lundi 6 février 2012

LA TÉTRAPLOÏDIE


DÉFINITION :

Tétraploïde se dit d'un organisme ou d'un tissu dont les cellules possèdent quatre fois le nombre haploïde de chromosomes, ou, exprimé différemment, un organisme ou une cellule où chaque chromosome existe en ensembles de quatre.



1 - RAPPELS DE GÉNÉTIQUE :

Un chromosome est un élément microscopique constitué en partie de molécules d'ADN. Dans les cellules eucaryotes, les chromosomes se trouvent dans le noyau où ils prennent la forme soit d'un bâtonnet, soit d'un écheveau, selon qu'ils sont condensés ou non. Dans les cellules procaryotes, les chromosomes se trouvent dans le cytoplasme, dans une région appelée nucléoïde. Le chromosome (du grec khroma, couleur et soma, corps, élément) est l'élément porteur de l'information génétique. Les chromosomes contiennent les gènes et permettent leur distribution égale dans les deux cellules filles lors de la division cellulaire. Ils sont formés d'une longue molécule d'ADN, associée à des protéines (notamment les histones). Entre deux divisions, la séparation entre les différentes molécules d'ADN est peu perceptible, l'ensemble porte alors le nom de chromatine. Ils se condensent progressivement au cours de la division cellulaire pour prendre une apparence caractéristique en forme de X à deux bras courts et deux bras longs, reliés par un centromère. Les chromosomes sont habituellement représentés par paires, en parallèle avec leur homologue. Ils sont souvent illustrés sous leur forme condensée et dupliquée (en métaphase de la mitose).

Formule développée d'un nucléotide d'ADN


On appelle allèles les différentes versions d'un même gène. Un allèle se différencie d'un autre par une ou plusieurs variations de la séquence de nucléotides (molécules organiques composées d'une nucléobase, d'un pentose et de 1 à 3 groupements phosphates). Ces différences apparaissent par mutation au cours de l'histoire de l'espèce, ou par recombinaison génétique. Tous les allèles d'un gène occupent le même locus (emplacement) sur un même chromosome.

a - Le caryotype, le génotype et la polyploïdie :

On appelle caryotype, ou carte des chromosomes, l'ensemble des chromosomes du noyau cellulaire (chez les eucaryotes), ou du cytoplasme cellulaire (chez les procaryotes), et génotype l'ensemble des gènes situés sur ces chromosomes. Le nombre et la morphologie des chromosomes sont spécifiques à chaque espèce animale ou végétale. Le nombre des chromosomes est en général constant chez les individus d'une espèce donnée. C'est ainsi que la drosophile a 8 chromosomes, que la grenouille en a 26, la souris 40, le chien 68 ... et le papillon Lysandria 380 !

Lorsqu'il existe des différences morphologiques entre les chromosomes d'un caryotype, on peut souvent observer qu'ils sont associables par paires ou par groupes, identiques par la taille, la position de leur centromère et par d'autres particularités anatomiques. Les espèces chez qui les chromosomes sont associables par paire sont dites diploïdes: leur lot somatique est un lot diploïde constitué de deux lots haploïdes (N).

Dans d'autres espèces les chromosomes sont associables par groupes de trois, quatre ou plus. De tels organismes sont dits polyploïdes.

Caryotype humain normal des deux sexes


Le caryotype normal dans l’espèce humaine : le noyau des cellules somatiques contient 46 chromosomes répartis en 23 paires. Le caryotype humain normal est donc diploïde.  Chaque paire est constituée d'un chromosome paternel et d'un chromosome maternel dits homologues. Les 22 paires de chromosomes identiques dans les deux sexes sont les autosomes. La 23e paire est constituée par les chromosomes sexuels ou gonosomes.

Dans la terminologie génétique, le nombre placé en tête est le nombre total de chromosomes, y compris les chromosomes sexuels, dont la nature est indiquée après la virgule. Les autosomes ne sont spécifiés que s'ils sont anormaux. Le caryotype d'un homme normal est désigné par la formule 46, XY, celui d'une femme normale par la formule 46, XX.

