La Mort tenait fermement le bras de Charles Brennus. Ils longeaient tous deux la Seine en échangeant des propos, comme l’aurait fait un couple d’amoureux. Les passants n’étaient pas nombreux au cœur de cette froide nuit d’hiver. Marie Jossult émaillait ses propos d’extraits de littérature à cent sous la brouette. Charles Brennus demanda à sa nouvelle conquête :
" Alors, vous allez m’aider à passer le Styx en bateau mouche ? Passer ma dernière nuit en compagnie d’un dogme, ce n’est pas banal !
- Il existe bien d’autres véhicules pour effectuer le voyage. Qui vous dit que votre dernière heure est arrivée ?
- Vous me voyez ravi du délai qui vient de m’être accordé. J’interprète vos propos. Quoi qu’il en soit, ce voyage au bout de la nuit finira bien en apothéose, non ?
- Beau stoïcisme! C’est très inhabituel quand j’annonce la couleur au client !
- Mieux vaut savoir déguster les derniers passages. Un peu facile tout de même de narguer la victime quand on a systématiquement l’increvable en main dans vos parties de mille bornes trafiquées?
- Oui, vous avez raison, les cartes biseautées après les dés pipés, c'est moche...
- Un coup fourré qui manque de panache !
- Je ne fais que mon job, Charles. Je me tue à vous le répéter. Je suis à la lettre les consignes du polit bourreau…
- Mort de rire ! Vous dégazez un peu en balançant quelques vannes de pince sans rire. L’expression «chiant comme la mort », est inexacte ! Vous me direz, on dit aussi «se faire chier comme un rat mort ». J’en suis pas loin...
- Encore une fois, patience, Charles, je vais monter en puissance. Je vous conduis dans un lieu où j’ai coutume d’officier. Dans vos pays modernes, la mort est dissimulée aux yeux de la plupart. Derrière les murs épais d’établissements spécialisés. Trop inesthétique pour votre nouvelle société du risque zéro et du bling-bling. La vie est pourtant une histoire qui finit toujours mal.
- La mort n'est pas vendeuse. Nous avons inventé les supermarchés pour l’oublier. Les yeux aux nues, nous poussons nos caddys dans les allées fleuries de produits multicolores, emballés avec art par les dieux du marketing. Consommer c’est oublier la mort.
- Moi, je vous emmène dans une grande surface qui n’a pas ce mérite.
Sur l’île de la Cité, Notre Dame de Paris offrait ses illuminations. Charles s’accouda en compagnie de Marie Jossult à un parapet pour se livrer à des commentaires touristiques:
- Les supermarchés du Moyen-âge avaient tout de même plus de gueule que ceux de maintenant? Les religions monothéistes ont considérablement appauvri la métaphysique européenne. En théorie, l’orientation d'une église chrétienne s'appuie sur l'axe astronomique Est-Ouest. L'Est rappelle le soleil levant, l'image du Christ ressuscité, la direction de la Vie nouvelle. Par opposition, l'Ouest symbolise la Mort, le Mal, le Péché. Cette orientation est parfaitement respectée dans les baptistères anciens. En fait, ce sont avant tout les conditions de construction qui ont déterminé l’orientation des églises chrétiennes. Ainsi, à Reims, les Évêques de l'époque ont utilisé les bâtiments gallo-romains préexistants. Cette cathédrale à une orientation préchrétienne qui n'épouse pas scrupuleusement l'axe officiel. Il existe même des églises "occidentées". Pour des raisons qui nous échappent, leur chœur pointe vers l’Est. C'était ma minute culture. A vous l’Italie, à moi la France!
- Et vous me placeriez sans hésiter au milieu des gargouilles?
- Ce n'est pas la place d'une employée qui fait son job! Ce n'est guère qu’au commencement du XIIIe siècle qu'on plaça des chéneaux et, par la suite, des gargouilles à la chute des combles pour évacuer l’eau des toits. Le Mal représentant le «pire ennemi» dans la religion chrétienne, il fallait trouver un moyen de l’éloigner des maisons de Dieu. La légende raconte que les gargouilles hurlaient à l'approche du Mal visible ou invisible. Mais mon discours s’éternise. Vous semblez vous impatienter ?
