«Personne ne tombe amoureux s’il est, même partiellement, satisfait de ce qu’il a et de ce qu’il est. L’amour naît d’une surcharge dépressive qui se caractérise par l’impossibilité de trouver dans l’existence quotidienne quelque chose qui vaille la peine. »
Francesco Alberoni.
« Chacun des vingt-deux chapitres de ce Sherlock Holmes du cœur est un petit chef-d’œuvre (...) Il ne sera désormais plus possible de tomber dans un mouvement collectif à deux sans son Alberoni sous le bras »
Anne Pons, « Le Monde ».
«Innamoramento e amore», l’ouvrage du sociologue de Milan, Francesco Alberoni, débute ainsi :
«Qu’est-ce que tomber amoureux ? C’est l’état naissant d’un mouvement collectif à deux. Cette définition pourrait conclure une longue analyse de faits et d’interprétations.
J’ai préféré la placer en introduction pour qu’elle nous guide dans ce court voyage à travers un territoire que nous connaissons tous, car tous nous avons directement vécu l’expérience de l’amour, qui reste pourtant énigmatique et insaisissable. Cette définition pose le problème de tomber amoureux d’une façon nouvelle et le situe dans une optique différente de celle à laquelle nous ont habitué la psychologie, la sociologie et même l’art.
Tomber amoureux n’est ni un phénomène quotidien, ni une sublimation de la sexualité, ni un caprice de l’imagination. Ce n’est pas non plus un phénomène "sui generis", ineffable, divin ou diabolique. Ce phénomène peut cependant se classer dans une catégorie déjà connue, celle des mouvements collectifs. Mais il s’en distingue par une originalité particulière et spécifique : on ne peut le confondre, par exemple, avec des mouvements comme la Réforme protestante, ou le mouvement étudiant, le mouvement féministe, le mouvement de David Lazzaretti ou le mouvement islamique de Khomeiny. La confusion est absolument impossible. Si tomber amoureux appartient à la même famille d’événements, il en constitue, pourtant, un cas spécial. Entre les grands mouvements collectifs de l’histoire et le fait de tomber amoureux, il y a cependant une parenté très proche : la nature des forces qui se libèrent et qui agissent sont du même type ; de nombreuses expériences, la solidarité, la joie de vivre, le renouveau, sont analogues. Mais il existe une différence fondamentale entre eux : les grands mouvements collectifs impliquent un très grand nombre de personnes et restent ouverts à d’autres individus. Tomber amoureux, au contraire, tout en étant un mouvement collectif, ne concerne que deux personnes seulement ; quelle qu’en soit la valeur universelle qui puisse s’en dégager, son horizon d’appartenance est strictement lié au fait d’être complet, achevé, avec deux personnes et deux seulement. C’est sa spécificité, sa singularité, ce qui lui confère certains caractères uniques.
De nombreux sociologues ont analysé les mouvements collectifs, ils nous ont décrit les expériences qui s’y produisent. Durkheim, par exemple, traitant des états d’effervescence collective, dit :
« L’homme qui les éprouve a l’impression qu’il est dominé par des forces qu’il ne reconnaît pas comme siennes, qui le mènent, dont il n’est pas maître (…) il se sent comme transporté dans un monde différent de celui où s’écoule son existence privée. La vie n’y est pas seulement intense, elle est qualitativement différente (…) L’individu se désintéresse de lui-même, s’oublie, se donne tout entier aux fins communes (…) (Ces forces) éprouvent le besoin de se répandre pour se répandre, par jeu, sans but (…) A ces moments, il est vrai, cette vie plus haute est vécue avec une telle intensité et d’une manière tellement exclusive qu’elle tient presque toute la place dans les consciences, qu’elle en chasse plus ou moins complètement les préoccupations égoïstes et vulgaires. »
Quand Durkheim écrivait ces lignes, il ne pensait pas du tout à l’amour naissant mais songeait à la Révolution française et à d’autres événements révolutionnaires de vaste portée. En effet, les émotions qu’il décrit sont très courantes. Elles se retrouvent au sein de ces grands processus historiques tels que la Révolution française, le développement du christianisme ou celui de l’islam, mais également dans d’autres mouvements de moindre importance.
Tous les mouvements collectifs dans leur phase initiale, celles que nous définirons comme l’état naissant, possèdent ces mêmes caractéristiques. Il est curieux que l’analyse de Durkheim puisse s’appliquer également à la passion amoureuse. Max Weber nous donne un deuxième exemple dans son étude des phénomènes au cours desquels la créativité, l’enthousiasme et la foi se manifestent pleinement. Mais il les considère comme un aspect du pouvoir, c'est-à-dire comme quelque chose qui dépend d’un chef charismatique. Ce chef charismatique se signale par sa rupture avec la tradition; il entraîne ses disciples dans une aventure héroïque et suscite chez ceux qui le suivent l’expérience d’un renouveau intérieur, d’une "métanoïa" au sens où l’entend Saint Paul. Sous l’impulsion d’un chef charismatique, les soucis économiques cèdent place à un libre épanouissement de la foi et de l’idéal, à une vie d’enthousiasme et de passion. Toutes ces réactions, Weber les attribue au chef, à ses qualités de chef. En réalité, il commet l’erreur que fait chacun de nous lorsqu’il tombe amoureux : celle d’imputer l’expérience extraordinaire qu’il est en train de vivre aux qualités de l’être aimé. L’être aimé, en revanche, n’est pas différent des autres. C’est la nature des relations entre nous et celui que nous aimons, la nature de l’expérience extraordinaire que nous vivons, qui rendent différente et extraordinaire la personne aimée et, plus profondément, qui nous rendent tous deux différents et extraordinaires.»
