samedi 3 août 2013

DANCING QUEEN

Illustrations du billet : Pierre TOSI

Un claquement comminatoire au passage des bosses, signait la fin proche d’un des amortisseurs de sa voiture. Hugo rejoignit prudemment le premier atelier de mécanique auto sur son itinéraire. Le garagiste confirma le diagnostic. Vue l’heure avancée de l’après-midi, sa monture ne serait référée que le lendemain. En compensation, il héritait d’un véhicule de courtoisie. Hugo réserva une chambre d’hôtel pour la nuit. Il avait décidé quelques jours auparavant de se lancer dans une randonnée solitaire en montagne. Il n’avait pas d’impératifs horaires stricts. La météo serait favorable toute la semaine. Ne sachant trop comment meubler la soirée morose qui s’annonçait dans la petite préfecture où il se trouvait bloqué, l’idée lui vint de téléphoner à un vieux copain. Il ne l’avait pas revu depuis des années. Son numéro figurait toujours dans le répertoire de son portable. Il était peut-être encore valide et l’homme pouvait toujours résider dans les parages. Les deux hypothèses s’avérèrent en conjonction. Il n’avait pas bougé. Cette ville était devenue son fief. L’oiseau de nuit qu’il avait connu dans le courant de ses études, malgré ses cinquante ans, était bien resté un adepte de la vie de bohème. En effet, il lui proposa derechef de passer la soirée en sa compagnie dans ce qu’il appela sa résidence secondaire : « Le chat de gouttière ». Probablement un haut-lieu de ramassage de la cité dans lequel il sévissait. Jeune déjà, notre homme était un coureur de jupons notoire. Ce n’était vraiment pas le genre d’endroits qu’Hugo affectionnait. Il ne voulait cependant pas faire la fine bouche. Passer la soirée dans sa chambre d’hôtel devant des séries américaines le déprimerait encore plus.

La plupart du temps, son ancien camarade de fac reprenait contact pour lui annoncer qu’il avait enfin déniché la femme de sa vie, ou qu’elle l’avait quitté avec armes et bagages. Il conservait toujours son humour quand il s’agissait la seconde option. Le temps passant, pour la première, aussi. Hugo n’avait pas mis les pieds, dans ce qu’il nommait une usine à viande, depuis fort longtemps. Même pour se renseigner sur l’évolution des comportements éthologiques de la faune nocturne saprophyte de cet écosystème. Hugo allait devoir s’égosiller pour se faire entendre tout au long de la soirée au milieu du bombardement des enceintes. Sans doute aussi, évoluer au milieu d’une nuée de nymphettes avides de déhanchements putassiers sur les rythmiques en vogue. Le menton dans le décolleté et la bouche à portée du pavillon de l’oreille de la reine du dancing pour qu’elle capte les saillies verbales adaptées à son Q.I , cela n’avait jamais été sa tasse de thé. Qui plus est, désormais, plus de son âge, jugeait-il. Mais bon, personne ne lui demandait de s’exhiber sur la piste. De plus, il ne voulait pas soustraire son vieux pote à son addiction nocturne. Celle-ci devait appartenir à une séquence de son code génétique. 

A son arrivée dans l’établissement, Hugo avait scanné tous les piliers de bar sénescents de la boîte. Le vieux briscard n’en faisait pas partie. Pas à l’heure, comme à l’accoutumée. Hugo s’installa dans une banquette moelleuse après avoir commandé une consommation. Il en profita pour observer la clientèle.

