samedi 15 juin 2013

Les invasions barbares


Un de mes anciens copains développait volontiers une théorie concernant la profession des gens. Il pensait qu'on l’avait choisie comme un pis-aller, ou un vague compromis entre nos folles aspirations et nos capacités réelles. Pour ce qui concerne l’exercice de critique de cinéma, je pense qu’il a raison en grande partie. Ces types critiquent ce qu’ils seraient incapables de produire, faute de talent ou d’un quelconque potentiel à élaborer un projet qui demande, de surcroît, une force de caractère peu commune et bien des compétences. Je m’amuse souvent à relire les critiques de films anciens qui finissent, le temps passant, par faire l’unanimité alors que les avis s’éparpillaient au moment de leur sortie entre chef d’œuvre et navet.

C’est le cas du film « Les invasions barbares » du réalisateur québécois Denys Arcand, sorti en 2003, et qui n’a pas manqué d’être particulièrement récompensé, malgré quelques critiques incendiaires initiales.

Festival de Cannes 2003 :
Prix du scénario à Denys Arcand
Prix d'interprétation féminine à Marie-Josée Croze

Prix Jutra du meilleur film 2004 à Denys Arcand

César du cinéma 2004 :
César du meilleur film à Denys Arcand
César du meilleur réalisateur à Denys Arcand
César du meilleur scénario original ou adaptation à Denys Arcand

Oscar du meilleur film en langue étrangère 2004 à Denys Arcand

SYNOPSIS

Montréal 2002. Début cinquantaine et divorcé, Rémy est à l’hôpital. Son ex-femme Louise rappelle d’urgence leur fils Sébastien, qui fait une brillante carrière à Londres. Sébastien hésite — son père et lui n’ont plus rien à se dire depuis longtemps — puis finit par accepter de venir avec sa fiancée française donner un coup de main à sa mère.
Dès son arrivée, Sébastien remue ciel et terre pour obtenir un diagnostic clair sur l’état de santé de son père et pour adoucir les épreuves qui l'attendent. Il usera de son imagination, jouera de ses relations, bousculera le système de toutes les manières possibles et aura recours aux pots-de-vin, entre autres tactiques illégales, pour procurer à son père de meilleures conditions… et un peu de bonheur.
Entre-temps, parents, amis et ex-amantes affluent au chevet de Rémy pour lui offrir leur soutien ou régler leurs comptes… et réfléchir à leur propre existence. Au nombre des visiteurs, on retrouve plusieurs membres de la joyeuse bande qui a marqué le passé de Rémy. Que sont-ils devenus ? Divorcée de Rémy depuis une quinzaine d’années, Louise est-elle parvenue à l’oublier et à refaire sa vie ? Pierre, dont le peu d’amour-propre lui interdisait de se reproduire, s’est-il enfin rangé ? Jusqu’où les pulsions charnelles de Diane l’ont-elles menée ? Contre qui se love désormais Dominique, qui n’avait aucun scrupule à réchauffer son lit avec les maris de ses amies ? Et Claude, l’homosexuel, est-il toujours soumis à son irrépressible instinct de chasseur ?
Quel que soit le chemin qu’ils ont suivi, ces intellectuels n’ont pas perdu leur goût pour la conversation habile et délicieusement irrévérencieuse.
Quant à Rémy, l’heure du bilan a sonné. Au cours de discussions — notamment avec sa nouvelle amie droguée avec qui il entretient une relation de symbiose et avec une religieuse attachante et pleine d’esprit —, Rémy porte un regard sincère sur ses excès et ses lacunes. Mais cette introspection sera-t-elle suffisante pour provoquer la réconciliation de Rémy avec son fils, qui représente tout ce qu’il méprisait chez son propre père ?

Un avis retenu sur la toile :

