samedi 7 juin 2008

Une mer intérieure bien conservatrice



Au milieu du XIXème siècle, Claude Bernard, médecin physiologiste français, met en évidence l’homéostasie ou constance du milieu intérieur. Explorant les compartiments liquidiens de l'organisme, il donne ce nom à une fraction du secteur extracellulaire dont le plasma sanguin est la seconde. Par opposition, l’autre secteur, plus important en volume, est dénommé secteur intracellulaire. Chacun représente respectivement 35% et 65% de l’eau totale fournissant 70% du poids corporel chez l’homme.
Un être pluricellulaire ne se résume pas à l'accumulation de milliards de cellules. Celles-ci communiquent entre elles, se coordonnent. De ces échanges naissent des propriétés nouvelles qui lui donnent une unité et une identité. Les compartiments liquidiens de l'organisme humain sont au cœur de ces échanges.
Le milieu intérieur baigne directement ou indirectement toutes nos cellules. Il est séparé du milieu extérieur par des "barrières" plus ou moins épaisses selon les organes: quelques cellules au niveau des alvéoles pulmonaires ou de la paroi intestinale, de nombreuses cellules peu perméables au niveau de la peau. Il représente "une mer interne" dans laquelle sont maintenues les conditions physico-chimiques les plus stables possibles visant à favoriser la vie des cellules. Ce mécanisme de maintien des principales constantes biologiques est appelé homéostasie. Attention cependant, il ne faut pas imaginer une rigidité du système apportant des arguments aux tenants d'un conservatisme proche de l'intégrisme. Des réajustements permanents sont à la base de cet équilibre. Un organisme en équilibre fixe - sur un court laps de temps en plus - est un organisme mort.
Les cellules ne peuvent vivre hors de la présence de l'eau et des éléments qu'elle véhicule. On le conçoit parfaitement chez les protozoaires monocellulaires immergés en son sein et dépendants des conditions de leur milieu d'eau douce ou salée. L’existence d'une "mer interne" captée au milieu originel pour le voyage, a permis au cours de l’évolution aux animaux et végétaux de sortir du milieu aqueux. A noter que certains mammifères regrettant l’aventure ont rebroussé chemin: ancêtres des baleines et cachalots pour ne citer qu’eux. Herman Melville au fait de la chose aurait pu s’en servir pour renforcer les jeux de miroir entre le capitaine Achab et son «Moby Dick».


S’il est difficile de changer les caractéristiques physico-chimiques de l’eau d’un lac ou d’une mer dans lesquels vivent tant d’animaux qui en "subissent" les conditions externes, il est possible de réguler de manière précise les caractéristiques du milieu intérieur permettant à la vie de se dérouler dans des conditions stables. Les régulations physiologiques consistent, en majorité, à maintenir constantes celles offrant une moins grande dépendance des organismes vis à vis du milieu extérieur. Cela a permis la mise en place de régulations inenvisageables sans milieu intérieur, comme la thermorégulation qui est apparue chez les animaux dits les plus évolués: les oiseaux et les mammifères.
L'ingénieux mécanisme d'embarquement d’une portion de l'environnement liquidien d'origine a amené certains scientifiques à émettre une étonnante hypothèse. Ceux-ci, comparant les ionogrammes marins actuels à ceux du milieu intérieur des mammifères contemporains, firent le constat qu’ils différaient de manière significative sans pour autant n’avoir rien à voir les uns avec les autres. Leur explication «renversante»: c'est en fait les concentrations du milieu marin qui ont varié au fil des millénaires contrairement au milieu intérieur qui aurait su garder, grâce à l’homéostasie, l'ionogramme marin de la période d'émigration! Sur ce coup, les conservateurs auraient de quoi reprendre du poil de la bête...

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