Il constata à l’évidence que les tenues des danseuses avaient bigrement évolué depuis qu’il avait décidé que c’était la dernière fois qu’il se fourvoyait dans ce genre ce genre d’endroits. Le décorticage des tenues de guerre des bombasses des séries ricaines étaient probablement à l’origine de l’allégement de la panoplie requise des danseuses. On frôlait le symbolique. Les appâts s’exhibaient à qui mieux-mieux. Les figures imposées de la chorégraphie des filles s’approchaient désormais de celles des Go-go danseuses. Hugo supposa qu’en glissant un billet à un membre du personnel, on pouvait partir dans une arrière-salle avec une d’entre elles. Révolue donc l’époque où l’on devait faire tapisserie pendant des heures avant qu’une jeune fille inconnue, à l’esprit large, accepte votre invitation pour une danse aux prolongements exutoires parfaitement utopiques. Imaginant sans doute qu’on avait atteint le point d’orgue de la libération de la femme, le moindre tendron matait sans vergogne tout ce qui pouvait être hameçonné. Il y avait même des barres auxquelles les plus versées s’enroulaient pour laisser entrevoir leur aptitude aux positions du kamasoutra délaissées par les experts, parce que trop complexes. Quant aux mâles de la soirée, il y avait du tatoué, du dilettante branchouillard, du chasseur en érection et des dandies de bazar autour desquels s’agglutinaient, ce qu’Hugo appelait à son époque, des gigis de Prisunic. Quelques bergères sur le retour traquaient le dernier mâle avant le désert, fruits et légumes un peu trop tripotés par les clients pour qu’ils les glissent à la légère dans leurs cabas.

Cynique et stupéfait, Hugo tentait de pêcher du regard dans ce vivier les cœurs en déprime et les egos en vrac. Pour la romance, la quête du Prince Charmant ou de Cunégonde, les abonnés devaient comprendre enfin qu’il s’agissait de mettre définitivement un trait dessus. Quelques bourres à la va-vite dans les toilettes de la boîte ou quelques fellations à l’arrière d’une Kangoo sur le parking sont proscrites du scénario de l’Amour Courtois. Pour une traqueuse du Chevalier blanc, s'imaginer qu’elle avait mis la bouche dessus parce qu’il n’avait pas dit « Tu sais que tu es bonne, mais faut que j’aille me laver la tige. », du déni de réalité pur et dur. Hugo imaginait même que la banalisation du coït en faisait un passage obligé des rites de ce milieu. L’éclate sphinctérienne formatée et programmée. Une banalisation de l’abandon des corps qui devait mener à la perte progressive du respect de soi-même. Ce truc siège quelque part à l’intérieur de l’enveloppe corporelle, plutôt vers le haut. Les participants semblaient obnubilés par l’enveloppe en question. Ramasser à terre le mouchoir en dentelle d’une belle évanescente de la soirée, pour le conserver la nuit sur son cœur, n’était plus à l’évidence le nec plus ultra émotionnel de la faune mâle pressée d’en arriver aux séquences X.

Depuis quelques minutes, Hugo observait plus précisément une jeune fille brune court-vêtue à la plastique irréprochable. Elle s’adonnait avec une amie à une danse tribale, érotique ou érogène. Les deux ne faisaient pas dans la dentelle. Les flashs LED de leurs smartphones donnaient afin d’immortaliser la scène en numérique. C’était peut-être déjà parti sur Facebook. Elles riaient à gorge déployée de quelques figures de danse ravageuses. La brune décocha à Hugo un ou deux regards effrontés. Il souriait intérieurement. Il était probablement l’inconnu des lieux à circonvenir. Quelques chasseurs tournaient autour des deux filles comme des Sioux. Attitudes blasées et nonchalantes de celles-ci. Ils devaient comprendre qu’elles les ravalaient au rang d’un essaim de taons irritant. Un d’eux tenta un rapprochement conquérant en prenant dans ses bras le sujet d’observation principal d’Hugo. Elle se prêta quelques secondes au contact avant de décider de l’envoyer paître. Le prétexte, Hugo ne pouvait que l’imaginer. Ce pouvait être : « Samira apprécierait sans doute de te voir me peloter… ». Les deux filles paraissaient surtout avides de s’étourdir. Qu’elles soient conscientes que ces danses provocantes soient un équivalent de parade nuptiale dédiée à un mâle dominant imaginaire, était assez improbable.

