jeudi 28 mai 2015

BLUE JASMINE – WOODY ALLEN - 2013


Woody Allen confesse  à l’occasion qu’il est souvent déçu par ses films.

Après s’être un peu perdu dans les rues des capitales de la Vielle Europe, un retour au pays – San Francisco n’est cependant pas la porte à coté de son cher Manhattan - l’aide cette fois à brosser un portrait aux petits oignons d'une Américaine au bord de la crise de nerfs.

Woody Allen s’intéresse de près à l’univers féminin, c’est connu. En marge de névrose, ou à fond dedans, c’est souvent le cas. Évitant dans ce film l’ironie facile et les réparties cyniques qui l’imposent en caméo histrionique, il ne perd ici nullement le cap tout au long de ce film de 2013. Il tient méthodiquement le fil bleu-rouge du thème qu’il s’était probablement imposé au départ.

Jasmine (Cate Blanchett) - vague pendant moderne de la « Blanche de Tennessee en pleine débâcle » qui descendait à la Nouvelle-Orléans pour demander asile à sa sœur Stella - se rend à Frisco chez sa sœur Ginger pour le même motif. Ginger et elle sont des enfants adoptés. Concernant des facteurs de ressemblance entre les deux sœurs, la génétique est balayée. Quant au poids de l'éducatif? Jasmine aime péter dans la soie et organiser des soirées mondaines frimeuses où elle côtoie des affairistes aux bouffées carnassières mal dissimulées. Ginger, elle, donne plutôt dans le registre Ginette de Prisunic et pioche dans ses rencontres du blaireau androgénique aux affects plus basiques que méchants.

Par le biais de nombreux retours en arrière, on découvre tout au long du film des morceaux du passé de cette femme ingurgitant désormais du Xanax à tout bout de champ pour encaisser les contrariétés. C'en est fini de son passé florissant d’épouse d'un petit Madoff en herbe multipliant les aventures. Elle les ignore, ou tout du moins préfère les ignorer jusqu’à ce qu’une d’entre-elles l’amène à réagir. Son couple et son statut de femme à la situation sociale et financière enviables va voler en éclat. Son insouciant mari, pas totalement antipathique au demeurant, lui propose un divorce généreux pour vivre tranquillement avec une jeune fille au pair française... Sa réaction vengeresse va être à l'origine de son crack financier et psychique.

Jasmine, maîtresse de la résilience, sombre régulièrement sans perdre la capacité de se ressaisir quand on pense qu'elle va perdre la raison. Jusqu’où le spectateur peut-il accompagner les déambulations de cette femme cassée? Un ressaisissement mou et désabusé, imposé en partie par son nouvel entourage, n’est-il pas l’augure d’un inexorable fiasco ?

Une Cate Blanchett au jeu étincelant parvient à soutenir notre curiosité jusqu’au bout. Port noueux, gestuelle inquiète, visage opalin de plus en plus cireux, regard enfiévré focalisé sur rien de ce qui l’entoure,  elle garde le cap snob et distant, toujours entichée de sa panoplie BCBG. Les propos et avis des personnages servant de révélateur obstiné qui lui indiquent régulièrement la vanité de son parcours ont bien peu d'effets. Rien ne saurait lui faire perdre son penchant pour les rêves d’univers glamour et friqués qui l’ont pourtant bien déglinguée. En permanence sur le qui-vive, elle est tour à tour irritante, hystérique ou touchante. Sa nature complexe la pousse à faire fi d’un passé de lâchetés et d’aveuglement où le confort l’a emporté sur la prise de risques et la réflexion.

Cate Blanchett, toujours sur la corde raide, pas forcément sympathique, est impressionnante entre faux semblants et détresse. Elle transfigure Blue Jasmine de sa présence enfiévrée.

Pour le même prix, allons-y, le film de 2014 du Woody qui, méthodique, sort sa réalisation annuelle. La critique de Pierre Murat me plaisant bien, je ne ferai que la proposer avec l'affiche de " Magic in the Moonlight "...


En plein cœur des années 1920, Wei Ling Soo est le magicien le plus célèbre du monde. Sur scène, il vous fait disparaître un éléphant en moins de deux et téléporte instantanément son assistante d'un sarcophage à un fauteuil pivotant. Le grand public ne se doute évidemment pas que ce masque de Fu Manchu cache un Anglais encore plus british que le Pr Higgins de My fair lady. Snob, docte, arrogant, « aussi charmant que le typhus », comme dit son copain. C'est lui, précisément, le copain qui vient supplier Stanley Crawford (Colin Firth) de l'aider à sauver des amis. Là-bas, dans le Midi de la douce France, une aventurière américaine qui se prétend médium menace de se faire épouser par le fils de famille et financer par la mère, toute heureuse de parler, grâce à elle, à son mari défunt. Peut-être parce qu'il se masque lui-même, Stanley adore démasquer les charlatans, les escrocs, les adeptes des tables tournantes, les dingues de l'au-delà : « Le seul être vraiment surnaturel, grince-t-il, est celui qui vient vous surprendre, un jour, une faux à la main »...

Sophie (Emma Stone) est mignonne. Visiblement douée. Et même impressionnante : un don incroyable pour deviner ce qu'elle ne sait pas... Peu à peu, Stanley sent la terre s'ouvrir sous ses pieds. Quoi, il se serait trompé sur toute la ligne : l'invisible existerait. Il y aurait un lien entre les vivants et les morts. La vie aurait donc un sens? Mais alors, mais alors : l'univers, répondant à un dessein précis, impliquerait la possibilité de l'existence... de Dieu! Nietzsche lui avait pourtant réglé son compte, à celui-là! Abasourdi, éperdu, Stanley en arrive, dans un moment de découragement absolu, à implorer la miséricorde divine...