Dans l'espèce humaine, le nombre haploïde (n) est le nombre de chromosomes contenus par les cellules germinales. Il est égal à 23.

b - Les aberrations chromosomiques :

Des erreurs se produisent parfois au cours de la méiose (division des gamètes) ou au cours de la mitose (division des cellules somatiques) entraînant l'apparition d'anomalies chromosomiques dans les noyaux des cellules filles. On parle alors d'aberrations chromosomiques quand le nombre ou la structure des chromosomes sont anormaux. Elles provoquent des maladies telles que l'hémophilie, certaines myopathies (atteinte congénitale des muscles entraînant une diminution du tonus musculaire) ou le mongolisme, pour ne citer que les plus fréquentes. On peut classer les aberrations chromosomiques en :

 -  anomalies de structure : conséquences de cassures de chromosomes. Les principales sont : les délétions, les translocations, les inversions et les isochromosomes.

 -  anomalies numériques : divisées en
     aneuploïdies : le nombre des chromosomes est normal sans être un multiple exact du nombre haploïde. On distingue les hyperploïdies dont les plus connues sont les trisomies (ex: trisomie 21 ou syndrome de DOWN ; trisomie 18 ou syndrome d'EDWARDS), et les hypoploïdies qui sont peu fréquentes et pratiquement létales si elles portent sur les autosomes (ex: portant sur les gonosomes le syndrome de TURNER ou monosomie X dont la formule est 45, XO)
     polyploïdies : le nombre des chromosomes est un multiple entier supérieur à 2 du nombre haploïde (N). 

Chez l'homme, les seuls multiples connus sont 3 et 4 du nombre haploïde qui est 23 :

  3 n : correspondant aux formules 69, XXY pour un garçon et 69, XXX pour une fille. Ce sont des caryotypes triploïdes.
  4 n : correspondant aux formules 92, XXXX pour une fille et 92, XXYY pour un garçon. Ce sont des caryotypes tétraploïdes.
  
c - Les mosaïques :

Certains individus n'ont pas le même assortiment chromosomique dans toutes leurs cellules. Une anomalie se produit lors des premières divisions de l'œuf, entraînant dans ces cas la cohabitation de deux, ou plusieurs lignées (ou clones ou contingents) cellulaires dont les caryotypes sont différents. Ainsi, certaines sont porteuses d'un type d'aberration chromosomique alors que d'autres ont un caryotype normal ou porteur d'une autre aberration. Selon l'importance quantitative des cellules issues du clone anormal, on assiste à une expression phénotypique plus ou moins marquée de l'anomalie chromosomique correspondante.

REMARQUE : les pourcentages respectifs des différentes populations cellulaires peuvent varier largement d'un tissu à un autre. Cette remarque montre la nuance avec laquelle il faut interpréter les conséquences potentielles d'une mosaïque découverte sur des prélèvements cellulaires ponctuels ou uni-tissulaires.

© Inserm, J.-C. LambryVue transversale de l'ADN la molécule qui contient les gènes. Sur cette modélisation, les différents atomes constituant l'ADN ont été représentés en couleur : le carbone en orange, l'oxygène et bleu, l'azote en rouge, l'hydrogène en blanc et le phosphore en violet.




 2 - CELLULES TÉTRAPLOÏDES EN PHYSIOLOGIE :

Dans le règne végétal :

On trouve ce phénomène à l'état physiologique chez un nombre important de plantes supérieures. Ce sont souvent des espèces capables de reproduction végétative. Le caryotype tétraploïde est peu fréquent au sein des espèces capables de polyploïdie à l'état naturel. Voici, à titre d'exemple, un répertoire succinct  de quelques espèces connues :

 Gossypium hirsutum : coton
 Arachis hypogaea : arachide
 Nicotiana tabacum : tabac
 Solanum tuberculum : pomme de terre
 Oriza sativa : riz
 Coffea arabica : caféier

Dans le règne animal :

On retrouve également le phénomène de polyploïdie physiologique au sein de quelques espèces animales, la plupart capables de reproduction asexuée. Des caryotypes tétraploïdes constituent cependant une véritable rareté. Ainsi, seul, à la connaissance du Professeur B. DUTRILLAUX qui a eu la grande amabilité de répondre par courrier à la " colle que je lui ai posée", pour reprendre ses propres termes, une espèce de Planaires (Turbulleria Tricladida Paludicola, ver plat de l'embranchement des Plathelminthes, classe des Turbellariés),  possède de façon inconstante une formule tétraploïde typique (4n = 28): Crenobia alpina. Le tiré à part qu'il m’a adressé:
 « Les particularités cytogénétiques de ces animaux résident en trois points principaux:
 - La variation du nombre haploïde de chromosome paraît aussi marquée entre des espèces appartenant à un même genre qu'entre des espèces de genres différents.
  - Chez certaines espèces, le degré de ploïdie semble varier selon l'origine géographique.
 - enfin chez la même espèce, il est possible de rencontrer une variation de la formule chromosomique. Ainsi, pour Crenobia alpina, des exemplaires issus d'autres origines géographiques que celles possédant la formule 4n=28 (M. BENAZZI 1966) exemplaires recueillis en Italie, on peut trouver des formules 6n= 42 chromosomes (B.DUTRILLAUX et P. LEPIQUE, 1970) recueillis en Haute Savoie et 9n= 63 chromosomes (DAHM 1958) recueillis en Suède. »