- Oui, mon sablier m’indique qu’il est temps de revêtir ma cape et de me munir de ma faux. Nous partons pour la Pitié-Salpêtrière. Fragile mortel, vous ne disposez pas de l’éternité. Cette annonce a de quoi vous glacer les sangs?
Même à cette heure au cœur de cette nuit d’hiver, ce bâtiment du secteur demeurait une véritable ruche. On y entrait comme dans un moulin. Marie Jossult s’y déplaçait en experte. Elle semblait en connaître les moindres recoins. Elle possédait même le code d’accès à l’internat. Le local était désert. Les équipes de garde étaient occupées ailleurs. Dans le vestiaire des médecins, elle demanda à Charles de passer une blouse badgée, et de pendre à son cou un stéthoscope abandonné sur une étagère. Comme dans les feuilletons américains. Pour faire Docteur. Ils montèrent ensuite rapidement au deuxième étage. On s’imagine toujours qu’il faut montrer patte blanche pour pénétrer dans un service. La surveillante d’étage ne leva même pas la tête lorsqu’ils passèrent devant son bureau vitré. Ils entrèrent tous les deux sans encombre dans la chambre 208. Un homme agonisait sur un lit, bardé de tuyauteries et entouré d’instruments médicaux de surveillance.
- Je veux que vous teniez mon rôle cette nuit, lui glissa-t-elle à l’oreille. J'assiste uniquement ceux qui sont seuls au moment du départ. Je les aide à livrer leur dernier combat. Enlevez votre blouse pour officier. Si une infirmière entre, elle vous prendra pour un proche venu au chevet du mourant.
Charles obtempéra. Il quitta de surcroît son air narquois. Voilà le type d’épreuve à laquelle il n'était pas préparé. Il sentait bien qu'il n'avait droit à aucune échappatoire. Cette étape appartenait au contrat final. En plus, dans cette partie de bras de fer engagée depuis quelques heures, il n’était pas question qu'il laisse entrevoir à son adversaire la moindre faiblesse.
- Parlez-lui avant qu'il ne puisse plus vous entendre. Je vous attendrai dans le couloir. L'équipe médicale sait qu'il n'y a plus rien à faire pour lui. Vous serez tranquille.
Avant de sortir, la Mort augmenta le débit de la pompe à morphine. L’homme souffrait trop pour prêter attention aux propos de ses visiteurs. Dans les minutes qui suivirent, Charles constata un relâchement des traits du malade. Il en profita alors pour glisser quelques mots à cet homme dont l’âge n’était plus définissable, tant la maladie avait œuvré. Chacune de ses inspirations donnait l’impression qu’il allait épuiser son stock de mince énergie résiduelle. Il parvint cependant encore à émettre quelques mots: «Merci d’être venu me voir, Christophe. Je ne suis pas beau à voir.»
L'homme le prenait probablement pour son fils. Cet effort colossal d’élocution creusait encore plus son visage émacié et donnait à ses téguments l’allure d’un masque flasque et disproportionné. Que pouvait-il bien lui dire pour le réconforter, alors que la fin était proche. Comment l'aider à passer dignement le seuil ? Cela allait-il durer des heures? Ce flot de questions assaillait Charles Brennus.
Mais, cette nuit, la mort allait être charitable. A peine audible, l’homme parvint à lui poser une question. La tête en arrière, il fixait un lointain indéfini. Charles se pencha vers le mourant pour lui glisser sa réponse à l'oreille. Le visage de l'homme se décrispa légèrement, au point d’ébaucher un vague sourire. Dans la minute qui allait suivre, mais qui parût à Charles une éternité, son père de substitution abandonna la lutte et rendit son dernier souffle. Charles lui tenait la main, pâle comme un linge. La Mort entra dans la chambre. Il la regarda avec hargne.
- Boulot de merde, votre job! Vous pouvez le garder! Était-ce bien nécessaire de m’infliger cette épreuve alors que mon tour va arriver sous peu?
- Aimeriez-vous mourir seul comme un chien? La mort, les humains en font tout un pataquès. En fait, ils ne la toisent que l’espace d’un instant pour s'apercevoir qu'elle n'est que miséricorde. Filons, j’entends l’équipe de garde qui arrive ! On risque de nous accuser de meurtre !
