmes ont laissé vacants certains rôles, certains emplois, qui leur appartenaient, et qui, faute de titulaires, sont tenus actuellement par des travestis?

Loin de pouvoir être confondue avec la prostituée, la courtisane, l'«amoureuse» est parente de l'actrice, de la vedette, de la star. C'est là bien davantage que la démarcation est difficile à établir. La courtisane, comme l'actrice, a pour destination de plaire, de briller, d'être distinguée de l'attention publique. Elle aussi est soumise à un perpétuel suffrage, et a besoin du consentement des autres pour être assurée de sa prépondérance, de sa réussite. Elle aussi doit accepter et même rechercher; les servitudes de la publicité, d'une certaine publicité mondaine; elle aussi est en perpétuelle représentation. Une matrone peut paraître en tenue négligée; elle ne perdra pas forcément pour cela sa situation de matrone. Une courtisane ne peut pas se permettre cet abandon; ce serait comme si une actrice montait sur le plateau en ayant oublié de revêtir son costume de scène.

Les deux vocations témoignent d'aspirations très voisines et réclament des dons comparables. Beaucoup de courtisanes, par besoin de justification, tentent l'aventure du spectacle, de même que la galanterie trouve souvent son recrutement dans les infortunes du théâtre. Certaines femmes réussissent dans les deux carrières à la fois. Et quand un chef d'État vient féliciter dans les coulisses une actrice dont la vie privée, étalée par les magazines, vaudrait la révocation d'un fonctionnaire public, il répète, au fond, la démarche d'Henri III.

Remarquons encore que les célébrités de l'amour, hommes ou femmes, ne sont pas plus nombreuses dans une génération que les grands auteurs dramatiques ou les grands ministres. La physionomie d'un siècle se construit avec très peu de visages. On conçoit aisément que les matrones jalousent et haïssent les courtisanes. Celles ci ont tout ce que celles là envient: le succès, le luxe, l'absence de monotonie dans l'existence, la liberté de la quête sensuelle. Les matrones devraient plutôt leur être, reconnaissantes; les courtisanes ont, involontairement travaillé pour elles. Si les bourgeoises d'aujourd'hui sont libérées de bien des entraves, si elles peuvent se farder, porter une lingerie légère, se montrer seules dans les lieux publics, c'est aux « demi mondaines » du début du siècle qu'elles le doivent. Ces dernières, au prix de pas mal d'affronts, ont ouvert la brèche, pour les autres, dans la rigueur ou la sottise des mœurs.

Chaque femme, pour peu qu'on l'écoute, laisse entendre volontiers qu'elle porte une nature de courtisane dans un coin de son cœur, et que si elle avait voulu, après tout... Chaque homme aussi porte un rayon de poésie. Mais de là à être Goethe, il y a la différence de l'écume d'une bassine de lessive à l'écume de l'Océan.

La distinction matrone courtisane traduisait en fait une distinction entre la procréation et l'amour.

Les civilisations anciennes considéraient l'exercice de la connaissance, des arts et de l'amour comme appartenant au domaine sacré, tout autant et même davantage que l'accomplissement de la procréation. En d'autres termes, elles tenaient pour sacré ce qui est proprement, distinctement humain. Tout le contraire de la conception chrétienne. Les fondateurs du christianisme, prenant les nécessités démographiques pour des impératifs divins (la confusion vient de la Bible), ont imposé à l'Occident très exactement une morale sexuelle de chiens, en commandant de ne s'accoupler que pour reproduire. La Réforme, qui a secoué un certain nombre de jougs, ne s'est pas libérée de celui là. Les bourgeoisies, même incroyantes, se servant des Églises et des morales établies pour garantir leurs privilèges, ont perpétué l'erreur. Nous nous imaginons aujourd'hui fort libres et affranchis de mœurs. Nous sommes, dans le domaine de l'amour, des ignorants, des timides, des honteux et des malhabiles à côté des Anciens.

