mardi 29 avril 2008

Cacophonie en sous-sol



" Citoyen de Genève, représentant des banques et dépositaire de la pensée neutraliste, voici Eusebio Cafarelli, dit le Chanoine, entomologiste et esprit distingué. Son mysticisme à la fois très hostile au rationalisme de Saint Thomas et à l'orthodoxie mécanique de la scolastique, le pousse parfois à des actions brutales que sa conscience réprouve. Mais, le meilleur des hommes ne saurait être parfait... "
Les Barbouzes – 1964 – Georges Lautner - Dialogues de Michel Audiard

Confronté à cette loi empirique qui veut que les éléments contrecarrant nos actions s’enchaînent inéluctablement jusqu'au fiasco, je doute d'être le seul humanoïde à sortir de mes gonds en pareille circonstance. Certains appellent cette cascade de contrariétés allant de mal en pis: «La loi de l’emmerdement maximum». La plupart du temps, des objets inanimés qui ont une âme, sont à la base de ces mésaventures irritantes du quotidien qui peuvent engendrer chez le meilleur des hommes – pour reprendre la citation du haut de billet - des colères violentes que sa conscience réprouve.


L'anecdote qui suit illustre à merveille ce principe boulant. Son cadre: un appartement d'une cité de la Côte d’Azur où je passais en famille quinze jours de vacances en Août. Il appartenait à une copropriété de plusieurs petits immeubles entourant une piscine. Cette année là, le quinze tombait pile un quinze août et un lundi, beaucoup plus rare, tombait pile un quinze août. Cette précision qui peut paraître superfétatoire a son importance. L’action se déroule en fin de matinée, le samedi matin précédant la fête mariale. Le concierge de l’immeuble – nous ferons connaissance avec le personnage un peu plus loin dans le billet – a pris congé. Il profite de ce mini pont pour rendre visite à sa belle famille dans le maquis corse.

Avant de décrire l’événement domino de départ de la cascade, une courte description du tempérament de mon ex-épouse s’impose aussi: une femme d’action frétillant dans l’urgence, réincarnation probable de Jeanne Laisné (voir photo en tête de billet) repoussant les assaillants bourguignons en 1472 du haut des remparts de Beauvais à grands coups de hachette. Cette arme improvisée lui a valu le surnom sous lequel on la connait mieux:
Jeanne Hachette. Le repas mijote sur la gazinière de l’appartement: pomme de terre à l’eau, je crois me souvenir. Pour notre femme d'action, pas de problème, on a largement le temps de passer un bon quart d’heure à la piscine en attendant la fin de la cuisson. Rentabilité du séjour oblige. Moi, déjà dans le couloir :

- N’oublie pas la clef à l’intérieur !
- Oups, merci, j’ai eu chaud !

Je tiens la porte de l’ascenseur du troisième étage d’une main et le fiston de l’autre. Elle arrive en trombe. Sous les bras, serviettes de bain et accessoires de piscine, un magazine dans une main, la clef dont il est question, dans l’autre. Beaucoup de mains effectivement dans cette affaire. En s’engouffrant dans la cabine d’ascenseur, elle lui échappe. Bing, blic, blic, blic... Voilà t’y pas que le traître morceau de métal qu’on croyait mort rebondit çà et là comme une grenouille pour finir sa course dans l’interstice cabine-cage d’ascenseur. Blang, bing, bing, blinc, plus trois étages et demi plus bas... Dong. Le demi étage en plus, c’est le puits d’ascenseur dévolu aux actes techniques des employés de la maison Otis dont le sérieux n’est plus à louer. Plongeon aussi héroïque que trop malheureusement tardif de ma part. Ma main se referme sur du vide. Cette perception sensitive distale du membre supérieur droit amène le cerveau en pareille circonstance à fonctionner à la vitesse de la lumière multipliée par deux.

Mise à jour des données particulièrement poignante: trois jours dehors en maillot de bain, une marmite qui va bouillir dans l’appartement et en débordant devient susceptible d'éteindre le bruleur. On ajoute: pas de concierge durant ces mêmes trois jours pour nous fournir le double des clefs. "Furaxissimus", je suis. Mon faciès dépité a la capacité de faire rire, on va dire relativement discrètement, mon épouse. Détail qui d’illustre parfaitement la solidarité déplorable que peut avoir une femme avec son dieu et maître en pleine déroute. Arrivés au rez-de-chaussée, j'entends sonner le glas. L’accès au puits d’ascenseur est verrouillé, bien entendu...