Rue de l’Arbre Mort, face à l’Église Saint-Germain l’Auxerrois, Charles est encore sous le coup de ces événements dramatiques. Il traverse brusquement la rue comme un automate. Une moto la remonte à contre-sens à vive allure. Le choc est d’une extrême violence. Charles se trouve projeté à plusieurs mètres sur le trottoir opposé. Le motard, un instant déséquilibré, rétablit sa course et continue son chemin, sans daigner s’arrêter. La Mort court vers Charles. Ce n’était pas le final que lui avait fourni le bureau des trépas. Charles ne bougeait plus. De manière étrange, elle ne voyait aucune marque de blessure sur ses membres ou son visage. Étonnant après un choc pareil.
- Il est mort sur le coup! Même pour sa fin de parcours, il aura fallu qu’il se presse!
Éberluée par cette fin rocambolesque, non-conforme aux prévisions, la Mort vérifia à nouveau. Il était mort. Bel et bien. Marie Josssult poussa alors un hurlement.
- Tu as déjà vu un mort parler!
Charles venait de se relever d’un bond avant de prononcer cette phrase. Il épousseta son pantalon et sa veste.
- Ça va gueuler au polit bourreau! Une affaire pareille va remonter jusqu’à la direction. Mais vous êtes morte de peur?
- Qui êtes-vous donc à la fin ? demanda la Mort au comble de la stupéfaction et de l’effroi.
- Mon vrai nom? Jesus Levia. Je peux faire aussi dans l'anagramme douteuse comme une grandiloquente tragédienne que je viens de rencontrer. La connotation religieuse de ce pseudo ne me plait pas des masses…. Et si, en fait, j’étais réellement Brennos? Brennos à la tête de ses troupes. Tapi dans une forêt obscure de résineux du massif vosgien. Brennos, puant la cervoise et la peau de bête? Prêt avec mon armée pour une embuscade. L’odeur âcre de la peur mélangée à celle de la sueur complète la palette des exhalaisons. Certains des hommes pensent à leur famille. D’autres au combat à venir. Beaucoup n’en sortiront pas vivants. On les attend, tous ces braves morts au combat. Au grand festin où ils pourront boire tout leur saoul et faire ripaille en compagnie des dieux et des ancêtres. La terre va bientôt se couvrir de sang et l’air s’emplir des clameurs des assaillants. Tumulte de la cohue, ferraillement des armes, chocs des corps. C’est une belle nuit pour mourir. La Grande Faucheuse viendra se poser sur le charnier, mais Brennos aura déjà quitté le champ de bataille. Brennos est un immortel. Ma tirade a du souffle, non?
La Mort était bonne perdante. Les deux partenaires allaient pouvoir deviser jusqu’au petit matin, échanger quelques tuyaux.
- Ma chère Marie, je voudrais vous poser la question qui me turlupine depuis des millénaires : «Est-ce qu’on vous a déjà… euh… ? »
- Baisée?... Cette nuit, c’est fait.
Charles passa alors la main aux fesses de la Mort qui se laissa faire, sans opposer un geste de recul. La rénitence de ses deux hémisphères l’amena à commenter :
- Par Toutatis, je pense que nous allons devenir les meilleurs amis du monde !
Bien entendu, cette partie d’échec ne pouvait se terminer que par nul ou pat. Le roi ne meurt pas aux échecs.
- A moi de vous poser une question, Charles: « Quelle était celle que l’homme vous a posée avant de mourir? ».
- « Tu crois qu’il y a quelque chose de l’autre coté ? ».
- Et vous avez répondu ?
- Oui, la chambre 209.
- Et vous pensez vraiment que c’était la réponse qu’il avait envie d’entendre!
- Je ne sais pas, mais j’ai cru le voir sourire.
Pierre TOSI - Janvier 2010
" Alors, vous allez m’aider à passer le Styx en bateau mouche ? Passer ma dernière nuit en compagnie d’un dogme, ce n’est pas banal !
- Il existe bien d’autres véhicules pour effectuer le voyage. Qui vous dit que votre dernière heure est arrivée ?
- Vous me voyez ravi du délai qui vient de m’être accordé. J’interprète vos propos. Quoi qu’il en soit, ce voyage au bout de la nuit finira bien en apothéose, non ?