Le livre se lit d’une traite et les derniers chapitres ouvrent un angle de lecture inattendu sur ce phénomène qui a inspiré tant d’auteurs occidentaux depuis l’aube de la civilisation.
«Qu’est-ce que tomber amoureux ? C’est l’état naissant d’un mouvement collectif à deux. Cette définition pourrait conclure une longue analyse de faits et d’interprétations.
J’ai préféré la placer en introduction pour qu’elle nous guide dans ce court voyage à travers un territoire que nous connaissons tous, car tous nous avons directement vécu l’expérience de l’amour, qui reste pourtant énigmatique et insaisissable. Cette définition pose le problème de tomber amoureux d’une façon nouvelle et le situe dans une optique différente de celle à laquelle nous ont habitué la psychologie, la sociologie et même l’art.
Tomber amoureux n’est ni un phénomène quotidien, ni une sublimation de la sexualité, ni un caprice de l’imagination. Ce n’est pas non plus un phénomène "sui generis", ineffable, divin ou diabolique. Ce phénomène peut cependant se classer dans une catégorie déjà connue, celle des mouvements collectifs. Mais il s’en distingue par une originalité particulière et spécifique : on ne peut le confondre, par exemple, avec des mouvements comme la Réforme protestante, ou le mouvement étudiant, le mouvement féministe, le mouvement de David Lazzaretti ou le mouvement islamique de Khomeiny. La confusion est absolument impossible. Si tomber amoureux appartient à la même famille d’événements, il en constitue, pourtant, un cas spécial. Entre les grands mouvements collectifs de l’histoire et le fait de tomber amoureux, il y a cependant une parenté très proche : la nature des forces qui se libèrent et qui agissent sont du même type ; de nombreuses expériences, la solidarité, la joie de vivre, le renouveau, sont analogues. Mais il existe une différence fondamentale entre eux : les grands mouvements collectifs impliquent un très grand nombre de personnes et restent ouverts à d’autres individus. Tomber amoureux, au contraire, tout en étant un mouvement collectif, ne concerne que deux personnes seulement ; quelle qu’en soit la valeur universelle qui puisse s’en dégager, son horizon d’appartenance est strictement lié au fait d’être complet, achevé, avec deux personnes et deux seulement. C’est sa spécificité, sa singularité, ce qui lui confère certains caractères uniques.
De nombreux sociologues ont analysé les mouvements collectifs, ils nous ont décrit les expériences qui s’y produisent. Durkheim, par exemple, traitant des états d’effervescence collective, dit :
« L’homme qui les éprouve a l’impression qu’il est dominé par des forces qu’il ne reconnaît pas comme siennes, qui le mènent, dont il n’est pas maître (…) il se sent comme transporté dans un monde différent de celui où s’écoule son existence privée. La vie n’y est pas seulement intense, elle est qualitativement différente (…) L’individu se désintéresse de lui-même, s’oublie, se donne tout entier aux fins communes (…) (Ces forces) éprouvent le besoin de se répandre pour se répandre, par jeu, sans but (…) A ces moments, il est vrai, cette vie plus haute est vécue avec une telle intensité et d’une manière tellement exclusive qu’elle tient presque toute la place dans les consciences, qu’elle en chasse plus ou moins complètement les préoccupations égoïstes et vulgaires. »
Quand Durkheim écrivait ces lignes, il ne pensait pas du tout à l’amour naissant mais songeait à la Révolution française et à d’autres événements révolutionnaires de vaste portée. En effet, les émotions qu’il décrit sont très courantes. Elles se retrouvent au sein de ces grands processus historiques tels que la Révolution française, le développement du christianisme ou celui de l’islam, mais également dans d’autres mouvements de moindre importance.
Tous les mouvements collectifs dans leur phase initiale, celles que nous définirons comme l’état naissant, possèdent ces mêmes caractéristiques. Il est curieux que l’analyse de Durkheim puisse s’appliquer également à la passion amoureuse. Max Weber nous donne un deuxième exemple dans son étude des phénomènes au cours desquels la créativité, l’enthousiasme et la foi se manifestent pleinement. Mais il les considère comme un aspect du pouvoir, c'est-à-dire comme quelque chose qui dépend d’un chef charismatique. Ce chef charismatique se signale par sa rupture avec la tradition; il entraîne ses disciples dans une aventure héroïque et suscite chez ceux qui le suivent l’expérience d’un renouveau intérieur, d’une "métanoïa" au sens où l’entend Saint Paul. Sous l’impulsion d’un chef charismatique, les soucis économiques cèdent place à un libre épanouissement de la foi et de l’idéal, à une vie d’enthousiasme et de passion. Toutes ces réactions, Weber les attribue au chef, à ses qualités de chef. En réalité, il commet l’erreur que fait chacun de nous lorsqu’il tombe amoureux : celle d’imputer l’expérience extraordinaire qu’il est en train de vivre aux qualités de l’être aimé. L’être aimé, en revanche, n’est pas différent des autres. C’est la nature des relations entre nous et celui que nous aimons, la nature de l’expérience extraordinaire que nous vivons, qui rendent différente et extraordinaire la personne aimée et, plus profondément, qui nous rendent tous deux différents et extraordinaires.»
Le livre se lit d’une traite et les derniers chapitres ouvrent un angle de lecture inattendu sur ce phénomène qui a inspiré tant d’auteurs occidentaux depuis l’aube de la civilisation.
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