samedi 22 mai 2010

Médecine de guerre en Casamance



Photos personnelles proposées dans ce billet

Préambule: salutations cordiales à mes amis sénégalais qui m’ont reçu avec une gentillesse infinie dans leur magnifique pays. Je conserve de ce voyage une foule de souvenirs joyeux et garde à l’esprit leur sens de l’humour proverbial qui me permet d’évoquer sans crainte cette anecdote de voyage. Elle ne saurait manquer de les faire rire, eux aussi, s’ils venaient à la lire. Les noms des personnages ne sont pas évoqués, les localisations géographiques sont imprécises et les fait narrés suffisamment approximatifs pour que la plupart des personnages ne soient pas identifiables.

Un ami mien avait réservé un voyage en couple au Sénégal. Suite à une brouille sérieuse avec sa compagne du moment, il se retrouva en possession d’une inscription surnuméraire. Il me proposa d’en bénéficier gracieusement. Je ne parle pas, bien entendu, de l'accompagnatrice qui avait fait défection. Je dus régler les formalités du voyage et me munir des papiers nécessaires à l’embarquement en un temps record. Une fois n’est pas coutume, j’avais alors remercié une secrétaire de la Préfecture de la belle efficacité dont elle avait fait preuve pour accélérer le renouvellement de mon passeport. Ma compagne du moment (cela fait beaucoup de compagnes du moment, je dois en convenir) avait été tout aussi efficace en ciblant in extremis un vol sur une autre compagnie lui permettant d’arriver à Dakar peu de temps avant notre atterrissage.

La première partie du séjour consistait en un circuit de découverte de la Casamance. Sa logistique spartiate permit des rencontres de hasard peu communes et l’accumulation d’anecdotes hautes en couleurs. Us et coutumes importés, habitudes de vie au confort douillet, les touristes hébergés à la dure et partageant les produits locaux avec l’habitant, durent promptement les oublier. Deux membres du groupe, ayant perdu leurs bagages, mirent à contribution le reste de l’équipe pour se constituer une panoplie de bric et de broc du parfait touriste. Un mal pour un bien, ils furent les plus rapides à s’acclimater à l’ascétisme du séjour. Qu’on se rassure, leurs bagages furent retrouvés. Ils les récupèrent huit jours après leur retour en France. Pratique : ils purent les ranger tels quels dans leurs armoires sans passer par la case lessive.

A cette époque, un voyage en Casamance n’était pas sans danger. L’année précédant notre voyage, quelques touristes avaient été retenus en otage par des indépendantistes. Pour se rendre en minibus de Dakar en Casamance, on doit traverser la Gambie et franchir en ferry le fleuve du même nom. Ce détail géographique prit de l'importance pour moi. En effet, j'avais laissé mon passeport dans la poche intérieure d’une veste, elle-même laissée bêtement dans un placard d’une chambre étape sénégalaise. Un coup, au mieux à rester bloqué à la frontière, au pire, après son passage, à séjourner un temps dans un poste de Police gambien sympathique et coquet, en compagnie de moustiques et d’autochtones aux étreintes chaleureuses. C'était bien la peine d'avoir intrigué quelques jours plus tôt pour le renouvellement accéléré du dit-passeport...