Voir, chez Woody, un homme prier, ça cause un choc. Aurait-il, sur le tard, été saisi par la grâce, comme Paul Claudel derrière son pilier de Notre-Dame? Qu'on se rassure, il demeure aussi cynique que jadis et plus sombre que jamais. Mais il n'est plus, désormais, le moraliste misanthrope d'Annie Hall, d'Hannah et ses sœurs et de Crimes et délits. Il ne cherche plus à faire entendre raison aux hommes, mais les accepte tels qu'ils sont, contradictoires et extravagants.

Bien sûr, à ses yeux, ce sont les pessimistes qui sont dans le vrai: notre passage sur terre est un désastre, l'avenir ne peut être que funeste (l'homme à la faux! ça change du philosophe au marteau) et l'éternité, on le sait bien, c'est très long, surtout vers la fin. Mais, à l'image de Stanley, les pessimistes n'offrent aux autres que leur cafard permanent, leur mal-être décourageant et des grognements plaintifs sur leur existence atroce. Pas terrible... Les optimistes, eux, sont des crétins absolus, totalement dépourvus de raison, de logique et de bon sens. Ils ressemblent - c'est terrifiant ! - au vieux couple observé à la fin d'un de ses derniers films, Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu : deux doux dingues, enfermés dans leur niaiserie comme dans un paradis factice et grotesque...

Mais il existe, et Woody l'admet avec ce film, des êtres comme Sophie. Ce n'est pas un être candide, pour ça non. Ni pervers. Elle n'est qu'une magicienne utilisant son charme, ses pouvoirs pour rendre un rien plus plaisante la vie de ceux qui ont la chance de lui plaire. Elle est le je-ne-sais-quoi qui rend indispensable le presque rien. Et comme tout est faux ici-bas (ailleurs aussi, sans doute, à condition que cet ailleurs existe), pourquoi ne pas accepter le secours non de la religion, comme autrefois, mais de l'illusion...

Magic in the moonlight est un film délicieux. Le plus délicieux des récents Woody. La lumière de Darius Khondji y est resplendissante. On y découvre, surprenante dans l'œuvre du cinéaste, une fête à la Gatsby. On y retrouve les silhouettes farfelues qu'il affectionne: ce grand dadais riche (Hamish Linklater), composant pour sa belle d'atroces ballades à l'ukulélé. Colin Firth, souvent fade, s'y révèle séduisant au possible face à Emma Stone, qui pétille d'intelligence. Les vingt dernières minutes du film sont dignes du théâtre de Marivaux et du cinéma d'Ernst Lubitsch, un superbe badinage autour du sentiment amoureux.

Quant à l'opinion de Woody sur l'homme, suffisant et stupide, elle se résume à cette métaphore : « Le poisson rouge ignore qui change l'eau de son bocal. »

Pierre Murat

http://www.telerama.fr/cinema/films/magic-in-the-moonlight,491750.php

6 commentaires:

  1. Ça pourrait me donner envie de l'aller voir...

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    1. Woody Allen est méthodique : pratiquement un film par an. J’ai eu l’occasion de regarder hier son dernier en VOD, « Magic in the moonlight ». Il a aussi des qualités. L’opposition entre la rigueur scientifique et les sentiments irrationnels dans un cadre années 20 de carte postale est traitée avec humour. Un dialogue de très bonne qualité. Il peut aussi t’amener à investir quelques Yens.

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  2. J'ai trouvé Blue Jasmine dans un magasin d'occasions, mais à 25 € j'ai trouvé que c'était un peu cher... D'habitude je paie mes DVD d'occase entre 5 et 10 €....

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    1. On se trouve effectivement là au prix du neuf! La médiathèque de Vandoeuvre a le mérite de proposer un vaste catalogue DVD gratos. Je ne sais pas si au Japon tu as un abonnement Internet te proposant des vidéos à la demande. Là tu descendrais en dessous de 5 euros, si les tarifs sont équivalents à ceux pratiqués en France. Fin de l'encart gestion budgétaire !

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    2. Je suis effectivement un peu loin de Vancdoeuvre, et j'ai horreur de confier les secrets les plus intimes de ma carte de crédit à des organismes plus ou moins obscurs, sinon mafieux ce qui fait que je renacle à louer à la demande... Je suis donc résigné à acheter ce que je trouve... je ne te parle pas des agences de prêt : j'ai loué quelques DVD, une fois, et me suis retrouvé avec une amende terrible parce que j'avais dépassé la date de retour de quelques heures...

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    3. Hé,hé! tu aurais dû privilégier l'option B en remplacement de l'amende abyssale: une année de figuration active et gratuite dans le X nippon. Normalement dans ce type de production, les membres sont des gens biens évitant les contacts avec les vils trafiquants que tu évoques...
      Pour les paiements en ligne via cartes de crédits, on ne peut t'en blâmer. Tout hacker qui se respecte ne commettrait pas pareille folie. Quand il voit la montée en flèche du paiement en ligne, le pirate s'astique sa jambe en bois avec son bandeau et fait péter un tonneau de rhum pour fêter l'arrivée des beaux jours!

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