vendredi 21 janvier 2011

C’est la faute à Voltaire



Aimer tout le monde. Dieu m’en garde ! Il faudrait que j’eusse le goût exquis d’aduler dans le tas quelques monstres sanguinaires.

Désirer me faire aimer de tous. Mon psychiatre m’en garde ! Cela reviendrait à brûler une belle énergie pour séduire qui je déteste, au risque d’en manquer auprès de ceux que j’aime ou apprécie.

Aimer le monde tel qu’il est. Vertudieu ! Autant décider que l’Histoire s’est brusquement arrêtée hier au soir. Elle regorge de sagas épouvantables, de récits de massacres de toute nature et de crimes en tout genre, contre des individus, contre l’humanité, contre la planète même. Autant de séquelles longues à s’estomper dans la mémoire collective qui est tenace et peu oublieuse. Se bercer de l’illusion funeste que la civilisation moderne aurait du jour au lendemain définitivement désactivé les mécanismes à la base des errements mortifères du passé, imaginer qu’une mutation génétique soudaine et favorable chez Homo sapiens sapiens (on aurait tout de même pu trouver un terme moins redondant) saurait enrayer ces grands processus de destruction, alors que les historiens écrivent sans cesse des livres déclinant des annales de massacres suintant le plagiat, procéderait d’un aveuglement consternant. Pour couper court au débat, il suffit d’allumer sa radio au moment des informations.

Je me méfie comme de la peste des donneurs de leçons, des apôtres de la morale, des anciennes mères maquerelles devenues sur le tard, la plupart du temps par nécessité, présidentes de ligues de vertus. A la suite d’un quelconque tour de passe-passe mental, ces individus seraient-ils donc parvenus au déni complet de leur coté obscur ou chercheraient-ils à nous faire oublier que le jeu des masques est la grande occupation de l’espèce humaine ? Quand, un temps oisif, j’écoute le prêchi-prêcha des «beaux esprits médiatiques», je ne peux m’empêcher de lire entre leurs lignes et de débusquer çà et là au sein de leurs grands discours quelques taches ayant résisté au blanchiment de l’aube qu’ils ont revêtue et dans laquelle ils se pavanent.

Le seul combat qui pourrait mener au meilleur des mondes ne pouvant se jouer avec efficacité qu’à l’échelle de chaque individu, je vois mal comment, sinon par miracle, une société entière pourrait entreprendre avec succès cette révolution salutaire menant à la « sainteté collective », et moins encore, comment elle parviendrait à léguer sans coup férir aux générations suivantes les fruits de ses travaux rédempteurs. Chaque génération commet et commettra les erreurs des précédentes puisque c’est en somme toujours la même initiation qu’elle doit ou devra subir, avec son lot de rares succès et d’échecs cuisants.

Certes, la connaissance et la culture qui s’amoncellent depuis des siècles pourraient aider à ne pas tomber systématiquement dans les mêmes ornières. Cependant, le niveau sous marin abyssal d’inculture recommandé de nos jours, l’insignifiance portée aux nues comme valeur étalon, ne me laissent présager rien de bon, et, parfois, je me prends à jouer les Cassandre ou les prophètes de l’Apocalypse affalé dans un canapé devant mon téléviseur, éberlué par le spectacle de tous ces Candide voltairien buvant comme un hydromel délectable les paroles d’un quelconque Pangloss s’érigeant en nouveau prédicateur des temps modernes.

Alors, gardez-vous d’apporter le moindre crédit à mon prêche de scrogneugneu en proie au tracassin, agacé par un prurit inopiné l’amenant à pondre ce court pamphlet calamiteux. Il est digne d’un réactionnaire intégriste qu’on souhaiterait catatonique plutôt qu’incontinent. De préférence, allez faire un tour dans votre jardin, pas pour vous soulager dans la cabane au fond, mais pour décider de le cultiver un chouïa…

«Pangloss disait quelquefois à Candide : “Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin si vous n’aviez pas été chassé d’un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l’amour de mademoiselle Cunégonde, si vous n’aviez pas été mis à l’Inquisition, si vous n’aviez pas couru l’Amérique à pied, si vous n’aviez pas donné un bon coup d’épée au baron, si vous n’aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d’Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches.
– Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.”»

2 commentaires:

  1. Le vieil anar n'a pas perdu toutes ses dents. Je l'imagine dans la cabane au fond du jardin en train de couler son bronze tout en méditant sur les vertus du compost naturel.

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  2. Macheprot> Voilà bien le genre d'évocation qui risque de me faire perdre mon dernier semblant de dignité !

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