Hugo sentit une main sur son épaule. Il se retourna. Une bonne vingtaine de kilos supplémentaires, encore un peu plus dégarni, et désormais le visage d’école de l’alcoolo-tabagique, son vieux pote venait d’arriver. Ce qui était bien avec lui, c’est que l’évocation des événements des années durant lesquelles ils ne s’étaient pas vus était parfaitement subsidiaire. L’imaginaire catastrophiste d’Hugo quant aux mœurs nocturnes des nouvelles générations forçait dans l’épouvante. Inclinations glauques et étreintes sordides. Il était probablement devenu un réac intégriste qui vitupérait contre cette évolution coupable. C’est ce qu’il commençait à expliquer à son compagnon de banquette moelleuse. Il modérait cependant son parti pris en signalant que les danses sensuelles ou érotiques avaient probablement toujours existé. La sociologie du dancefloor remonte à la nuit des temps, à la terre battue des cavernes ou des villages des tribus, à la danse de Salomé...

- Moi, tu sais, je ne viens plus que pour le spectacle. Le Viagra me décolore les cheveux. J’ai abandonné l’espoir de nuits fauves. Je suis devenu un vieux libidineux des neurones… de ceux qui restent en état de marche.
- Fais gaffe tout de même à tes coronaires. Pas bon de s’agiter le bocal comme ça, uniquement dans la décadence imaginaire. Ça congestionne la prostate.
- Le gonflement ne s’aventure plus au-delà dans ma tuyauterie. Tu ne voudrais tout de même pas me priver de ce plaisir discret ?
- T’as raison, c’est sans danger pour tes proies, et tu dois passer pour le dernier gentleman de la ville, si tes mains et ta bouche restent à l’unisson.
- La turgescence de la bouche et des mains, c’est un truc rare. Non ?
- Auquel cas, tu pourrais toujours porter un masque et des gants.
- Et une cape de Zorro…
- Surgit hors de la nuit, pour voir si ça le fait, Diego !

Au milieu de ses propos, son hôte saluait, ça et là alentour, ses nombreuses connaissances. Il marquait son territoire, assez fier de montrer à Hugo son statut de notable des lieux. La jeune fille qu’Hugo avait observée longuement s’approcha. Elle demanda la permission de s’asseoir près d’eux. Hugo se demanda s’il ne s’était pas comporté comme un mateur incitatif. Il aurait dû faire un peu plus gaffe avec ce genre d’allumeuses de rêves berbères.

