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jeudi 3 février 2011

Wight is Wight, but....


Wight, en 1970, était une petite île placide au large de la côte sud de l’Angleterre, encerclée par des yachts et peuplée d’officiers de marine en retraite. Un jour d’été de cette année, une nuée de plus de 600.000 sauterelles aux cheveux longs – soit six fois sa population habituelle – se répandit au travers d’Afton Down pour s’abattre finalement sur une colline que l’on nommera par la suite Desolation Row, en référence à la chanson éponyme de Bob Dylan. Vues d’hélicoptère: un nuage de poussière s’élève de la clôture en tôle ondulée que piétinent des squatteurs sans le moindre billet en poche pour forcer l’enceinte qu’elle délimite, et de la fumée monte des véhicules et des stands incendiés par des militants qu’on ne peut taxer de pacifistes. Assis dans l’herbe, face à une immense scène en plein air, des milliers de fans de musique au septième ciel ont passé les quatre derniers jours à écouter la musique proposée au cours de ce troisième concert annuel du Festival de l’île de Wight. Leonard Cohen a souhaité passer en avant-dernier, après Jimmy Hendrix et Joan Baez, juste avant Richie Havens, le 31 août, 1970 cinquième et dernier jour du festival.

Le plus grand événement rock britannique avait commencé petit en 1968, simple spectacle au profit d’un club de natation local, mais, dès l’année suivante, son statut monta en flèche quand 150.000 spectateurs vinrent sur l’île pour applaudir une pléiade de groupes célèbres, en particulier Bob Dylan qui faisait sa première réapparition en public après son accident de moto. L’année suivante, les organisateurs se promirent de battre le record de ce qui constituait alors le Woodstock à l’anglaise. Ce troisième festival proposait des artistes comme les Doors, les Who, Miles Davis, Donavan, Ten Years After, et donc, Leonard Cohen dont l’étoile montait au firmament en Angleterre, portée par son récent album, «Songs From a Room», placé en deuxième position dans les charts au Royaume-Uni. Cohen avait accepté sa participation à la condition que Bob Johnston, le producteur célèbre de Bob Dylan, Simon & Garfunkel et Johnny Cash, soit aussi le sien et se produise avec lui en tant que pianiste du groupe. C’est ainsi que partirent pour l’Europe une troupe composée d’excellents musiciens US dont le violoniste Charlie Daniels, le guitariste Ron Cornelius, le bassiste et joueur de banjo Elkin «Bubba» Fowler, et les choristes Corlynn Hanney, Susan Musanno et Donna Washburn.

L’orchestre n’avait pas de nom au moment du départ, mais arrivé à l’île de Wight, ils se baptisèrent «The Army» (l’armée), du fait que leur récente tournée européenne de 1970 avait été par moments une véritable bataille. Au cours d’un concert en Allemagne, un spectateur avait braqué un revolver sur Cohen. De la sorte, Leonard était prêt à prendre part à ce que «Melody Maker», la revue musicale anglaise en vogue, appelait alors: «Cinq jours qui allaient choquer le Monde», et, ce qu’un remarquable CD/DVD de 2009, constitué d’enregistrements sonores et d’un film de Murray Lerner réalisé à l'occasion atteste, en sortir victorieux.

D’après une traduction personnelle adaptée à la tonalité du billet d'un extrait du texte de Sylvie Simmons appartenant au fascicule de l’album: «Leonard Cohen Live at th Isle of Wight 1970.»


J'ai eu récemment la bonne idée d’extraire d’un des bacs de la médiathèque municipale de ma ville le CD/DVD en question. Le DVD vaut vraiment son pesant de cacahuètes.

Scène introductive: le bon Leonard arrive sur scène paré d'un pyjama kaki assez proche dans sa coupe d’une tenue de safari. Faciès éberlué, on vient de le tirer en pleine nuit d’un sommeil pas franchement réparateur. Cheveux longs et barbe de deux jours, il monte tranquillement sur les planches calcinées. Quelques minutes plus tôt, de joyeux drilles y ont mis le feu pour saluer la prestation incendiaire d'un Jimmy Hendrix bourré jusqu'à la gueule d'un cocktail chimique dont il ne donnera jamais la composition exacte pour le bonheur des générations à venir. Jimmy n’y vit alors que du feu, continuant à jouer au milieu des flammes.

Court interview du régisseur du spectacle :  il affirme que lorsqu’il vit s’avancer sur scène le groupe de Cohen - qui avait prit tout son temps pour arriver car il n'y avait pas le feu - il s’attendait à un véritable désastre. L’ambiance était plus que mitigée. Bien que la violence fut désormais moins à l’œuvre, les spectateurs fatigués de conspuer continûment les artistes précédents, au point que certains d’entre eux pensaient qu’ils vivaient ici leur dernière heure et qu’on allait probablement les lyncher, pour lui, il était couru d’avance que la prestation essentiellement acoustique de Cohen allait relancer la vindicte d’une foule dans l’attente de quelque chose de plus copieux en termes de puissance sonore. Ce qui restait de la scène allait-il finir en cendre sous les effets pyrotechniques des artificiers de cette foule pataugeant dans un bourbier immonde conséquence d'une journée arrosée, et s’ébrouant au milieu de ce qu’il fallait bien nommer une véritable chienlit ?