- Beau stoïcisme! C’est très inhabituel quand j’annonce la couleur au client !
- Mieux vaut savoir déguster les derniers passages. Un peu facile tout de même de narguer la victime quand on a systématiquement l’increvable en main dans vos parties de mille bornes trafiquées?
- Oui, vous avez raison, les cartes biseautées après les dés pipés, c'est moche...
- Un coup fourré qui manque de panache !
- Je ne fais que mon job, Charles. Je me tue à vous le répéter. Je suis à la lettre les consignes du polit bourreau…
- Mort de rire ! Vous dégazez un peu en balançant quelques vannes de pince sans rire. L’expression «chiant comme la mort », est inexacte ! Vous me direz, on dit aussi «se faire chier comme un rat mort ». J’en suis pas loin...
- Encore une fois, patience, Charles, je vais monter en puissance. Je vous conduis dans un lieu où j’ai coutume d’officier. Dans vos pays modernes, la mort est dissimulée aux yeux de la plupart. Derrière les murs épais d’établissements spécialisés. Trop inesthétique pour votre nouvelle société du risque zéro et du bling-bling. La vie est pourtant une histoire qui finit toujours mal.
- La mort n'est pas vendeuse. Nous avons inventé les supermarchés pour l’oublier. Les yeux aux nues, nous poussons nos caddys dans les allées fleuries de produits multicolores, emballés avec art par les dieux du marketing. Consommer c’est oublier la mort.
- Moi, je vous emmène dans une grande surface qui n’a pas ce mérite.
Sur l’île de la Cité, Notre Dame de Paris offrait ses illuminations. Charles s’accouda en compagnie de Marie Jossult à un parapet pour se livrer à des commentaires touristiques:
- Les supermarchés du Moyen-âge avaient tout de même plus de gueule que ceux de maintenant? Les religions monothéistes ont considérablement appauvri la métaphysique européenne. En théorie, l’orientation d'une église chrétienne s'appuie sur l'axe astronomique Est-Ouest. L'Est rappelle le soleil levant, l'image du Christ ressuscité, la direction de la Vie nouvelle. Par opposition, l'Ouest symbolise la Mort, le Mal, le Péché. Cette orientation est parfaitement respectée dans les baptistères anciens. En fait, ce sont avant tout les conditions de construction qui ont déterminé l’orientation des églises chrétiennes. Ainsi, à Reims, les Évêques de l'époque ont utilisé les bâtiments gallo-romains préexistants. Cette cathédrale à une orientation préchrétienne qui n'épouse pas scrupuleusement l'axe officiel. Il existe même des églises "occidentées". Pour des raisons qui nous échappent, leur chœur pointe vers l’Est. C'était ma minute culture. A vous l’Italie, à moi la France!
- Et vous me placeriez sans hésiter au milieu des gargouilles?
- Ce n'est pas la place d'une employée qui fait son job! Ce n'est guère qu’au commencement du XIIIe siècle qu'on plaça des chéneaux et, par la suite, des gargouilles à la chute des combles pour évacuer l’eau des toits. Le Mal représentant le «pire ennemi» dans la religion chrétienne, il fallait trouver un moyen de l’éloigner des maisons de Dieu. La légende raconte que les gargouilles hurlaient à l'approche du Mal visible ou invisible. Mais mon discours s’éternise. Vous semblez vous impatienter ?
- Oui, mon sablier m’indique qu’il est temps de revêtir ma cape et de me munir de ma faux. Nous partons pour la Pitié-Salpêtrière. Fragile mortel, vous ne disposez pas de l’éternité. Cette annonce a de quoi vous glacer les sangs?
Même à cette heure au cœur de cette nuit d’hiver, ce bâtiment du secteur demeurait une véritable ruche. On y entrait comme dans un moulin. Marie Jossult s’y déplaçait en experte. Elle semblait en connaître les moindres recoins. Elle possédait même le code d’accès à l’internat. Le local était désert. Les équipes de garde étaient occupées ailleurs. Dans le vestiaire des médecins, elle demanda à Charles de passer une blouse badgée, et de pendre à son cou un stéthoscope abandonné sur une étagère. Comme dans les feuilletons américains. Pour faire Docteur. Ils montèrent ensuite rapidement au deuxième étage. On s’imagine toujours qu’il faut montrer patte blanche pour pénétrer dans un service. La surveillante d’étage ne leva même pas la tête lorsqu’ils passèrent devant son bureau vitré. Ils entrèrent tous les deux sans encombre dans la chambre 208. Un homme agonisait sur un lit, bardé de tuyauteries et entouré d’instruments médicaux de surveillance.