- Ma nièce, précisa aussitôt son compagnon.
- Nièce, nièce ?
- Nièce, nièce. Lucie, la fille de ma sœur, Marie-Claude. Tu l’as connue quand on était en fac.
- Bonsoir, Lucie, lumière de la nuit. Vous venez donc tenir la jambe flageolante des vieux schnocks. A moins que votre oncle vous ait été commis comme chaperon ?
- Faudrait plutôt inverser les rôles, répondit-elle tout de go.
- Méfie-toi, Lucie, l’escogriffe qui m’accompagne est un baratineur de première.
- Eh ! je n’ai même pas eu le temps de lui dire qu’elle était charmante !
- Tu vois !
- J’ai passé l’âge où le compliment prête à confusion ! Laisse les vieux débris s’adonner au verbiage, vague plaisir qui leur reste.
- Un vieux débris bien conservé qui dit des choses qui font toujours plaisir à une femme. Tu devrais prendre exemple, Tonton !
- Méfie-toi, Hugo, quelques tendrons bloqués en plein Œdipe ont des penchants gérontophiles. La quête d’un père de substitution, disent les psys.
- Un dragueur sur le déclin qui est sorti souvent avec des filles dont il aurait pu être le père ferait bien d’en voir un, rétorqua-t-elle sans se démonter !
- Vache, saine ambiance familiale, persifla Hugo qui comptait les points. Elle tient un peu de sa mère.
- De son père aussi. Lui, je ne crois pas que tu l’aies connu.
- Et pour faire sa connaissance, ce sera duraille. Il s’est tiré voilà cinq ans dans la pampa, dit-elle sur un ton acide.
- Votre mère avait du mal avec les relations durables. Ce n’est pas lui faire offense. Un tempérament peu enclin aux compromis.
- Elle s’est calmée quand j’ai commencé à squatter son utérus. Elle a mis au pied du mur le roi du tango qui a assumé ses passes hasardeuses. Tout ça pour grogner dès qu’il émettait un avis sur l’éducation de sa fifille. Faut reconnaître qu’il n’a pas eu tous les torts contre lui en se décidant d’émigrer.
- Tu as une drôle de façon de parler de ton père. Il t’a toujours aimé et a veillé sur toi au mieux. La vraie erreur qu’ils ont faite, c’est de ne pas t’avoir mise en pension dans institut religieux aux principes éducatifs rigoureux. Tu vois le résultat, Hugo.
- Ce genre d’établissements ne garantit pas à la sortie la femme d’intérieur accomplie. On dit même qu’on y forme des cochonnes de haute-volée. Vous avez échappé à ça, glissa Hugo qui rusait sur son point de vue.
- Vous dansez ? J’aimerais bien échapper à la surveillance de ma gouvernante et  à ses sarcasmes!
- Laissons la duègne acariâtre ruminer dans son coin. C’est un slow que vous me proposez là. Je peux encore tenir quelques minutes debout. Mais attention, je le danse à l’ancienne. Dix centimètres minimum de périmètre de sécurité. Hugo semblait avoir abandonné ses belles résolutions de départ !
- Ça me va, et en plus, Tonton sera content. Je m’assagis!

Hugo se dirigea vers le centre de la piste. Cette brunette piquante était une vraie diablesse. Il allait devoir se remettre en mémoire les techniques de sécurité utilisées par Yves Montand dans « Le salaire de la peur ». De la nitro, cette jeune amazone. De quoi observer in-vivo les mœurs nouvelles de la génération montante.

- Vous avez un petit copain ?
- Je décode le langage pépère: non, je ne couche avec personne en ce moment.
- Je décode tout court: mais cela n’a pas été toujours le cas.
- J’ai 22 ans.
- C’est vrai !… Vous en faites 5 de moins. Je sais, ce n’est pas un compliment à votre âge. Je craignais un slow suspect de détournement de mineure.
- Vue votre technique de danse. Rien à craindre. Elle se serra contre lui. 

Hugo sentit alors se plaquer contre sa poitrine un buste aux rondeurs avantageuses, fermes et élastiques. Une de ses mains aussi était mise à rude épreuve par une taille de guêpe lascive qui ondulait au rythme de la musique. Par moments, même, les cuisses aux galbes idéaux de la jeune fille flirtaient dangereusement avec les siennes et le frottement de son pubis contre le sien devenait critique. Il se fit un devoir de garder sa belle contenance et de poursuivre une conversation qu’il voulait avant tout instructive. Quant à savoir s’il gardait le recul et la neutralité suffisante du socio-ethnologue rigoureux ?

- Là, vous jouez avec le feu… qui peut resurgir d’un ancien volcan qu’on croyait trop vieux !
- Vous vous raidissez, Jacques…
- Non, c’est mon paquet de cigarettes. La jeune fille fit entendre un rire cristallin.
- Vous ne fumez pas beaucoup, alors. Il est plein !
- Évitez tout de même de continuer à allumer.
- Je danse, c’est tout !
- Ah bon, j’avais un doute ! Si nous allions en griller une dehors à la fin du morceau ? Avant que les décibels se remettent à pleuvoir. Je vais rassurer Tonton sur la pureté de mes intentions. Lui expliquer que je ne le plante pas comme une pauvre truffe. Il ne s’agit pas d’un enlèvement, on est d’accord !
- Enlevez tout de même votre veste, on est en plein mois d’août !

