lundi 9 mars 2009

La botte de Dijon



Bip, Bip… époque préhistorique où les internes de garde étaient reliés à la maison mère par un engin qui ne savait émettre que ce signal d’appel basique lui offrant son nom usuel. Il fallait alors se déplacer vers un téléphone fixe pour s’enquérir du motif de l’appel.
«T’as eu le temps de remettre ta culotte! Aucun doute possible, Z. est l’infirmier de garde.
- Toujours dans les rumeurs calomnieuses, hein ! Tu sais pourtant que je suis un professionnel qui ne mélange jamais travail et gaudriole. T’es en avance d’un quart d’heure pour me présenter tes vœux de bonne année.
- On nous parachute un bidasse de Dijon qui réveillonne dans le secteur avec son commando. Dyspnée en plein gueuleton. L’urgence absolue !
- Prépare la serpillère pour la gerbe en salle d’examen. Bon ! j’arrive dans deux ou trois jours.

La belle Vanessa résignée, apporte mon pantalon: «J’attendrai la Saint Glinglin pour mon septième orgasme… »
- La vache j’avais rien remarqué des six précédents… J’peux prendre une part de bûche pour la route? Désolé, le baiser sous le gui à minuit me paraît compromis à moins que le type claque en route...

Délices de la poésie de salle de garde. J’étais parti il y a quelques mois, le pistolet sur la tempe, pour un stage d’un an dans un petit hôpital minier perdu où les seules distractions nocturnes que proposait la cité étaient les défenestrations de dépressifs. Par bonheur, la plupart des habitations étaient de plain-pied. En contrepartie, ce poste m’avait rapidement formé aux principales urgences d’un hôpital de campagne sur le front. On voyait débouler à toute heure du jour et de la nuit, des infarctus massifs, des états de mal asthmatiques, des œdèmes aigus du poumon et la kyrielle des décompensations cardio-respiratoires. Ce petit bâtiment de brique rouge abritait un service de cardiologie et de pneumologie sur ses deux premiers niveaux et une maternité au dernier étage. En sus, un centre de recherche sur les pneumoconioses spécialisé dans le domaine des explorations respiratoires et, exit dramatique de la chaîne des soins, une morgue complétaient l’agencement du bâtiment. Le dernier secteur servait essentiellement aux autopsies demandées par les familles des mineurs atteints de silicose pour affirmer l’imputabilité de cette pneumoconiose dans leur décès et obtenir une réparation financière pour la veuve en sus de la «pension» indexée au taux d’invalidité permanente antérieur concédé. Ce dernier était fixé lors d’une session du célèbre et redouté Collège des Trois Médecins. Deux professeurs des Universités de Nancy et de Strasbourg et prestige notable, notre chef de service en faisaient partie. Une fois sur trois, le petit hôpital minier était le siège d’une séance. J’ai défendu à plusieurs reprises les dossiers de patients du service et malheureusement parfois assisté aux autopsies requises.

Au départ, trois internes devaient assurer les gardes des services de cardiologie et de pneumologie. Deux nancéens et un strasbourgeois. Une strasbourgeoise en fait, et traîtreusement enceinte dès le début du stage, qui finit donc par nous quitter rapidement. Le traître responsable de l’état pathologique dans lequel se trouvait cette blonde plantureuse était l’interne de la Maternité. Une part de logique dans l’affaire, mais moins logique le lot de gardes supplémentaires revenant aux deux rescapés. Un jour sur deux pendant un an, ça vous lessive un homme! Le triste «engrosseur» avait en plus un goût prononcé pour la musique de Wagner qui le rendait encore plus redoutable. Il nous infligeait d’interminables éclaircissements sur les grands mouvements de la Tétralogie qu’il nous passait en boucle à l’internat. Ce Siegfried germanophile aurait du chevaucher un peu moins sa Walkyrie avant de lui passer l’anneau du Niebelung. Heureusement, l’autre nancéen fut pour moi un grand initiateur à l’œnologie. D’un humour sans faille, cet étudiant qui a hésité longtemps entre Médecine et l’ouverture d’un restaurant, avant de choisir par bonheur la seconde alternative, m’a laissé un bon souvenir de ce stage ainsi qu’un chef de service féru de voile et menuisier émérite qui nous invitait régulièrement à le seconder pour la construction d’un petit voilier.



Faudrait songer à ne pas laisser mourir l’entrée hospitalière pour laquelle on vient de m’appeler peu avant le premier de l’an! Notre artisan menuisier et patron de garde était parti réveillonner à Metz en me faisant le coup du qu’il n’était pas nécessaire que je le dérangeasse car désormais j’en savais plus que lui.

Z. m’attendait de pied ferme pour me raconter la dernière histoire belge. C’était la référence mondiale dans ce domaine de blague. Je me l’étais mis dans la poche en le séchant sur une d’entre elles que je pensais odieusement répandue: «Pourquoi les Belges se ruent-ils sur leur balcon les soirs d’orages dès que les éclairs tombent ?». Ce type ressemblait à s’y méprendre à Requin, l’acromégale sévissant dans Moonraker. Ses mains étaient de véritables battoirs et la tignasse surplombant son visage prognathe était en permanence recouverte d’un névé d’altitude.

«Les légionnaires viennent d’arriver. T’auras du mal à trouver celui des deux qui est malade.
- Purée, elle va avoir droit au grand jeu cette totoche qui vient consulter en plein réveillon pour un caca nerveux.

Deux petits bidasses duveteux et rubiconds (que ces légionnaires avaient parfaitement franchis) attendaient sagement en salle d’examen. Le premier brandit immédiatement des formulaires médicaux de l’Armée signalant ainsi qu’il était commis pour accompagner l’agonisant.