Anecdote dans l’anecdote, l’évocation de ce diptère du sous-ordre des Nématocères m’amène à narrer le tour pendable que ma compagne me joua un soir. Nous fûmes amenés à passer une nuit dans une ville baptisée par les Sénégalais "la capitale mondiale du moustique". Ces gens là savent parfaitement de quoi ils parlent. Installés depuis quelques minutes dans ma chambre, j’étais déjà en train de combattre, héroïquement et court-vêtu, une nuée d’assaillants qui avait profité d'un trou béant dans une moustiquaire de fenêtre détériorée. Une faille terrible dans la défense. Jugeant que la savate que je faisais mouliner comme un fou furieux pour occire les hordes sauvages était une arme dérisoire, ma compagne était allée quérir un veilleur de nuit de l’hôtel. Il devait bien avoir en réserve du gaz moutarde, tant propice à calmer ma frénésie destructrice qu’à estourbir les bestioles. Un triomphe sans classe, je sais, mais mon combat à la savate blanche était perdu d’avance. Les moustiques tombaient en piquées de toutes parts avec des hurlements de Messerschmitt. En plein blitz, une parade malencontreuse - ma technique perdait en précision au prorata de mon épuisement progressif - explosa une applique murale et son ampoule. La chambre était constellée de tessons. Voilà-t-y pas que, figé en plein mouvement de quarte, je me retourne, nu comme un ver. Le «court vêtu» n’était qu'une métaphore pudique. Un indigène m’observe, ébaubi, les yeux en soucoupe. Il a un regard très proche du mien. Je parle de l’expression de son regard, plus que de sa proximité. Il se trouvait muni, lui, d’une bombe fly-tox à la Capitaine Haddock dans «L’affaire Tournesol». Toute explication circonstanciée visant à fournir un motif plausible quant à la position et tenue dans lesquelles il m'avait surpris était, vous l’imaginez facilement, vouée à l’incrédulité polie. En plus, les morceaux de verre éparpillés au sol... Vu ma posture, il me fallait avant tout rapidement protéger mes arrières. Le Sénégalais pouvait imaginer une danse européenne sur lit constituant une parade nuptiale qui lui était dédiée. Il conserva son flegme. Sens de l’hospitalité oblige, ou je n'étais pas son type d'objet amoureux. L’affaire Tournesol fut tuée dans l'œuf. Ceci évita que se répande comme une traînée de poudre les rumeurs les plus folles concernant mes mœurs ou une fragilité mentale dangereuse. Ma compagne, par contre, faisant preuve en la circonstance d’un manque d'esprit de corps condamnable, manqua de s’étouffer au milieu de fous rires irrépressibles qui durèrent une bonne heure. En la circonstance, je venais de perdre à ses yeux ma dernière once de prestance et de dignité.

Trêve de digressions labyrinthiques. Gagnant les jours suivants des secteurs moins hostiles pour la peau des visages pâles, je retrouvai rapidement le calme qui était ma signature officielle. Quelques regards narquois, portés à la dérobée sur ma personne par le guide, m’amenèrent cependant à soupçonner des fuites. Un manque de respect certain de la part de cet individu, pourtant jovial et bonhomme à l’accoutumée, qui ne m'appelait jusqu’ici avec déférence «le baratineur de l’équipe». 

Ce fameux guide, pour en venir enfin à ce qui aurait dû être le début de cette histoire, si des foucades et embardées imaginatives mal contrôlées ne m’avaient conduit à emprunter des chemins de traverses, vint nous faire, à mon ami et à moi-même, une requête inquiétante en fin de circuit. J’imaginai le pire. Cela avait probablement trop duré. Il était normal que je finisse par tomber dans la nasse policière, démuni que j’étais de tout papier pouvant justifier ma présence en territoire étranger:

 « Le colonel M. vous attend dans ma chambre. Il désirerait avoir un entretien officiel avec vous. »

Nous logions cette nuit dans une vaste case dont les couloirs, et anfractuosités architecturales nommées chambres, se trouvaient vaguement teintées par les lueurs mouvantes de lampes à pétrole ou autre combustible. Court tableau complétant l'atmosphère pesante qui régnait alentour, arrivés en fin d’après-midi dans cette localité, nous avions aperçu des contingents d’automitrailleuses agrémentant les principaux carrefours. Qui plus est, un arrêt inopiné en pleine brousse, quelques heures auparavant, avait été l’objet de palabres en Wolof interminables. Le guide s’entretenait avec des hommes armés ne portant pas d’uniformes. Il y avait du bakchich dans l’air pour que l’escapade continuât sans encombre. Rien d’officiel n’avait transpiré quant aux motifs de ces tractations.