A l’avant du dancing, assis en bras de chemise sur une marche, il put discourir plus à son aise. Hugo voulait se renseigner sur les attentes de la jeune fille dans le domaine amoureux. Dresser un profil de l’homme qui saurait l’emporter en croupe loin de ces lieux où il lui paraissait qu’elle avait mieux à faire. Il s’astreignit à soustraire son regard du décolleté et des cuisses que sa courte robe masquait outrageusement peu. Son sourire nacré n’était pas non plus sans danger. Il y alla franco.

- Je m’interroge sur les modes de rencontres des jeunes générations. De mon temps, l’ère préhistorique, le flirt était plus progressif et l’amour fleur bleue avait bien des adeptes encore.
- Vous estimez que dans cette boîte, j’aurais bien du mal à en trouver un?
- La barbe ne fait pas le philosophe, c’est vrai.
- Avec ou sans barbe, je peux vous confirmer que vous ne trouverez ici que des viandards qui tablent sur le poids de barbaque mensuel levé.
- Encore plus cynique que moi. Alors, pourquoi vous affichez-vous dans cette foire au bétail ?
- Je dois pouvoir tout de même y trouver un homme à qui je puisse faire abandonner ces pratiques dégradantes ?
- Ça, c’est une vielle illusion féminine que de vouloir changer un homme. Et faut gommer le démarrage pour garder la veine romantique. On peut rencontrer quelqu’un ailleurs que dans une boîte de nuit, non ?
- Oui, et tomber sur un ringard qui ose vous prendre la main au bout d’un an !
- On doit pouvoir trouver un jeune homme au timing adapté à vos goûts et qui n’appartient pas au cheptel de la nuit ?
- Vous en avez en stock ?
- Je campe sur une hétérosexualité intégriste. Rien dans l’arrière boutique !
- Vous me donnez envie de me diriger vers la génération préhistorique. Pour donner raison à Tonton et ses trucs de psys. Des hommes qui réfléchissent autrement qu’avec leur queue, mais qui savent aussi s’en servir.
- Tout un programme de reconversion, en somme. La jeunesse peut galvaniser un temps les barbons. Les filles à la recherche d’un père de substitution, pour paraphraser Tonton, peuvent un temps profiter de l’expérience et du coté rassurant d’un homme mûr. Mais sur le long terme, l’affaire se complique.
- Vous avez déjà expérimenté ? Et qu’est-ce que vous entendez par là ?
- Non, j’ai évité. Je pense que l’homme doit alors se battre régulièrement contre les jeunes loups pour conserver sa proie, et la femme accepter de passer un jour le pistolet au grabataire qu’il deviendra avant elle.
- Vous exagérez un peu. Vous, par exemple, vous êtes loin du déambulateur. L’amour d’une femme résiste aux avances de ceux qu’elle a décidé de fuir.
- Peut-être, mais un tel écart d’âges fait que souvent les centres d’intérêt ne sont pas les mêmes. On peut rapidement se lasser des soirées avec les copains de lycée de sa lolita. Celle-ci peut finir par trouver qu’elle cohabite avec un vieux raseur devenu un peu trop pantouflard, ou pontifiant.
- Même avec quelqu’un de son âge, ça peut être le cas !
- D’accord, mais de là à forcer le handicap de départ. Pas mieux que de choisir quelqu’un d’un milieu, d’une culture, d’une ethnie autre que les vôtres en pensant que l’amour peut tout. Je pense que c’est courir un risque inutile. L’amour est une aventure difficile, même sans ça.
- Et vous, vous avez quelqu’un qui s’approcherait de vos rêves?
- Peut-être bien que oui, peut-être bien que non…
- Belle certitude !
- Le temps est le seul juge dans cette affaire. On ne peut qu’attendre. Il doit confirmer année après année votre espoir d’avoir fait le bon choix.
- C’est quoi pour vous les qualités nécessaires à une relation amoureuse réussie ?
- La connivence, le respect mutuel, la tendresse, l’entente sexuelle, les passions communes et, Hugo semblait pousser à fond sa réflexion, avoir toujours des attentions réciproques et des gestes affectueux bien longtemps même après la période de l’amour débutant.
- Vous connaissez beaucoup de couples comme ça ?
- A vrai dire, un seul qui vient de divorcer.
- Ça plombe l’espoir cette stat. C’est peut-être pour ça qu’il vaudrait mieux se contenter de rencontres imparfaites.
- C’est vrai, la quête de la perfection est un truc maladif qui part d’un postulat délirant. Je suis parfait. Il me faut donc rencontrer quelqu’un de parfait. Mais je parlais uniquement des points forts d’une relation amoureuse réussie. Il faut en fait, en plus, ne pas détester les défauts de l’autre.