- Bon je vais examiner votre collègue pendant que vous l’attendrez dans le hall.
- Qu’est-ce qui vous arrive ?
- Je ne me sens pas bien, j’ai du mal à respirer.

Et c’est parti pour l’interrogatoire méticuleux sanction: antécédents familiaux et personnels, âge du capitaine et tout le toutim… Enlevez le haut, je vais vous ausculter. Z. arrive pour prendre connaissance des éventuels examens paracliniques que je vais demander. Le pouls est vif et rapide, la tension un peu élevée.

- Respirez à fond. Le champ pulmonaire gauche ne fait entendre ni ronchus ni sibillances et le murmure vésiculaire est bien perçu. A droite, silence absolu. Le type aurait avalé une mouche de travers, je l’aurais entendue péter. Respirez à fond... allez-y bon sang! C’est quoi cette petite piqure d’araignée en dessous de cette côte?

- Ouh là! je ne me sens pas bien... j’ai été piqué par une four… Blanc complet comme la tête de l’examiné qui commence à piquer du nez.
- Z., une voie veineuse, fissa, et fait descendre l’oxygène à toc !
- Je lui fais pas les gaz du sang avant ?
- Tu crois que c’est une urgence ton truc !?
- Oui, mais après l’oxygène, tout sera faussé.

Les gaz du sang, c’était son autre spécialité après les histoires belges. Ce type aurait pu faire ce genre de prélèvements à un jockey en plein steeple-chase, assis en croupe. Les techniques ont beaucoup évolué dans le domaine. Mais à l’époque on avait pour habitude de faire une ponction dans l’artère fémorale, assez compliquée et dangereuse, suivie de la pose d’un sac de sable compressif pendant deux heures en position allongée. Z. avait une autre technique. L’artère radiale dans le secteur où on prend habituellement le pouls. Compression pendant dix minutes et on n’en parlait plus. Le centre de recherche voulait valider cette technique et le Z. cherchait par tous les moyens à augmenter son pool de patients pour les statistiques. Bon, rapido, je vais chercher un Bird en attendant. On ne sait jamais, s’il faut entreprendre une assistance respiratoire: " Tu lui poses un monitoring cardiaque avant, hein !!! ".

Dans le couloir, le père W. déambule avec sa potence de perfusion. Il me fait pour la vingtième fois le coup du: «Je vous prête ma montre, Docteur?». Leitmotiv complice remontant à ce matin où réveillé de travers, je lui prenais le pouls distrait et consultant ma montre, je lui avais demandé de prononcer quelques mots.
- Pourquoi Docteur?
- Il y avait deux diagnostics possibles : soit la mort, soit ma montre arrêtée. Le fou rire dans lequel il était parti lui avait nettoyé les bronches pour une semaine.

- Vous feriez mieux de dormir à cette heure plutôt que de jouer à la Statue de la Liberté en goguette !

Je reviens avec mon matériel. Sans me demander, Z. a effectué une radio pulmonaire avec son tube mobile.

- Un cliché pour rien Z., pour moi: pneumothorax droit total.
- Tu rigoles, le type est venu sur ses deux jambes et il est même pas bleu !
- Bleu, blanc, rouge, prépare tout de même le matériel stérile pour la pose d’un drain en pression négative.

Z. est un roi de la radio. Le temps que je m’installe, Il revient avec un cliché encore ruisselant. Poumon blanc à droite, j’aurais du miser avant quelques kopecks. Pour les non initiés, règne entre la plèvre thoracique et la plèvre pulmonaire une pression négative qui permet à la baudruche pulmonaire de ne pas se ratatiner. Une fuite interne ou externe, le poumon se collabe en partie ou totalement. Dans le second cas, on comprend la gêne respiratoire importante qui en découle. Le drain en place et le masque à oxygène à plein débit, Lazare ressuscita rapidement et put monter en chambre.

Il me restait à résoudre le mystère à l’origine de ce pneumothorax du Nouvel An. L’intéressé ayant cessé d’émettre en plein interrogatoire au milieu d’un mot pouvant faire penser à fourmi, je me suis rabattu sur son acolyte pour apprendre la suite. Alors là, tenez-vous au pinceau!

Les joyeux lurons, bien bus, bien azimutés, s’étaient livrés au milieu du repas à un duel peu commun à l’arme blanche. La piqure du blessé provenait d’une petite fourchette à escargot. La botte de Dijon avait foudroyé le bretteur à retardement.

La victime m’a engagé les jours suivants dans une triste histoire de falsification de compte rendu officiel pour l’Armée produisant une origine moins calamiteuse de son hospitalisation civile à ses supérieurs pour éviter une réputation de duelliste burlesque à cet irresponsable à la caserne.




NB : la chute de l’histoire belge pour ceux qui ne la connaissent pas : c’est pour être sur la photo.

4 commentaires:

  1. Ils m'ont tout piqué...

    RépondreSupprimer
  2. Mobile Army Surgical Hospital pro Team> yes! le transfert des compétences transgénérationnel au sein de la Grande Muette n'est pas un vain mot. Affirmatif. Un petit plus frog cependant: the snailweapon.

    RépondreSupprimer
  3. Quelle histoire!

    vachement bien racontée, humour, suspens...j'aime beaucoup:-)

    RépondreSupprimer
  4. Celeste> Merci beaucoup. Voilà un prof de français comme je les aime. Les autres me mettaient à peine 12 ou 13 pour mes rédacs... J'ai juste explosé le score pour une dissertation sur "Les Confessions" de Jean-Jacques Rousseau à l'époque où l'on ne pouvait pas faire de copier-coller sur Internet, je précise: mon grand morceau de bravoure. Les notes, un sujet qui prête à caution, hein?

    RépondreSupprimer

Commentaire de :