Mon ami et moi-même, ne voulant aucunement mésestimer l’intérêt d’un appui des forces militaires officielles en place, suivîmes avec empressement l’émissaire jusqu’à ce P.C de campagne improvisé. Le Colonel nous y attendait. Cet homme bien de sa personne, au demeurant fort civil pour un militaire, s’engagea illico dans un discours affable mais alambiqué. Légèrement obséquieux, il formula une requête dans un style littéraire fleuri, mais somme toute convaincant:

«Messieurs, je suis très honoré du fait que vous ayez pu répondre aussi vite à ma mystérieuse mais prépondérante invitation. Je sais que vous êtes tous deux médecins diplômé de la Faculté territoriale française. Je n’irai pas par quatre chemins sachant que votre temps est précieux comme le bon pain. Je souffre depuis quelques mois de violentes douleurs de tête probablement consécutives au choc d’une rare violence reçu au décours d’une algarade traîtresse autant que traîtreuse. J’ai eu l’occasion de pratiquer une radiologie du cerveau humain qui n’a rien décelé d’épouvantable. Mais nos capacités dans le domaine médical locorégional sont bien rudimentaires comparées à celles d’un pays plus que développé comme le vôtre. Pourriez-vous me donner votre avis collégial quant aux douleurs qui handicapent mon exercice professionnel de manière sporadique, trop souvent, et douloureusement (sic)? »

Nous y allâmes alternativement d’un interrogatoire : anamnèse, irradiations algiques, signes d’accompagnement des céphalées, etc. Pas grand-chose à nous mettre sous la dent. Douleurs frontales accentuées quand il fléchissait la tête en avant. Nous avions beaucoup de mal à lui soutirer les circonstances exactes amenant le fameux traumatisme initial «d’une rare violence au décours d’une algarade…». Secret militaire, probablement. Un bref examen neurologique et une palpation des zones incriminées ne révélèrent rien de particulier, sinon une accentuation de la douleur à la pression. Battant alors d’une courte tête le généraliste, votre serviteur, spécialiste en gynécologie-obstétrique, élément particulièrement favorable en la circonstance, eut l’heur de poser enfin la bonne question: « Vous arrive-t-il de moucher jaune ou vert et d’avoir de légers accès de fièvre ?
- Ah ça oui, je n’arrête pas de moucher et j’ai souvent des frissons chauds. N’hésitez pas à me dire la vérité. Vous pensez comme moi à un caillot dans la tête ? »
- Mais non! Évitez de vous tourmenter outre mesure. Je diagnostiquerais plutôt une sinusite rebelle. J’avais peut-être lancé avec trop de légèreté, dans cette ambiance insurrectionnelle locale, l’adjectif qualificatif final?
- Ah bon ?! Le visage du colonel reprenait des couleurs, bien que l’expression soit également malheureuse.
- Problème, cependant, dis-je, j’ai déjà distribué tout le stock d’antibiotiques dont je m’étais muni pour le voyage.
- Moi, indiqua mon compagnon de voyage et confrère, il doit me rester de quoi instituer un traitement d’assez courte durée, mais probablement suffisant.»

Le colonel, respirait de mieux en mieux. Nous refusâmes le troisième verre d’alcool de palmes qu’il nous proposait et prirent congé en précisant que notre guide lui apporterait le traitement ad hoc et lui fournirait les consignes de prises. Celui-ci nous attendait dehors. Sous serment de tenir secrètes les confidences qu’il allait nous faire,  il nous fit part de l’anamnèse exacte de cette  bien triste affaire:
 «Vous comprendrez rapidement le coté délicat de la situation. M. (même plus précédé du grade: le respect se perdait dans les usines de mon grand-père...) rentrait très tard un soir d’une bamboula. Sa femme l’attendait furieuse. Tu es encore allé voir des putes... et je vous passe les noms d’oiseaux qu’elle donnait à son mari pour lui montrer que ça allait barder. Tu n’es jamais à la maison, et quand tu rentres, c’est pour aller te saouler comme un hippopotame. Prise de fureur, elle s’empara manu militari d’un banc pour s’en servir contre la tête de son mari qui n’avait pas eu le temps de la calmer sur une paillasse. Depuis il pense qu’elle lui a cassé une partie du cerveau. Jurez-moi que les précisions que je me sentais en devoir de vous communiquer pour votre enquête resteront bien entre nous.»