J’ai retrouvé également dans la littérature : chez l'huître, les ostréiculteurs utilisent un mâle huître tétraploïde pour féconder des huîtres diploïdes (normales) afin d'obtenir une huître triploïde. Le naissain d'un tel croisement est stérile.

 Dans l'espèce Humaine :

 En physiologie
certains tissus pouvant contenir des cellules possédant un multiple du nombre somatique constant de 46, ont été a découverts. Dans la quasi totalité des cas il s'agit de cellules tétraploïdes. Au niveau de l'encéphale, à l'état normal, d'après les études anatomopathologiques effectuées par C.L. SCHOLTZ sur le cortex strié, LAPHAM ET JOHNSON sur le cervelet, MANN et YATES sur les cellules de PURKINJE, on rencontre des cellules tétraploïdes. A titre d'exemple, au niveau des cellules gliales des couches 1,2 et 3, des noyaux tétraploïdes sont mis en évidences dans un rapport moyen de 1 pour 30.

Au niveau de tissus en croissance rapide, P.J. SWARTZ en 1956, en retrouvait dans les cellules hépatiques et montrait le rôle prépondérant de l'hormone de croissance dans leur apparition, suggérée par leur présence plus importante en période pubertaire.
VAN DER HEYDEN et JAMES en dénombre au sein du myomètre gravidique, et C.P. ADLER, au sein du myocarde en cours de croissance ou dans des cas d'hypertrophies.

En pathologie humaine :
 - B.S. DANES note un accroissement significatif du nombre des cellules tétraploïdes dans les cultures de fibroblastes de personnes atteintes d'un syndrome de GARDNER, maladie autosomique dominante caractérisée par l'apparition de quatre types de tumeurs inhabituelles : polypose intestinale multiple, ostéomes, fibromes, kystes sébacés. Ce dernier auteur, effectue le même type de constatation au niveau de ces mêmes cellules, dans un groupe de 70 patients ayant des antécédents familiaux de cancers variés.

- G. ANEREN visualise le même phénomène chez 34 patients porteurs de malformations légères des extrémités des membres.

Il est parfaitement logique de retrouver des cellules tétraploïdes au sein des contingents cellulaires recueillis sur des néoplasmes. Citons à ce propos la publication d'un cas de leucémie tétraploïde par TRUJILLO en 1971.

3 - PHYSIOPATHOLOGIE DE LA TÉTRAPLOÏDIE CHEZ L’HOMME :

Pour résumer les conceptions physiopathologiques actuelles, deux mécanismes responsables de la formation d'un œuf tétraploïde ont pu être mis en évidence :
- de façon quasi constante, il s'agit d'une défaillance lors de la première division cellulaire d'un œuf normal: duplication chromosomique et non disjonction cytoplasmique.
- On connaît une observation mettant en évidence une fécondation ovulaire par trois pronuclei mâles (trispermie hautement probable).


4 - FRÉQUENCES DES ABERRATIONS CHROMOSOMIQUES ET DE LA TÉTRAPLOÏDIE
CHEZ L’HOMME

 A - FRÉQUENCE DES ABERRATIONS CHROMOSOMIQUES :
     
  a - Au niveau des produits d'avortements:

Les chiffres publiés demandent une interprétation. En données brutes extraites d’une revue de la littérature, T. HASSOLD  s'aperçoit que les chiffres publiés vont de : 30% pour CREASY (1976) à 61% pour BOUÉ (1975) d'aberrations chromosomiques retrouvées sur l'ensemble des produits d'avortements spontanés analysés. Si l'on tient compte du fait que les publications portent sur des échantillons correspondant à des produits d'avortements d'âges gestationnels inhomogènes, on s'aperçoit que les études concordent si on exprime leurs résultats d'une autre façon. Ainsi, E. PHILIPPE, estime, après une revue des principales études publiées jusqu'en 1984, que le pourcentage d'avortements spontanés liés à une aberration chromosomique est d'environ :
 70 % avant 6  semaines de gestation
 50 % avant 10 semaines de gestation
 20 % avant 20 semaines de gestation

    b - Chez les nouveaux nés vivants :