La séquence irréelle : "Le Leonard" et sa troupe, sont enfin en place. Face au micro, le Messie se fend d’une courte parabole introductive. D’une voix plus calme tu t’endors sur place, genre maître zen en fin de karma, il balbutie un remake du Sermon sur la Montagne. Ses apôtres sont à l’unisson. Les choristes en particulier, drapées dans des saris made in Katmandou, sont en lévitation, regards perdus, baignant dans l'aura du Maître. L’inhalation de quelques vapeurs d’herbes de Provence aux vertus dysleptiques favoriserait-elle plus particulièrement  leur état second? En plein trip "good vibrations", aucun ne semble avoir eu vent des événements antérieurs. La pieuse cérémonie qu'il souhaitent proposer au public a toutes les chances de tourner pour eux au cauchemar, ou finir en carnage.

Les paroles des chansons de Cohen ne manquent pas de poésie. Cependant, l'atmosphère de quelques unes d'entre elles auraient pu pousser au suicide en moins de deux un Bernard Tapie au meilleur de sa forme: pendaison dans un cimetière lugubre un soir de Toussaint glacial. De plus, elles n'éructent aucun message de révolte sauvage.

Cohen fait une pause au milieu de sa première chanson. Il demande aux spectateurs d’allumer des briquets ou des allumettes afin qu’il puisse distinguer dans le noir leur présence, observer l’union de leur énergie vacillante, faible, trop faible, pour venir à bout d’un système qu’ils souhaiteraient terrasser, mais cependant capable de suggérer une unité possible des forces en présence. Une oraison délirante, lénifiante, adressée à des pitbulls. La foule se tait. Diamonds in the Mine, Famous blue raincoat. Pas un sifflet. Les lumières se multiplient même peu à peu sur la colline. Bird on a Wire. La foule applaudit. The Partisan. La foule en redemande. Seems So Long Ago. Nancy: l’histoire d’une jeune fille peu avare de son corps qu’on pensait parfaitement bien dans sa peau, mais que Cohen a retrouvée morte de nombreuses années en arrière, dans une baignoire où elle s’était tailladé les veines. Une histoire à la Piaf. Une autre, une autre scande la foule…

Wight is Wight, Dylan is Dylan… but Cohen is really, and simply, Cohen.



Note du 05/02/2011: honteux charabia de ce billet pondu en dépit du bon sens vaguement corrigé. Il est des jours où, effectivement, on doit s'interdire d'entreprendre quoi que ce soit. Celui-ci en était un...

6 commentaires:

  1. Du bon Pierre Tosi dans le texte. Il me faut absolument ce DVD propre à la zénitude avant que je fasse une version à l'usage de l'enseignant de Bowling for Columbine dans ma classe de zazous. La vue de l'agrandissement de la pochette et de profondes inspirations commencent déjà à porter leurs fruits. Merci.

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  2. La BD le précise bien: "Léonard est un génie."

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  3. Macheprot> Quelques pauvres dizaines d'années d'enseignement seraient-elles venue à bout de la placidité proverbiale de Pierre G.?
    Malheureux! on se calme rapidement, Pierrot et on se réconcilie avec Colombine.

    En relisant mon billet, surpris du "compliment", j'imagine que tu me charriais: ce truc est assez innommable, bien que le terme charabia pourrait convenir. J'ai effectué "quelques" retouches et posé des rustines

    Anonyme> tout comme le Da Vinci Code en conduite accompagnée.

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  4. Cool, brother, bien loin de moi cette velléité moquative, indigne du non-violent que je suis redevenu suite à 24 heures de méditation à Lamarche, cité paisible connue pour son monastère bouddhiste situé en face du Bistro de la Gare et du lupanar de Paulette Garabit.

    Comme disais le Mahavishnu Orchestra: "La suprême ironie de la vie c'est que nul n'en sort vivant et comme l'ironie tue,c'est une arme dont il ne faut pas se servir trop vite, au risque de se tirer une balle dans le pied.". Je cite à quelques phrases près.

    "Peace dru and love amore.", disait aussi Crazy Horse, le fameux chef indien des Lakhotaloss.

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  5. Le simple fait que tu aies demandé à Vishnu la paix et à Paulette sa grande spécialité, le calumet salace sans dentier, explique bien ce passage de la rock attitude à la béatitude.

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  6. D'autant que Paulette a beaucoup perdu coté souplesse pour la brouette hindoue et le tourniquet métropolitain furtif.

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