La ville au mois d’août, désertée par les vacanciers, devrait nous permettre d’échapper au tohu-bohu.
Une bonne partie de sa population est partie, stoïque, se jeter dans les embouteillages des routes du Sud pour gagner ses plages surpeuplées défendre sans grand espoir un lopin de sable contre les raids dévastateurs de hordes de bambins ou d’adolescents turbulents à l’éducation exquise*, au milieu des tirs croisés de ballons de plage. Douce illusion que d’imaginer que pour autant sa cité baigne dans un calme propice aux ballades agréables. On parcoure en fait une ville éventrée, jonchée de décombres proches de ceux des champs de bataille de la première guerre mondiale. Tranchées en tous sens, labyrinthe gorgé de déviations dues aux travaux de voirie vous amenant à passer par l'Antartique pour rejoindre son centre ou rentrer à son domicile. Slalom périlleux au son d’un orchestre interprétant en marteau-piqueur majeur un adagio sur bitume en fusion pour meuleuses, pelleteuses et autres engins de chantier ototoxiques.
L’alternative qui consisterait à rester dans son nid douillet s’avère tout aussi calamiteuse. Les gens qui ne partent pas en vacances, s’ennuient. Alors, pour s’occuper sainement, ils aménagent bruyamment leur fief. Autre concert: meuleuses de plus petit gabarit mais tout aussi stridentes, perceuses au potentiel sonore redoutable et redouté, scies sauteuses stridulantes, tondeuses à gazon rageuses et bien entendu (c’est clair !) moteurs tonitruants des camions de transport livrant les matériaux. En bonus: la fanfare des klaxons des véhicules bloqués dans votre rue servant de déviation aux travaux urbains évoqués plus-haut. A croire qu’en été, les édiles des grandes villes, avec une bienveillance et un discernement louables, versent «larga manu» aux entrepreneurs la plus grande part des impôts soutirés à leurs contribuables pour aménager la voirie, lieu d’hébergement principal des sans-abris. Enfin, le soir venu, fenêtres ouvertes pour recueillir un peu de fraîcheur, on profite à merveille des éclats de voix des disputes conjugales du quartier, du vacarme des réunions de famille et des fêtes étudiantes arrosées se prolongeant jusqu’à l’aurore. La jeunesse* désœuvrée parcoure la cité au guidon d’engins aux pots d’échappements sans chicanes en toute impunité, histoire de se faire remarquer un peu et de faire râler les vieux, ou mieux, quand éventuellement le permis est en poche, au volant de voitures équipées d’autoradio de 2000 watts, musique à toc, fenêtres baissées pour en faire profiter dans le sillage la population rescapée.
Rien de bien neuf me direz-vous. Les nuisances sonores sont en tête des doléances publiques? C’est vrai. Alors... fuir la ville? Je me souviens d’un texte d’un auteur allemand du milieu du XXème siècle (les maux de tête provoqués par le vacarme urbain m’empêchent de retrouver le nom de l’auteur) qui célébrait les bienfaits de la vie à la campagne loin des bruits de la ville: motos et mobylettes qui traversent de nuit à toute allure la rue principale, passages matutinaux de meutes de tracteurs sous ses fenêtres, vacarme joyeux des moissonneuses-batteuses dans les champs durant les après-midi languissants d’été, engins forestiers en rut agrémentant de leurs brames ses promenades sylvestres. Il évoquait aussi la joie de se sentir accompagné d’essaims vrombissants de joyeux insectes piqueurs jusque dans son refuge. Les réveils nocturnes suaves liés aux aboiements incessants des chiens du voisinage ou les sonneries puissantes régulières du clocher du village. Quel bonheur, le jour à peine levé, d’entendre, ravagé par une nuit blanche, les clairons de la basse-cour! Une fois de plus, on le constate, j’ajoute ma variation : l’enfer, c’est bien le bruit des autres.
* Digression sur la jeunesse comme on dit: « Vous avez quelque chose contre les jeunes, Monsieur? »
Question reproche qu'on adressait au bon mais défunt Pierre Desproges dans ses «Chroniques de la haine ordinaire». Non, non, Monsieur! Notre belle progéniture est un bien trop précieux pour qu’on imagine une seconde que je souhaiterais qu’il faille la traumatiser avec des interdits qu’on appelait dans les temps obscurs, courtoisie, respect des autres ou simple politesse. On comprend parfaitement l’enracinement robuste du "jeunisme" contemporain chaque fois qu’on roule derrière un véhicule placardant glorieusement sur sa lunette arrière: « Bébé à bord ». Couple radieux à l’avant affichant avec bonheur son obédience au mouvement. Le fait d’avoir inventé la procréation les convainc de défendre bec et ongle les agressions sympathiques du miracle de la vie braillard qu’ils convoient. Dans l’habitacle, aux cotés de ces concepteurs méritants et de leur enfant roi (adolescent roi en devenir), la mansuétude sans limite à son égard que prône le parti. Gare à ceux qui bafouent les privilèges attachés à leur nouveau statut. Ainsi, celui qui ne marque pas l’arrêt à un passage piéton pour laisser traverser mère et poussette, prêts à s’engager sur la chaussée dans les dix minutes qui vont suivre, passe aux yeux de tous pour un monstre. Lynchage potentiel de l’assassin en puissance par une foule bavant la haine. Le desperado était sur le point de commettre, devant les yeux horrifiés de la foule, l’acte abject signant le mépris du fruit des entrailles d’une génitrice admirable. Risquer d’écraser une veille, c’est beaucoup, beaucoup moins grave! Loin de moi l’idée de faire l’apologie de la conduite criminelle. Je constate simplement que l’imprégnation progestéronique des parturientes exhale des phéromones communiquant ses effets à l’entourage, féminin aussi bien que masculin. Aimer la jeunesse, oui. La sienne en particulier… L’idolâtrer, on n’est pas obligé tout de même.
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