- Je veux que vous teniez mon rôle cette nuit, lui glissa-t-elle à l’oreille. J'assiste uniquement ceux qui sont seuls au moment du départ. Je les aide à livrer leur dernier combat. Enlevez votre blouse pour officier. Si une infirmière entre, elle vous prendra pour un proche venu au chevet du mourant.
Charles obtempéra. Il quitta de surcroît son air narquois. Voilà le type d’épreuve à laquelle il n'était pas préparé. Il sentait bien qu'il n'avait droit à aucune échappatoire. Cette étape appartenait au contrat final. En plus, dans cette partie de bras de fer engagée depuis quelques heures, il n’était pas question qu'il laisse entrevoir à son adversaire la moindre faiblesse.
- Parlez-lui avant qu'il ne puisse plus vous entendre. Je vous attendrai dans le couloir. L'équipe médicale sait qu'il n'y a plus rien à faire pour lui. Vous serez tranquille.
Avant de sortir, la Mort augmenta le débit de la pompe à morphine. L’homme souffrait trop pour prêter attention aux propos de ses visiteurs. Dans les minutes qui suivirent, Charles constata un relâchement des traits du malade. Il en profita alors pour glisser quelques mots à cet homme dont l’âge n’était plus définissable, tant la maladie avait œuvré. Chacune de ses inspirations donnait l’impression qu’il allait épuiser son stock de mince énergie résiduelle. Il parvint cependant encore à émettre quelques mots: «Merci d’être venu me voir, Christophe. Je ne suis pas beau à voir.»
L'homme le prenait probablement pour son fils. Cet effort colossal d’élocution creusait encore plus son visage émacié et donnait à ses téguments l’allure d’un masque flasque et disproportionné. Que pouvait-il bien lui dire pour le réconforter, alors que la fin était proche. Comment l'aider à passer dignement le seuil ? Cela allait-il durer des heures? Ce flot de questions assaillait Charles Brennus.
Mais, cette nuit, la mort allait être charitable. A peine audible, l’homme parvint à lui poser une question. La tête en arrière, il fixait un lointain indéfini. Charles se pencha vers le mourant pour lui glisser sa réponse à l'oreille. Le visage de l'homme se décrispa légèrement, au point d’ébaucher un vague sourire. Dans la minute qui allait suivre, mais qui parût à Charles une éternité, son père de substitution abandonna la lutte et rendit son dernier souffle. Charles lui tenait la main, pâle comme un linge. La Mort entra dans la chambre. Il la regarda avec hargne.
- Boulot de merde, votre job! Vous pouvez le garder! Était-ce bien nécessaire de m’infliger cette épreuve alors que mon tour va arriver sous peu?
- Aimeriez-vous mourir seul comme un chien? La mort, les humains en font tout un pataquès. En fait, ils ne la toisent que l’espace d’un instant pour s'apercevoir qu'elle n'est que miséricorde. Filons, j’entends l’équipe de garde qui arrive ! On risque de nous accuser de meurtre !
Rue de l’Arbre Mort, face à l’Église Saint-Germain l’Auxerrois, Charles est encore sous le coup de ces événements dramatiques. Il traverse brusquement la rue comme un automate. Une moto la remonte à contre-sens à vive allure. Le choc est d’une extrême violence. Charles se trouve projeté à plusieurs mètres sur le trottoir opposé. Le motard, un instant déséquilibré, rétablit sa course et continue son chemin, sans daigner s’arrêter. La Mort court vers Charles. Ce n’était pas le final que lui avait fourni le bureau des trépas. Charles ne bougeait plus. De manière étrange, elle ne voyait aucune marque de blessure sur ses membres ou son visage. Étonnant après un choc pareil.
- Il est mort sur le coup! Même pour sa fin de parcours, il aura fallu qu’il se presse!