Il avait tout de même un vague sourire aux lèvres au décours de son intervention, et ce, malgré le coté gravissime des faits rapportés. Ceci pouvait confirmer un coté moqueur masqué...

Nous avions alors prescrit notre traitement dans un but diagnostic. Huit jours après, peu avant que nous embarquions pour le voyage de retour vers la France, le guide nous offrit une bouteille d’alcool de palmes de la part du Colonel, ainsi que ses remerciements renouvelés. Deux jours après le début du traitement, il n'avait plus ressenti aucune douleur et il ne mouchait plus purulent.

Un peu plus tard dans l’avion, mon copain me précisa ce qu'il lui avait prescrit: «Tu parles, je lui ai filé des céphalosporines de troisième génération. Déjà chez nous, tu montres la boîte au patient tout en posant ton stéthoscope sur son thorax et t’entends les bactéries les plus rebelles qui claquent des dents. Au Sénégal, pratiquement aucune résistance aux antibiotiques, tu montres la boîte et le type est guéri. »

Je pense que le Colonel aurait mieux fait de nous cracher tout de suite le morceau. Ça se passe de la même façon en France quand un homme rentre très tard le soir et que sa femme l'attend. Il n'avait pas à avoir honte.

Le 08/06/2014 : version définitive d'un texte, d'abord proprement illisible parce que posté à la sauvette, puis parsemé de coquilles et de fautes d'orthographe. Une relecture récente m'a amené à remédier aux problèmes et à lui donner plus de fluidité (ce n'est que mon propre avis!).

PIERRE TOSI


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7 commentaires:

  1. Une nuit en points tillés, des montées de température vertigineuses – cette vilaine crève ne veut pas me lâcher – la seule chose qui m’a fait tenir cette nuit, c’est cette idée : « Allez, courage, on sera vite demain matin et si ça se trouve, tu trouveras un nouveau billet sur le blog de la Mansarde … du genre ‘‘la Médecine de guerre en Casamance’’ ! ». Aussitôt dit, aussitôt fait !
    Merci, je pense que le rire occasionné par cet anecdote aura plus d’effet que ces fichus Actifed !/

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  2. Je conclus de ta conclusion que ta compagne du moment de ton voyage en Casamance avait l'habitude de te casser des bancs sur la tête, et que tu n'en prenais guère ombrage.M'est avis que tu aurais dû passer quelque temps dans une maison qui fait le succès de la visite de l'ile de Gorée.

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  3. Mlle Myosotis> S'agirait peut-être d'entreprendre une visite dans une case médicale pour une décision collégiale de traitement (éventuellement à base de céphalosporines de troisième génération). La kinésithérapie respiratoire ne sera probablement pas suffisante.

    Denis> Et voilà comment on applique à l'auteur le châtiment qu'il mérite peut-être mais qu'il ne précise jamais lui avoir été infligé par la jeune femme qui l'accompagnait. Du joli!

    Quant à la visite de la Maison des Esclaves de l'île de Gorée, que j'ai effectivement effectuée à l'époque, j'ai retenu qu'il me fallait en pareille circonstance, en réponse à la cruauté de mes bourreaux, leur infliger mon interprétation personnelle de "Old Man River" a capella et à tue-tête.

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  4. Temps reculés où la sécurité dans les transports aériens avait de quoi faire frémir: laisser embarquer un passager avec des savates anti-moustiques de destruction massive, faut le faire !

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  5. Macheprot> à te lire, j'imagine que tu aurais souhaité que l'on me confisquât mes savates à l'époque. Tu souhaitais ma mort,alors,infâme individu!

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  6. Merci pour ce bon quart d'heure de franche rigolade à la lecture de votre billet. Vous aviez en main une des premières méthodes de lutte contre le paludisme. Son efficacité se voyait cependant anéantie par votre "tenue" de combat du moment.

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  7. Qui plus est, tout à ma fureur destructrice du moment, je ne ciblais aucunement l'anophèle femelle.

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