La jeune fille s’était rapprochée de lui. Elle posa lentement sa tête sur son épaule. Hugo ne fit rien pour la repousser. Il comprit qu’il existait toujours des jeunes filles, sinon romantiques, exigeantes tout du moins dans leurs choix amoureux. La fin de partie allait être compliquée. Il fallait éviter à tout prix que l'ambiguïté s’installe. Il lui posa qu’un baiser tendre sur le front et lui dit :

- La patience est une belle qualité. Les idées fortes qu’on a sur ce que doit être l’amour entre un homme et une femme, il ne faut pas transiger avec. Tomber amoureux, c’est un nouveau départ. Foin de la rumination des erreurs passées. 
- Foin, ruminer, eh, eh !
- Oui, meuh ! Recommencer, c’est l’opportunité de se voir et de pouvoir être regardée autrement qu’avant. Tenir compte du passé n’empêche pas de commettre d’autres erreurs. Alors, il est bon de consulter régulièrement les voyants qui indiquent qu’on s’éloigne de ses exigences initiales. Dans ce cas, il faut corriger le cap. Sois sincère et ouverte aux changements.
- Tu as un fils qui pense comme toi ?
- Non, je n’ai pas d’enfants. Légitimes… faut toujours être prudent pour un homme ! On retourne voir Tonton ?
- Oui, c’est préférable. Merci de m’avoir montré que ce que j’imaginais de plus en plus comme des utopies, n’étaient peut-être que des exigences normales. Je peux t’embrasser ?
- Embrasser quelqu’un sans passer ensuite au plumard. Ça ne se fait plus, non? C’est mieux de se découvrir tranquillement, symboliquement et corporellement. Ceci dit, j’adore faire l’amour. Mais rien n’est comparable aux étreintes du corps de quelqu’un qui vous aime corps et âme. Un truc de fou que tu découvriras si ce n’est pas déjà fait. Frustrant d’avoir trop galvaudé ce corps, de l’avoir prêté à la légère, quand on ressent enfin la magie que prodiguent des mains amoureuses. Idiot aussi de ne pas reconnaître que l’erreur était partagée dans ces affaires qui apparaissent douteuses par la suite. La fameuse question de qui profite plus de l’autre en pareilles circonstances.

Ce genre de réponse avait de quoi rebuter la fille. Elle l’embrassa tout de même. Sur le front, comme lui. Les rencontres de hasard sont parfois plus riches que les autres en confidences intimes, libéré qu’on est des conséquences des propos qui impliquent avec quelqu’un qu’on côtoie régulièrement.

Trois ans plus tard, Hugo reçut une lettre de la mère de Lucie :

« Hugo,

J’ai longuement hésité à t’adresser cette lettre. Lucie m’a parlé plusieurs fois de votre soirée à V. Elle a rencontré il y deux ans un homme avec qui elle semble vivre le grand amour. Elle aurait bien aimé te remercier à nouveau de l’avoir renforcée dans sa ténacité de ne pas s’engager avec le premier venu. En fait, j’ai appris que son mari était le premier homme avec qui elle avait fait l’amour. Cela m’a franchement étonnée. Ce fut la même chose pour moi quand je t’ai rencontré à vingt ans. Tu as été le premier homme de ma vie. Je me suis séparée de toi sur un coup de tête. Comme j’en avais tant à l’époque.