Éberluée par cette fin rocambolesque, non-conforme aux prévisions, la Mort vérifia à nouveau. Il était mort. Bel et bien. Marie Josssult poussa alors un hurlement.
- Tu as déjà vu un mort parler!
Charles venait de se relever d’un bond avant de prononcer cette phrase. Il épousseta son pantalon et sa veste.
- Ça va gueuler au polit bourreau! Une affaire pareille va remonter jusqu’à la direction. Mais vous êtes morte de peur?
- Qui êtes-vous donc à la fin ? demanda la Mort au comble de la stupéfaction et de l’effroi.
- Mon vrai nom? Jesus Levia. Je peux faire aussi dans l'anagramme douteuse comme une grandiloquente tragédienne que je viens de rencontrer. La connotation religieuse de ce pseudo ne me plait pas des masses…. Et si, en fait, j’étais réellement Brennos? Brennos à la tête de ses troupes. Tapi dans une forêt obscure de résineux du massif vosgien. Brennos, puant la cervoise et la peau de bête? Prêt avec mon armée pour une embuscade. L’odeur âcre de la peur mélangée à celle de la sueur complète la palette des exhalaisons. Certains des hommes pensent à leur famille. D’autres au combat à venir. Beaucoup n’en sortiront pas vivants. On les attend, tous ces braves morts au combat. Au grand festin où ils pourront boire tout leur saoul et faire ripaille en compagnie des dieux et des ancêtres. La terre va bientôt se couvrir de sang et l’air s’emplir des clameurs des assaillants. Tumulte de la cohue, ferraillement des armes, chocs des corps. C’est une belle nuit pour mourir. La Grande Faucheuse viendra se poser sur le charnier, mais Brennos aura déjà quitté le champ de bataille. Brennos est un immortel. Ma tirade a du souffle, non?
La Mort était bonne perdante. Les deux partenaires allaient pouvoir deviser jusqu’au petit matin, échanger quelques tuyaux.
- Ma chère Marie, je voudrais vous poser la question qui me turlupine depuis des millénaires : «Est-ce qu’on vous a déjà… euh… ? »
- Baisée?... Cette nuit, c’est fait.
Charles passa alors la main aux fesses de la Mort qui se laissa faire, sans opposer un geste de recul. La rénitence de ses deux hémisphères l’amena à commenter :
- Par Toutatis, je pense que nous allons devenir les meilleurs amis du monde !
Bien entendu, cette partie d’échec ne pouvait se terminer que par nul ou pat. Le roi ne meurt pas aux échecs.
- A moi de vous poser une question, Charles: « Quelle était celle que l’homme vous a posée avant de mourir? ».
- « Tu crois qu’il y a quelque chose de l’autre coté ? ».
- Et vous avez répondu ?
- Oui, la chambre 209.
- Et vous pensez vraiment que c’était la réponse qu’il avait envie d’entendre!
- Je ne sais pas, mais j’ai cru le voir sourire.
Pierre TOSI - Janvier 2010
Ils arrivent quand les messieurs en blouse blanche ?
RépondreSupprimerINQUIET> et moi qui croyait avoir écrit une nouvelle comparable à l'œuvre majeure de la littérature mondiale qu'est "Da Vinci Code" ! Deux personnages en blouse blanche ne suffisent plus à mes lecteurs?
RépondreSupprimerLa grande histoire de la littérature tranchera, Mônsieur. J'en ai bien peur!
J'aurais du mettre une mosquée à la place d'une cathédrale, le sujet est plus porteur en ce moment.
ça valait le coup d'attendre 6 mois pour avoir la suite ! mais faudra-t-il attendre encore autant pour suivre de nouvelles aventures ?
RépondreSupprimertu nous mets l'eau à la bouche...
Noëlle> tu remontes le pourcentage "avis favorables". Mon cœur de midinette me donnait des scrupules à faire disparaître à jamais Charles Brennus, un personnage que je ne trouvais pas si antipathique que cela malgré son coté golden boy. Il existe des blaireaux iron boys qui pourraient passer à la trappe avec plus d'allégresse dans une histoire.Le hic dans cette affaire c'est que je l'ai rendu indestructible et que ça peut me forcer à écrire un autre délire du genre!
RépondreSupprimerben oui ! finir échec et mat d'accord mais sur un pat ...
RépondreSupprimer