Mulholland Drive est un film franco-américain écrit et réalisé par David Lynch en 1999 (pour l'essentiel) et 2000 (pour certaines scènes), et sorti en 2001.
Synopsis :
Victime d’un accident de voiture, une mystérieuse femme, amnésique et blessée, erre sur la sinueuse route de Mulholland Drive. Elle se réfugie dans la première maison qu'elle trouve, l'appartement de la tante de Betty Elms, apprentie comédienne fraîchement débarquée d’une petite ville d’Ontario et venue conquérir Hollywood. Intriguée par cette inconnue qui se fait appeler Rita, Betty, en tentant de l'aider à retrouver la mémoire, découvre dans son sac des liasses de dollars et une clef bleue. De plus en plus complices et devenues amantes, les deux jeunes femmes mènent l’enquête pour retrouver l’identité de Rita. Entre conscience et inconscience, jusqu'au moment où, la clef bleue ayant trouvé sa serrure, l'histoire se renverse.
Mon avis :
La première vision de ce film, l’année de sa sortie, m’avait laissé particulièrement perplexe. Fallait-il vraiment chercher des explications plausibles à la foule d’interrogations que me laissait ce film au moment du générique de fin ? Cheminement alambiqué du scénario, identités à rebondissement des personnages, messages obscures et tortueux du réalisateur, scènes opaques en marge du paranormal, hétérogénéité d’un film fluctuant entre réalisme et onirisme. Un truc à classer illico l’œuvre du maître, bien que particulièrement esthétique et magnifiquement tournée, dans la série des "foutages de gueule intello-pédants" sur lesquels aiment pérorer quelques exégètes snobinards du Septième Art. Devais-je en rester au contentement basique d’un voyeur émoustillé par quelques scènes où deux superbes actrices batifolent en décubitus dorsal ? Je sentais bien une satyre du milieu du cinéma hollywoodien, un clin d’œil au cinéma d’Hitchcock, une référence au mythe de Pandore et le réaménagement onirique par une des protagonistes du film d’une histoire d’amour passée ayant tourné au fiasco. Pour le reste, et en particulier, le montage habile visant à nous perdre dans les méandres d’un travail de raccommodage du rêve d’une starlette vengeresse, j’en étais bien loin. La lecture sur la toile d’une analyse particulièrement détaillée et intelligemment étayée par des exemples m’a fait comprendre une fois de plus qu’il était parfois bon de ne pas s’arrêter à une première impression partisane au décours de la vision d’un film. Revu avec les clefs désormais en ma possession par l'entremise d'une spectatrice curieuse me les ayant confiées, je dois convenir que ce film de Lynch est un petit bijou de rouerie dans le style « Meurtre dans un jardin anglais » servi par un montage qu’on croit fumeux alors qu’il vise à tester la sagacité d’un spectateur intrigué. Quoi qu’il en soit, ce film ne peut pas laisser de marbre celui qui ne ferait que se laisser porter par la magie du spectacle.
Analyse :
Le film commence comme un thriller, mais il est tout sauf un thriller. Il est d’une beauté formelle rare, mais ce film est tout sauf de l’art pour l’art. Enfin, Mulholland drive est bien entendu un rêve, et bien entendu il fonctionne comme un film à clés, mais le rêve n’est pas le véritable sujet du film. Le rêve n’est qu’un moyen - particulièrement bien approprié - de parler d’autre chose. Mulholland drive est en réalité un film sur l’amour et la haine et sur le deuil, mais aussi une élégie, un monument érigé en hommage aux victimes d’Hollywood, une réflexion sur la puissance du cinéma et son influence sur la vie, et même, plus que ça, un pamphlet contre l’ordre hétéro sexiste, ou plus largement contre “l’usine à rêves” qu’est Hollywood, et contre les effets destructeurs de ce “ rêve ” sur la subjectivité de masse.
Tout cela, à travers une histoire : l’histoire de Diane Selwyn et Camilla Rhodes, victimes d’Hollywood. Pour dire les choses d’une manière plus précise : Mulholland drive est une histoire de revanche et de vengeance. L’histoire d’une même femme qui, sous deux identités, l’une réelle, l’autre rêvée, se venge deux fois. Diane Selwyn se venge tout d’abord du mal que lui a fait Camilla Rhodes, la femme qu’elle aime, en la faisant assassiner ; puis, une fois cette première vengeance accomplie, elle se rend compte que ce n’est finalement pas de cette femme qu’il fallait se venger, mais de tous les autres : d’un homme - et au-delà de cet homme, d’un système - qui lui a volé l’objet de son désir.
Cette seconde vengeance, c’est par le rêve qu’elle l’accomplit, celui-ci assurant, selon le mot de Freud, “ la revanche du principe de plaisir sur le principe de réalité ”. Revanche de l’actrice de second rang sur le Star System qui n’a pas su lui faire de place, mais aussi, plus largement, revanche des dominés sur les dominants et de la minorité sur la majorité : revanche de Sierra Buonita sur Sunset Boulevard et Mulholland drive, revanche du petit peuple des provinciaux, des seconds couteaux et des nettoyeurs de piscine sur le Gotha hollywoodien, revanche des femmes sur les hommes, et revanche de l’amour homosexuel sur l’ordre hétéro-sexiste qu’incarne Adam Kesher, le personnage du réalisateur frimeur du film.
Pierre Tevanian
Une analyse du film bien détaillée, illustrée et annotée:
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