Si je me suis enfin décidée à t’écrire, c’est pour te demander quelque chose qui me soulagerait beaucoup. Ma santé est déficiente depuis quelques mois. J’aimerais que tu gardes un œil sur ma fille, si jamais je venais à disparaître. Je sais, cette demande est bien étrange, mais j’aimerais que quelqu’un d’attentionné veille sur elle et son couple au cas où des nuages apparaîtraient. Tu sais bien que l’amour est une aventure qu’on ne peut jamais être sûr de voir durer toujours.

Sache cependant que je t’ai toujours aimé au point d’ailleurs de respecter ton goût pour la liberté. Cette demande n’est pas une promesse que je te demanderais de tenir. Les promesses, c’est du poison.

Ne réponds pas à cette lettre et fais comme tu le sens. Je ne t’en voudrais pas si cette demande te pèse et que tu décidais de ne pas t’impliquer.

Je te donne en P.S  leur adresse et numéros de téléphone.

Au revoir, cher Hugo.

Marie-Claude »

Six mois plus tard, une autre lettre de Marie-Claude arriva dans sa boîte. Hugo avait respecté sa demande de ne pas répondre à son premier courrier. De plus, il n’avait pas son adresse. 

« Hugo,

Quand tu liras ces quelques lignes, c’est que je serai morte. Je sais que tu as repris contact avec Lucie et je t’en remercie. Elle est heureuse de te voir régulièrement, comme son mari d’ailleurs, et probablement plus tard, leur futur enfant le sera.

Veille bien sur notre fille. Tu es en droit de lui apprendre que tu es son père biologique. Fais le avec ton tact coutumier, si tu t’y décides. Moi je n’ai jamais eu le courage de le faire. Je me soulage lâchement de ce secret d’outre-tombe. Je te prie de m’excuser du choc que cette révélation va t’occasionner. J’ai fait comme je le ressentais au fond de moi.

Je vous guetterai du haut de mon nuage. Je pense que je ne grillerai pas en enfer !

Marie-Claude »

Pierre TOSI - Août 2013


Elle ne dirait jamais d'où elle est vient / Hier importe peu, si c'est passé / Alors que le soleil brille ou au sein de la plus sombre des nuits, / Personne ne sait, elle va et vient  / Au revoir, Mardi Rubis ! / Qui pourrait te coller un nom? / Puisque tu changes tous les jours / Tu commences déjà à me manquer... / Ne lui demandez pas pourquoi elle a besoin d'être aussi libre / Elle vous répondrait que c'est la seule façon d'être / On ne peut l'enchaîner à une vie où rien n'est gagné et rien n'est perdu / A pareil prix / Il n'y a pas de temps à perdre, l'ai-je entendue dire / Attrape tes rêves avant qu'ils s'échappent / Mourant chaque fois / Perds tes rêves et tu perdras ton âme / La vie est bien cruelle, non?

Version originale : The Rolling Stones

4 commentaires:

  1. bien chouette, cette histoire. bravo !
    Noëlle

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    1. Merci Noëlle. Hugo semble s'être ressaisi après avoir accusé le coup. On doit pouvoir l'embarquer un jour dans une autre nouvelle moins éprouvante !

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  2. Désolé d'être resté si longtemps sans rendre visite à Hugo-Pierre!
    Comme on dirait sur fesse de bouc : j'aime
    Denis

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    1. One more like, one more like, one more like (air célèbre). Merci Denis. Auteur, narrateur, personnage. Qui s'exprime au juste ? Un sacré mélange en fait, comme dans le brutal des Tontons Flingueurs. Mais Lulu la Nantaise, tout une époque...

      Quoi qu'il en soit, pour l'instant, pas de courrier du genre de la nouvelle dans ma boîte mail. Celle du facteur, ce n'est plus que pour la pub. The Times They Are a-Changin', comme disait le Bob.

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