Faire l'amour pour faire l'amour et en tirer des délectations, des exaltations qui s'apparentent aux joies de l'art, garde, pour l'immense majorité des individus, une petite saveur inquiétante de péché, de chose interdite. On nous a placé l'enfer dans la région pelvienne. Les «amoureuses» depuis deux mille ans mènent le bon combat contre ce faux enfer.

La progéniture, lorsqu'elle est réellement souhaitée, lorsqu'elle n'intervient pas comme une fatalité naturelle, une servitude biologique et là l'être humain dispose encore du pouvoir de refuser cette servitude est toujours un aveu d'insatisfaction, d'inaccomplissement de soi, et comme une délégation faite au futur. Dans la volonté de procréer, et même dans le seul consentement à la procréation, il y a toujours une implicite démission. Les gens qui désirent des enfants, désirent généralement, en même temps, que leurs enfants vivent mieux qu'ils n'ont vécu, qu'ils réussissent ce qu'ils n'ont pu réussir, et qu'ils les prolongent dans l'univers au delà d'une disparition qui les épouvante ou les désole. Ou bien sans réfléchir autant, ils s'abandonnent simplement à une sollicitation spécifique qui les dépasse. Mais les hommes qui ont le sentiment d'assumer totalement leur destin, et qui ne redoutent point la mort, n'éprouvent pas l'exigence de se reproduire. On peut remarquer d'ailleurs que le génie n'engendre jamais le génie. Il enfante tout au plus des biographes de leur père, des assistants aux cérémonies commémoratives, qui héritent cette fonction d'enfants du génie comme on hérite une banque ou une terre, et avec moins de possibilités de s'en dégager. Mais jamais on ne rencontre chez eux cette sorte de connivence des aptitudes, du caractère et des circonstances qui permet la grande œuvre, la grande découverte, la grande aventure.

A Byzance, on castrait les membres de la famille impériale quand leurs talents exceptionnels les désignaient aux premières charges publiques, pour éviter la confusion entre le prestige dont ils bénéficiaient à titre personnel, et la dévolution naturelle du rôle d'incarnation de l'Empire. Ils devenaient stériles, mais non impuissants. Cela se passait dans les premiers siècles du christianisme et avec la totale approbation des évêques; mais l'Église l'a oublié.

L'espèce humaine paraît procéder comme si, d'une part, à travers le plus grand nombre elle procréait aux fins d'une amélioration constante de son statut, d'une satisfaction toujours plus grande de ses désirs, d'une extension indéfinie de ses pouvoirs, tandis que, d'autre part, à chaque génération, dans un nombre restreint d'individus, elle témoignait des étapes de cette ascension et résumait ses accomplissements successifs et ses relatives perfections.

Autrement dit, l'humanité, engagée dans la création d'un archétype divin, sans bornes à sa puissance, sans satiété dans son bonheur et qui, à la limite, pourrait recréer l'univers, laisse sur sa marche des préfigurations partielles de cet archétype comme des preuves encourageantes de ses acquisitions d'hier et le point de départ de ses conquêtes de demain.

L'amour considéré comme un accomplissement parfait, comme une félicité étale et permanente, pure de toute projection dans l'avenir, est l'un des attributs idéaux de l'archétype. Les matrones sont le purgatoire de l'espèce; les courtisanes en sont le paradis, ou tout au moins les marches.

Exigeantes envers la vie parce que d'abord amantes d'elles mêmes, maîtresses des formes raffinées de la sensualité, capables de tirer de leur chair et de la chair d'autrui les variations et les richesses inépuisables d'une musique, aptes à toutes les délectations et prenant l'amour pour ce qu'il est l'acte par excellence qui trouve sa fin en soi - elles sont faites pour éprouver la volupté d'être et la faire partager aux hommes de leur race.