Ce n’est donc pas un hasard si le seul personnage dénué d’espoir s’avère être celui que Denys Arcand semble choisir en définitive comme bouée de sauvetage : Nathalie, jeune femme paumée et droguée à laquelle Marie-Josée Croze (Prix d’interprétation à Cannes) confère une humanité et une solidité à toute épreuve. Le dernier rempart contre la disparition totale des utopies, c’est elle. Parce que sa lucidité et son allure d’écorchée vive en font paradoxalement la seule personne capable de ne pas chuter aussi bas, de braver les aléas de la vie jusqu’à renouer avec celle-ci. Et en prenant le risque de partager sa dose d’héroïne avec Rémy, elle tend surtout à installer un dialogue intergénérationnel où se dessine, le temps d’un regard ou d’un phrase, une étincelle de vie qui se réveille en eux : pour l’un, la peur de partir en ne laissant rien derrière lui, et pour l’autre, la crainte de disparaître trop vite sans avoir pris le temps d’en profiter. Nulle trace de démagogie dans ce que Denys Arcand illustre par son incroyable science du dialogue et sa maîtrise sidérante des enjeux émotionnels, juste un regard juste, simple, sincère et humain. Pour autant, le cinéaste n’en oublie pas que l’humanisme peut se conjuguer avec la férocité afin de redoubler d’efficacité, et son goût de la provocation n’aura pas manqué de faire bondir quelques-uns : un système social canadien dominé par des bureaucrates bornés, des syndicats qui tirent les ficelles de tout ce qui existe, des hôpitaux surchargés où personne ne veut aller (le plan-séquence d’ouverture en est l’illustration), et des hypocrites bien-pensants à toutes les strates de la société. Le film pourrait sembler réac s’il n’avait pas en lui cet optimisme gonflé où chaque obstacle (un flic, un dealer, une infirmière…) peut se retourner en son exact contraire. Mais pour Arcand, seule la lâcheté et l’égoïsme sont les fléaux du monde moderne. Impossible de laisser tomber un ami, de rester passif devant les obstacles. Les personnages n’hésitent pas à se mettre en danger, à violer les lois et les règles, dès qu’il s’agit de porter assistance à leur ami mourant. Même si leur monde touche à sa fin, la résistance passe par l’amitié, la solidarité et l’entraide. Des notions qui sauront interpeller tous ceux qui ont pu vivre la disparition d’un proche, et qu’Arcand parvient à cristalliser par ses images et ses dialogues sans se livrer à du surlignage démonstratif. Ce qu’il capte, ce n’est que ça : une tranche de vie qui persiste, qui s’accroche fermement à la branche même si celle-ci menace de craquer.

Mon avis critiquable :

Un sujet dur, traité sans pathos abusif. Un film souvent très drôle, provocateur et jouissif, qui parle des sentiments amoureux à l’épreuve des pulsions sexuelles mal contrôlées, des grandes idées à l’épreuve de leurs applications pratiques, de la fin de vie médicalisée de nos sociétés rendant rarement possible un départ digne et serein du malade, des périodes de crétinisme absolu que traversent les civilisations en déshérence de conjonctures de brillants esprits. L’histoire en a connues qui, à intervalles irréguliers ont sortis - ou fait naître - des civilisations de l’âge des ténèbres, ou ont permis de les protéger des invasions barbares. Comme dans son volet précédent, « Le déclin de l’empire américain », le film alterne tranches de vies et séquences à base d’extraits de réflexions ou études historiques universitaires servant les opinions des principaux protagonistes. Ces derniers, il faut en convenir, ont des interrogations qui tournent la plupart du temps autour du secteur pubien. A chacun d’entre nous d’y retrouver quelques unes de nos propres contradictions ou dérives. Si la sexualité vous ennuie ou vous paraît une condamnable survivance d’instincts de nos proches ancêtres phylogénétiques desquels on devrait se départir, quelques tirades peuvent vous amener à vous cabrer ou vous raidir…

Quelques répliques du film :

Rémy : Pas spécialement horrible. Non, non, pas du tout. Contrairement à ce que les gens pensent, le XXe siècle n'a pas été particulièrement sanguinaire. Les guerres ont fait 100 millions de morts. Ça, c'est un chiffre généralement admis. Ajoutez 6 millions pour le goulag russe. Les camps chinois, on saura probablement jamais mais... disons 1 million. Ça nous fait 130-135 millions de morts. C'est pas très impressionnant, si on pense qu'au XVIe siècle, les espagnols et les portugais ont réussi, sans chambres à gaz, ni bombes, à faire disparaître 150 millions d'indiens d'Amérique Latine. C'est du travail, ça, ma sœur ! 150 millions de personne à la hache. On dirait qu'ils avaient l'appui de votre Eglise mais c'est quand même du beau travail. A tel point d'ailleurs qu'en Amérique du Nord, les Hollandais, les Anglais, les Français et éventuellement les Américains se sont sentis inspirés et ils en ont égorgé 50 millions à leur tour. 200 millions de morts au total. Le plus grand massacre de l'humanité, et ça s'est passé ici, là, autour de nous et pas le moindre petit musée d'holocauste. L'histoire de l'humanité, ma sœur, une histoire d'horreur.

Rémy : Non, je ne vais pas aux Etats-Unis. J'ai pas envie de mourir égorgé par des Mahométans enragés. 
Sébastien [à sa mère] : Il est fou.
Rémy : A l'époque, j'ai voté pour la nationalisation des hôpitaux. J'suis capable d'assumer la conséquence de mes actes.

[Sébastien met un ordinateur portable sur les genoux de son père.]
Sébastien : Quand ça sera fini, t'appuies sur "End". "End", ça veut dire qu'on s'arrête. C'est un peu compliqué à comprendre mais avec de la concentration, tu devrais y arriver.