Selon les auteurs, les chiffres varient sensiblement et se situent dans une fourchette allant de: 0,54 % pour H.P. KLINGER  à 1 % pour J. BELAISCH.
Les manifestations cliniques en rapport, sont par ailleurs, plus ou moins patentes, voire de découverte fortuite.
L'étude nous paraissant la plus significative du point de vu statistique est celle effectuée par GRELL en 1977 dans une enquête regroupant 31.801 nouveaux nés vivants chez lesquels on avait recensé 182 anomalies chromosomiques, soit une fréquence de 0,57 %.


B - FRÉQUENCE DE LA TÉTRAPLOÏDIE HUMAINE :

      a - Au niveau des produits d'avortements :

 En regroupant les publications les plus importantes quant au nombre d'échantillons analysés, on peut obtenir un pourcentage moyen de survenue de l'anomalie chromosomique au niveau des produits d'avortements spontanés.

Sur un nombre de 3754 cultures réalisées, on dénombre 1785 aberrations chromosomiques décelées, dont 113 caryotypes tétraploïdes. Soit une fréquence relative de 6,33%.

Il est intéressant de signaler que le taux d'incidence de 6,33 % que mentionne P. TOSI est sensiblement supérieur à celui cité habituellement dans la littérature, et en particulier, E. PHILIPPE en 1984 qui le situe aux alentours de 4 %.

Pour donner un ordre d'idée, citons en comparaison les fréquences relatives des anomalies chromosomiques les plus fréquemment sur les produits d'avortement: trisomies  (54 %), triploïdies (19 %), monosomie X  (15 %), trisomie double (3 %).

D.M. SHEPPARD regroupe l’étude de 120 observations qui indiquent un caryotype 92, XXXX dans 75 cas et un caryotype 92, XXYY dans 45 cas.

 b - Chez les nouveaux nés vivants :

 En 1991 j’avais dénombré après recueil des articles de la littérature mondiale:

 . 5 publications d'enfants nés vivants porteurs d'une tétraploïdie pure.
 . 6 publications d'enfants nés vivants porteurs d'une mosaïque diploïde-tétraploïde.

De nombreuses malformations externes et internes sont décrites dans les articles des auteurs d'observations cliniques d’enfants nés vivants porteur de cette anomalie. Il ne serait pas de bon ton de présenter dans ce blog l’iconographie que j’ai pu recueillir en 1990 à ce sujet. Pour télécharger et consulter le détail des observations, lire mon ancien travail en version brouillon Word et obtenir une bibliographie, suivre le lien : POUR ALLER PLUS LOIN



Note : ce billet a essentiellement pour but d’exhumer d’un classeur poussiéreux où il sommeillait depuis plus de 20 ans (1990) un travail qui m’avait été confié portant sur un cas potentiel de tétraploïdie chez un nouveau né décédé rapidement en post-partum. L’accouchement, le 17/04/1984, avait été déclenché à 31 semaines ½ d’aménorrhée gravidique, avec accord de la patiente, sur des arguments cytogénétiques en faveur d’aberration chromosomique, associés à un retard de croissance intra-utérin sévère dans le cadre d’une grossesse incidentée par une néphropathie gravidique à l’équilibre précaire chez une mère porteuse d’un diabète gestationnel. Observation recueillie à la Maternité Régionale de Nancy. L’autopsie du nouveau-né, n’ayant révélé aucune anomalie anatomique externe ou interne typique décrite dans les tétraploïdies, mis à part un pterygium coli peu prononcé, le seul argument de présence de cellules tétraploïdes (7/18) dans les recueils d’une amniocentèse antérieure ne me paraissait pas suffisant pour conclure qu’on se trouvait bien en présence d’un cas avéré d’enfant né vivant porteur d’une mosaïque diploïde-tétraploïdie. Des artéfacts de culture pouvaient être à l’origine d’un faux diagnostic positif. De plus, des biopsies pluritissulaires n’avaient malheureusement pas été pratiquées lors de l’autopsie.

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