Une telle succession de contrariétés ne peut s’encaisser sans révolte. J’erre pourtant, hagard, au bord du knock-out, un bon quart d’heure, autour de la piscine comme un animal blessé. Finit par poindre un début de plan de reconquête brillant de l’appartement du troisième étage qui ne saurait rester impunément durant ces trois jours un bastion imprenable. Mon œil de lynx a relevé une faiblesse dans la ligne de défense ennemie: la fenêtre de la terrasse est restée entrebâillée. Il va me falloir trouver un locataire de l’étage, qui plus est, compatissant, qui me laisse accéder à
son balcon. Ensuite, en progression reptatoire de gecko, je passerai de balcon en balcon pour gagner le point d’intrusion. Le talon d’Achille de la cuirasse du chevalier des temps modernes galvanisé par son plan de génie dans lequel mon imagination vibrionnante me glissait, était que je suis sujet parfois sujet au vertige. Que diantre, je terrasserai ma peur, triompherai de l’adversité et toiserai narquois, voire perfide, la donzelle qui nous avait plongés dans cette infortune calamiteuse. Comme décrit ci-dessus, les choses ont la forte probabilité d’aller de mal en pis en pareilles circonstances.

L'unique porte accueillante qui s’ouvrit fut celle d’un appartement situé quatre balcons plus loin que le mien. Je profite d’un court arrêt de jeu pour poser la question qui peut vous faire gagner un écran plasma de 102 cm: vous devez retrouver au moins trois séquences de films dans ce billet. Pour vous aider, je peux vous affirmer que Bebel dans «L’homme de Rio» aurait refusé d’exécuter trois fois de suite la cascade que j’allais m’imposer: franchissement par l’extérieur des cloisons séparant les balcons, je le rappelle, enchainé par un salto arrière. Je l’ai fait, moi, guettant l’arrivée imminente, sirène hurlante, d’un véhicule du GIGN et son contingent d’hommes prêts à faire feu sur un dangereux monte-en-l’air recherché pour ses nombreux méfaits dans le secteur. Miaou pour vous aider, car je reconnais que la question est difficile. Après bien des sueurs froides, je touche au but et saute dans la guitoune en arrosant les lieux avec mes armes de poing. Pour les pommes de terre c’était râpé, si l’on peut dire... Je suis peu friand de carbone. Le bouton de la porte d’entrée possédant un heureux mécanisme de déverrouillage interne, l’accès était désormais possible par le couloir, beaucoup plus pratique. Pour tout l’immeuble aussi durant de nos absences.
L’heure est venue d’évoquer le concierge de l’immeuble. Dring, dring, mardi matin, l'empereur, sa femme et le petit prince sonnent à sa porte pour demander son intervention. Je vais devoir décrire la situation ridicule dans laquelle je me suis trouvé quelques jours auparavant et mon plan de reconquête aux limites de l’effraction caractérisée. Le personnage m’écoute avec attention et ponctue de quelques «Vé, mon bon monsieur !», ses divers rebondissements. A mon avis, c’est la scène du balcon qui me l’a mis dans la poche.

Il me laisse entrer dans un repaire aux tonalités coloniales. Quelques bibelots évocateurs vont dans le sens des révélations que me fera plus tard l’homme au faciès de baroudeur en sirotant des verres de pastis propices à la ré-hydratation en milieu hostile: une ou deux grenades
offensives sur un bahut, un poignard de commando posé négligemment sur un coin de table, plusieurs portraits du général de Gaulle dans la pièce, un fusil à pompe accroché au porte-manteau. Il a appartenu au SAC, Service d’Action Civique, mis en place par le grand Charles en 1958. Cette variante de garde prétorienne puisait le gros de ses effectifs dans le milieu des barbouzes plus que dans celui de l’ENA, je le signale au passage. Son flair lui avait fait rapidement sentir qu’il était avait en face de lui un poids lourd capable de coups de poings éclairs et aguerri aux missions d’infiltration en terrain escarpé: un fauve dangereux, pour tout dire. En insistant un peu, je crois que j’aurais pu récupérer une de ses grenades. Toujours utile, en cas de mésaventure du genre, pour faire péter les portes récalcitrantes.



2 commentaires:

  1. Je n'ai trouvé qu'un film dans l'anecdote: "La prophétie des grenouilles".Dommage que Bebel refusait à l'époque de se faire doubler dans ses films!

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  2. Blague à part, comme dirait Maigret, le dessin animé français que tu cites est un petit bijou.

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