[Devant deux policiers spécialisés dans le domaine de la drogue]
Sébastien : Mon père est hospitalisé ici à Montréal en ce moment. Il est très mal soigné, évidemment. Il commence à souffrir beaucoup. J'ai un ami médecin qui m'a conseillé d'essayer de lui procurer de l'héroïne. C'est un domaine que je connais très peu. J'ai fumé de la mari quand j'étais étudiant comme tout le monde. Ce que j'me suis dit, c'est que la drogue circule dans toutes les villes du monde. Les policiers connaissent les points de vente. J'me suis imaginé peut-être un peu naïvement que vous pouviez me suggérer des zones où trouver de l'héroïne de qualité en quantité suffisante.
Gilles Levac : C'est très intéressant sauf que... le mandat de la police, c'est d'arrêter les trafiquants. Pas de fournir l'information aux consommateurs.
Sébastien : J'aimerais ça que vous me preniez pour quelqu'un d'intelligent qui veut simplement gagner du temps.
Gilles Levac : Moi, j'aimerais ça que vous me preniez pour quelqu'un de pas trop con qui voudrait pas lire dans un magazine la semaine prochaine "la police facilite à notre correspond l'achat de stupéfiants."

Dominique : Elle [La femme de Pierre] a quel âge ?
Claude : C'est pas un problème d'âge. C'est parce que ses seins sont plus gros que son cerveau. 
Louise : Oh arrête !
Claude : Nan, mais c'est vrai. La quantité de sang que ça prend pour simplement irriguer tout ça appauvrit forcément le cerveau. C'est une évidence physiologique.
Pierre [parlant de sa femme] : Je ne veux pas de commentaires. Elle m'a donné 2 filles qui ont radicalement changé ma vie. Et il lui suffit d'un revers négligent de la main pour me faire bander comme une bête, ce qui à nos âges est providentiel, vous en conviendrez.

Rémy : Donc, du début à la fin du film, l'immortelle Inès Orsini est habillée du cou jusqu'aux poignets, jusqu'aux chevilles. Sauf qu'à un moment donné, il a bien fallu suggérer, un tant soit peu, la nature abjecte du désir bestial de l'infâme violeur ! Alors l'exquise Maria s'avance vers la mer et trempe ses pieds adorables, et d'un geste souverain - mais pudique ! - relève ses jupes. Ha! Les cuisses d'Inès Orsini...
Alessandro [en soupirant] : Même moi, je m'en souviens !
Claude : Bene !
Rémy : Vous dire ! Vous dire les rivières de sperme que j'ai répandues en rêvant à ces cuisses ! [Rires]
Pierre : Je crois que c'est d'ailleurs une des causes des modifications du bassin hydrologique du Bas-St-Laurent.
Rémy : Toute ma vie durant, je me suis endormi avec les plus belles femmes de la Terre. Jusqu'au jour fatal où je me suis réveillé un matin en réalisant que je m'étais endormi la veille en pensant à la mer des Caraïbes. J'étais devenu vieux. Les femmes avaient déserté mes rêves.

Nathalie [à Rémy] : C'est pas votre vie actuelle que ne vous voulez pas quitter, c'est votre vie d'autrefois. Elle est déjà morte, cette vie-là.
Rémy : J'ai tout raté.
Nathalie : Peut-être mais au moins, vous en êtes conscients. Y'a tellement de professeurs satisfaits, et puis, ils sont tellement insupportables. Et puis, j'connais pas votre fille, mais Sébastien est pas exactement raté.
Rémy : J'y suis pour rien.
Nathalie : Vous pouvez pas dire ça, vous l'savez pas.

Rémy : On a tout été, c'est invraisemblable! Séparatistes, indépendantistes, souverainistes, souverainistes-associationnistes.
Pierre : Bien, au début, on avait commencé par être existentialistes !
Dominique : On avait lu Sartre, Camus...
Claude : Après ça, on a lu Frantz Fanon, puis on est devenus anticolonialistes.
Rémy : Après ça, on a lu Marcuse ; on est devenus marxistes.
Pierre : Marxistes-léninistes.
Alessandro : Trotskistes.
Diane : Maoïstes !
Rémy : Après, on a lu Soljenitsyne. Alors on a changé d'idée, on est devenus structuralistes.
Pierre : Situationnistes.
Dominique : Féministes.
Claude : Déconstructionnistes.
Pierre : Y a-t-il un "isme" que nous n'ayons pas adoré ?
Claude : Le crétinisme.
Pierre : L'intelligence est disparue. Et je veux pas être pessimiste, mais il y a des fois où elle s'absente longtemps.

4 commentaires:

  1. Je suis venue sur le blog-notes en début d'aprem, j'ai téléchargé puis visionné. Droles d'effets en terme d'émotions. Durant deux heures, je suis passée du rire aux larmes. Je me retrouve toute bête maintenant en ce dimanche silencieux de juin. Je crois que je vais allée me faire un thé....

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    1. On rit, on pleure, on se projette ici ou là, on se laisse embarquer dans l’histoire, on réfléchit parfois. Je n’en demande pas plus pour parler d’un bon film.

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  2. Oui, même les fautes d'orthographes ont profité de ma faiblesse emotionnelle.... je crois que je vais aller me faire un thé....

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    1. Je t’enlève tout de même encore ¼ de point pour l’accent oublié sur «émotionnelle».

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