jeudi 22 juillet 2010

En mission pour Dieu


J’étais en maraude au volant de ma Plymouth de police désormais passée dans le domaine public. J’avais troqué mon ancienne Cadillac contre un microphone de qualité. Allez savoir pourquoi, passant devant l’église du Révérend Cleophas James, celle-ci stoppa net face au porche dans un crissement de pneus assourdissant. Projeté violemment en direction du pare-brise, ma paire de Ray-Bans «Wayfarer» de guingois, une voix intérieure me somma aussitôt d’assister à l’office. Debout au fond de l’église, entouré par deux personnages en costumes noirs bigrement passés de mode, je fus la proie d’un sortilège étrange à la fin du sermon. Alors qu’une partie des fidèles reprenait place après s’être adonnée à quelques évolutions aériennes acrobatiques au décours d’un Gospel endiablé, par Saint James Brown et Saint John Lee Hooker réunis, je vous le jure, une lumière céleste filtrée par un vitrail de l’édifice vint me parer d’une aube opalescente d’une blancheur immaculée. Le personnage le plus rondouillard du duo se mit alors à m’apostropher sous l’emprise d’une transe subite :

- Hey man ! had you see the light ?
- Yeah, clearly !
- Now, you’re in a mission for God.

En mission pour Dieu, why not, mais laquelle, Estelle ? Ray Charles tomba du ciel pour me fixer droit dans les yeux comme je vous vois et en me vouvoyant me dit tout de go : « Vous êtes l’Elu qui allez écrire le livre que le monde attend depuis la mort de Sénèque, le cynique avant de devenir stoïque. »

Sacrebleu ! j’allais devoir tailler mes stylos à bille et raboter ma gomme. La mission était d’importance et le Prix Nobel de Littérature sans Rature en vue. Le style, je l’avais depuis que je m’en fichais comme d’une guigne. Le talent, à n’en point douter, sinon cela devenait douteux. Le matériau pour créer le chef d’œuvre? J’allais devoir probablement me départir de ma Plymouth pour l’obtenir. Les Ray-Bans, pas question.

Et maintenant, ça va chier dans l’univers littéraire. Ma présence sur ce blog s’en ressentira, mais ma mission passe avant tout. Pisseurs de lignes besogneux, scribouillards gonflés d’importance, rangez votre quincaille plumitive. Inutile d’imaginer une seconde l’impudence grossière qui consisterait à vouloir vous aligner. Le génie est en route pour sa création dantesque et rien ne saura l’arrêter dans sa mission sacrée. Vous voilà désormais en congé sabbatique sans solde obligé.

Avis aux maisons d’édition de prestige : il va vous falloir jouer serré pour obtenir les rouleaux du manuscrit reléguant au rang de babioles ceux de la Mer Morte. Un nouveau prophète fait son entrée solennelle dans l’arène. Il est temps de perdre votre superbe. Me voilà bien content de ne jamais avoir eu la faiblesse de vous proposer un jour une seule ligne de ma prose que vous vous empresseriez aussitôt de publier pour vous donner l’impression d’avoir déjà un pied dans la place.

Note : on vient d’augmenter ma dose d’antipsychotiques. Cet argument lamine l’hypothèse d’une poussée délirante à la base de cette déclaration fracassante. Aucune publication ne se fera dans ce blog car tout le monde s’empresserait de me voler mon texte. Je les sens rôder dans l’ombre tous ces pillards avides, prêts à s’adonner à leur larcin sans la moindre once de scrupule.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentaire de :