Notre époque n'est pas favorable aux «amoureuses». Une énorme vague de pudeur, dont nous sommes à peine conscients, s'étale sur le monde. Les sociétés bourgeoises, au moment de s'écrouler, tentent de se défendre en imposant un renforcement de leurs vieilles interdictions. Elles ne trouvent dans l'arsenal de leurs législations et de leurs sacristies que les procédés qui leur ont jadis réussi, et continuent de faire professer que la frustration est la justice et la plénitude un péché. Quant aux sociétés en formation, elles sont pour l'instant entièrement vouées à leur installation, entièrement engagées dans le devenir collectif; leurs forces sont totalement et nécessairement requises pour la promotion d'une généralité humaine plus heureuse. Elles font face à l'urgence. Elles ne peuvent admettre encore que l'individu se consacre à lui-même. Elles ont aussi, à leur manière, inventé un «péché d'Onan».

Et puis l'amour, comme l'angoisse du mystère de notre origine et de notre fin, est une des questions qui offrent le moins de prise à la dialectique matérialiste. Faute d'y donner réponse, il se pourrait bien que, pour un temps, le matérialisme n'ait d'autre ressource que de reprendre à son compte, dans ce domaine, les morales des vieilles sociétés déchues.

On s'étonnera peut être que le sujet d'un ouvrage romanesque soit l'occasion de semblables réflexions ou leur résultat. Mais le roman est parfois une manière de poser, sous l'apparence légère de la fiction, quelques termes d'un problème important. Or, les insatisfactions de l'amour sont, immédiatement après la mort et la faim, le troisième problème dans l'ordre des préoccupations humaines.

Note: une préface référencée qui ne manque pas de style. Le sujet garde de nos jours une certaine acuité et peut servir de point de départ à la discussion.

samedi 2 juillet 2011

Maniaco-dépressif




Je dois être un peu zarbi coté thymie. Il y a des jours, paf, comme ça, d’une minute à l’autre, je me cale en phase maniaco. Celle qui suit sans sourciller la dépressive et ainsi de suite. Alors là, cherchez-moi une utopie qui boxe dans la même catégorie que moi. Un truc maousse à combattre, une idée délirante à amphétaminer jusqu’à la gueule.

Hier, je montais dans la Mansarde la tête dans le cul pour me vautrer dans mon sofa une tasse de camomille à la main. Je ne sucre plus ma camomille depuis que le toubib a fini par m’expliquer pourquoi chaque fois que je commençais à la boire j’avais mal à l’œil droit. Fallait enlever la petite cuillère. Plus de sucre, plus besoin de petite cuillère. J’avais décidé de m’abrutir un peu plus devant une série américaine pour contrebalancer l’effet excitant potentiel de la camomille. Tiens, si j’écoutais plutôt à la place un CD, ou un disque laser, voire un compact disc quand on est pas pressé. Le premier qui me tombe sous, plutôt que sur, la main. Celle qui tient pas la tasse de préférence. Vache, ça attaque aussi sec sur «Layla» de Derek & the Dominos avec Clapton à la guitare électrifiée (ou bien, à la rigueur). J’aurais pas dû prendre l’album «The cream of Clapton». En plus, je mets jamais de crème dans ma tisane. Les premières notes m’ont filé illico le gourdin.

Tagada gada daga miiiou, six fois, en intro et pis après : «What'll you do when you get lonely / And nobody's waiting by your side? / You've been running and hiding much too long / You know it's just your foolish pride. »

Et là faut avoir des nerfs d’acier pour pas lâcher la tasse mais la poser cool à coté de l’ordi avant que les amines cérébrales foutent la pagaille dans les synapses et tout le saint-frusquin qui va avec. En slip kangourou comme unique tenue de scène, je me suis mis à me trémousser comme si je devais chier dans la minute un ténia de dix mètres. Le King du dancefloor c’était moi jusqu'à la fin de cette compilation infernale. Vos gueules les voisins, j’entends plus péter les basses.

Les blaireaux, I’m King and Clapton is for ever God.

Note: billet chié en cinq minutes.